A quelques semaines de la fin de l’année 2012, les nuages s’amoncellent à l’horizon – les annonces apocalyptiques comme celle de la fin du monde pour le 21 décembre n’arrangent rien. Les humains de tous les continents sont au paroxysme de l’anxiété. En Europe et aux États-Unis particulièrement, les populations dans leur ensemble renâclent à la moindre contrariété touchant à leur pouvoir d’achat alors que tout le monde, dans ces pays hier encore incontestablement catalogués comme prospères, n’a que le mot crise sur les lèvres. L’utilisation systématique du vocable désigne, en effet, l’état d’esprit des êtres pris de panique, ne pouvant plus réfléchir suffisamment face aux événements qui se télescopent et infléchissent toute approche rationnelle. Il existe deux types de situations qui désignent cet infléchissement vers les abimes du non-sens, c’est-à-dire de l’absurde. Le premier se manifeste au niveau du décalage inquiétant entre les moyens de défense des travailleurs et la tout grande puissance des entreprises, notamment celles de facture mondiale telles les multinationales, et d’autres de moyenne importance qui délocalisent, élèvent les plans sociaux au rang d’une institution, une autre manière plus soft de procéder à des licenciements massifs dont la justification ne recoupe nullement les cas légitimés par les lois et usages sociaux (raisons techniques ou économiques), mais s’insère dans une recherche des super profits (délocalisation et utilisation abusive du concept de compétitivité). Curieusement, l’opposition des syndicats à ces pratiques très répandues de nos jours semble rapetissée. Pour tout, ce ne sont pas les réactions musclées qui manquent. Grèves à répétition et manifestations monstres, certaines présentant une façade intra-européenne mais rien n’y fait. Les plans sociaux jettent vers les pôles-emploi de plus en plus de personnes (voir la chronique dans Le Nouvel Afrique n° 50, novembre 2012). Quelquefois même, des patrons «voyous» filent avec la caisse et laissent sur le carreau, sans le moindre sou vaillant, ceux vis-à-vis desquels ils se sont engagés.
Le seconde exemple est relatif à la manière de réagir des gouvernements en place. Une sorte d’anomie les paralyse. Une donnée qui leur paraît incontournable est le terme compétitivité. Les médias, conformément à leur mission sociologique, le marie à toutes les sauces (compétitivité par ici, compétitivité par là). C’est un mot apparemment fourre-tout mais qui, pourtant, présente à certains égards un sens précis. La compétitivité est comme les deux faces de Janus : une qui regarde vers la lumière, une autre vers la nuit. L’assertion est donc ambiguë. Et pourtant, c’est sans états d’âme que les décideurs (dirigeants politiques, acteurs économiques), à la différence du citoyen lambda, se délectent autour de l’idée que tout n’est pas perdu et que la compétitivité est le moyen de parvenir, une fois de plus, au nirvana.
Presque tous les hommes politiques en France regardent, droits dans leurs bottes, vers la compétitivité. Mais pour les responsables de droite, nécessairement, la compétitivité ne se limite pas seulement à briller face à la concurrence par son inventivité, sa solidité gestionnaire mues par une sorte de panacée universelle à la crise constituée par la vulgate néolibérale. Bref, l’austérité d’abord et ensuite seulement, s’il s’en trouve, la croissance ou la création des emplois, le relèvement des conditions des plus démunis, le renforcement du rôle de l’État dans ce qui fait l’essentiel pour l’homme vivant en société : la sécurité ou la paix, la civilisation ou la culture. Le modèle claironné un peu partout en Europe est le modèle allemand, un anti-modèle selon les propos d’un collectif d’intellectuels français dans un texte publié dans «Le Monde» du 16 novembre 2012 : «N’imitons pas l’Allemagne, un anti-modèle». Le collectif écrit sans fioriture ce qui suit : «La compétitivité est une voie sans issue, absurde et régressive. N’oublions pas qu’un des ‘précédents chocs de compétitivité’ est celui infligé à l’économie française par le Président du Conseil, Pierre Laval, en 1935. On ne sortira pas de la crise en prolongeant le modèle économique qui y a conduit. C’est un autre modèle de développement qu’il faut promouvoir : en finir avec la logique même de la compétitivité qui, basée sur la concurrence de tous contre tous, aboutit à un état de guerre économique permanent appauvrissant les populations et détruisant les équilibres écologiques. Le nouveau modèle de développement doit être fondé sur les principes de la coopération, de la rupture avec un consumérisme destructeur, de la réponse aux besoins sociaux, de la réduction des inégalités et de l’ouverture d’une transition écologique.»