Voilà un an, le 17 décembre 2010 le jeune tunisien Mohamed Bouazizi s’immolait à Sidi Bouzid pour crier sa frustration face au régime dictatorial de Ben Ali. Beaucoup avaient exprimé leur désespoir de la même manière mais le cas de Bouazizi a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, déclenchant un vent de contestation qui a balayé toute l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
Si les « révolutions » ont apporté le changement, il n’est pas certain que ce dernier soit à même de répondre aux défis économiques que le suicide de Bouazizi, de manière consciente ou non, soulevait. De même, si les médias ont insisté sur les demandes en termes de libertés politiques, très peu d’analyses ont porté sur la nécessité de libération économique de ces pays.
Car le geste de Bouazizi était avant tout une réaction au fait qu’on lui avait interdit à plusieurs reprises de vendre des fruits et légumes sur sa carriole, pour pouvoir nourrir sa famille. Cette révolution est partie d’un cri de « laissezfaire, laissez-passer », un cri de liberté économique de la part d’un entrepreneur que le pouvoir empêchait de rendre service à des clients potentiels. Le système corrompu de ces pays, «l’apartheid économique» comme l’a très bien décrit l’économiste péruvien Hernando De Soto, étouffait littéralement le développement de l’immense majorité de la population. Faire des affaires était réservé à quelques privilégiés ou quelques familles proches du pouvoir qui pouvaient allégrement exploiter les populations. Obtenir permis, autorisations, titres de propriété tenait de l’impossible pour le citoyen ordinaire.
Dans ces conditions manquait le terreau institutionnel propice au développement, c’est-à-dire un ensemble de règles permettant aux individus de percevoir et saisir des opportunités pour gagner leur vie, monter des projets etc. Les institutions de la liberté, pas simplement politiques (ce qui est bien sûr aussi fondamental), mais aussi économiques n’étaient pas là. Or, sans liberté il ne peut y avoir de développement : ce dernier vient de ce que chacun et chacune fait usage de sa connaissance d’opportunités (une connaissance de «circonstances particulières de temps et de lieu», comme l’écrivait l’économiste autrichien Friedrich Hayek) pour rendre service, et générer de la valeur pour autrui. Cette génération de valeur se traduit en hausses de revenus : on sort peu à peu de la misère.
C’est bien l’échange qui est au coeur de ce processus de développement, un processus sans fin de division du travail et de la connaissance, dans lequel la «solidarité organique» comme l’évoquait Durkheim, tisse le lien de dépendance économique : chacun a besoin de tous. Au passage, ce «doux commerce» cher à Montesquieu pacifie les relations et permet l’épanouissement d’une société civile, civilisée : le développement déborde de sa sphère purement matérielle. Si les institutions d’un pays mettent des barrières à cet échange, c’est donc tout le processus de développement qui est tué dans l’oeuf.
Cette partie de la révolution du printemps arabe a été quelque peu occultée. Or, en passant à côté de cet aspect des choses et en se limitant à une interprétation de la révolution en termes de revendications purement politiques, on passe sans doute à côté du problème le plus fondamental. Et aujourd’hui il n’est pas certain qu’avec la montée du radicalisme, les libertés économiques, si cruciales au développement et au recul de la misère, soient défendues et fassent réellement partie du champ des possibles en matière de réformes. Un an après le sacrifice de Mohamed Bouazizi, l’avenir du printemps arabe est encore flou