La problématique des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) réside sur le débat de l’antériorité entre la croissance et les institutions, débat qui continue à entretenir la controverse chez les scientifiques entre eux d’une part, et les scientifiques et les décideurs internationaux d’autre part. Et l’orientation de la politique d’Aide au Développement (AD) du 21e siècle est principalement influencée par ce débat, même si les recherches sur la question sont devenues un vrai football politique.
Le tournant dans ce débat a été marqué par les recherches de Burnside et Dollar (2000) qui ont trouvé une corrélation positive entre l’aide au développement et la croissance dans les pays en voie de développement (PVD) ayant des bonnes institutions. Le corollaire direct a été l’instauration de l’amélioration des institutions comme conditionnalité à l’AD. Bien que d’autres recherches, notamment celles de William Easterly (2003), aient démontré que les données utilisées par ces auteurs étaient biaisées, l’intuitive plausibilité de leurs résultats n’a pas, un seul instant, quitté les actions des agences internationales d’aide.
Mais après une décennie d’actions d’amélioration des institutions, de multiplication et de multiplicité d’aide, les résultats restent catastrophiques. La croissance en Afrique reste une simple affaire d’augmentation du PIB, et plus de 50 % de la population reste pauvre, ce qui n’est pas loin des chiffres d’il y a 30 ans. L’AD, même conditionnée par les bonnes institutions, n’a pas montré son efficacité.
Dès le départ, la politique d’AD contenait en elle-même les germes de son échec. C’est le fait que l’on ait pensé que les institutions font les hommes, ce qui est intuitivement vrai, et donc doter l’Afrique des mêmes institutions que les pays développés donnerait aux africains les incitations correspondantes. Cette façon de penser a ramené les institutions à l’origine de l’homme et a complètement écarté nos pensées de la vérité. En effet, les hommes façonnent les institutions en fonction de leurs incitations et, lorsque ceux-ci sont animés d’incitations et de convictions médiocres, la contrainte n’est qu’un catalyseur de changement institutionnel apparent alors que l’esprit reste inchangé.
Le problème, en Afrique, n’est donc pas seulement institutionnel, mais aussi et surtout humain. Alors le vrai débat, quant à l’AD, doit se baser sur l’antériorité entre les institutions et les incitations.
Il y a un vice majeur qui réduira toujours à l’échec l’AD en Afrique : la propension des dirigeants politiques au détournement des fonds et à la corruption. Ce vice est, toutes choses restant égales par ailleurs, fonction de la situation matérielle et financière initiale des dirigeants politiques, renforcé par l’instabilité des institutions.
En Afrique, il est possible de sortir directement d’une basse classe, ou d’avoir vécu dans une situation matérielle et financière pas confortable, pour occuper par la suite un poste de direction dans un pays. La conséquence est que la première incitation d’un tel dirigeant est de sortir spontanément de sa situation matérielle et financière initiale, et de faire en sorte qu’il n’y retourne plus jamais, d’où la propension élevée au détournement et à la corruption quelle que soit la bonté des institutions.
L’instabilité du pouvoir joue aussi un rôle assez important : le même dirigeant sait qu’à tout moment il peut être remplacé et que son successeur ne continuera jamais les projets initiés. Il ne se lance donc pas dans des projets de développement de longue durée, et fait de son mieux pour s’enrichir vite. C’est de cette façon qu’il détourne même les fonds d’AD au profit des intérêts personnels.
Un autre aspect est l’habitude. Il est généralement difficile d’abandonner de telles pratiques quand on en a fait une habitude nationale. En Afrique, l’on a même commencé à croire que la politique est la seule activité qui puisse rendre riche. Alors les aspirants, parfois pauvres et voyant leurs prédécesseurs s’enrichir impunément par toutes sortes de détournements et de corruption, attendent leur tour pour faire la même chose. C’est donc un cercle vicieux qui s’est créé et qu’il faut démanteler !
Avec la politique d’AD, on a cru que les nouvelles institutions plaquées de manière exogène pourraient changer un tel dirigeant, alors que c’est plutôt un changement endogène préalable des incitations de ce dirigeant qui constitue un vrai moteur de développement.
Par conséquent, pour que l’AD soit un moteur de la croissance, il doit y avoir deux formes de changement : premièrement, l’incitation au développement doit provenir des bénéficiaires et non des donateurs, et ceci doit être la condition nécessaire à l’obtention de l’AD. Une autre forme de conditionnalité doit être la bonne utilisation de la précédente AD obtenue. L’Afrique serait plus responsable si elle-même pouvait prendre conscience de son besoin, et présenter par la suite des projets de développement aux Agences d’AD, car son irresponsabilité actuelle est due au fait que, n’ayant pas constaté elle-même son besoin, et donc dans l’absence d’incitation au développement, ce sont les Agences d’AD qui lui proposent des fonds de développement. Comme dit Easterly (2003), ces fonds sont ainsi considérés comme de l’argent facile, ce qui est aussi un des mobiles des multiples détournements de ces fonds.
Deuxièmement, il faut une révolution mentale qui puisse amener les africains, lors des élections, à ne plus fonder leurs incitations sur le fanatisme politique qui se contente des discours démagogiques et de l’appartenance ethnique ou tribale, mais à étudier sérieusement le parcours professionnel et moral, ainsi que la situation matérielle et financière initiale des dirigeants avant de les établir. De cette façon, le choix opéré pourrait minimiser la chance des corrompus.
Manifestement, ces changements seront plus avantageux pour la réussite de l’AD que des actions visant à contraindre l’Afrique à des réformes institutionnelles auxquelles elle n’est pas préparée.