Bukavu en RD Congo a été le théâtre d'un tremblement de terre courant février 2008. En filigrane, l'auteur de cet article nous relate l'événement qui ne manque pas d'intérêt
Bukavu, dimanche 3 février 2008. Il est près de 9h30. Les rues sont fiévreusement fréquentées par des croyants en destination ou en provenance des lieux de prière. Les familles endimanchées vont d'un pas mesuré rejoindre les églises, pendant que d'autres, déjà rassemblées, scandent avec ferveur des cantiques. Sur les routes, la rareté habituelle des véhicules les dimanches est accentuée par la carence du carburant, qui dure depuis début décembre 2007. Quelques marchands étalent pain, sucre, épices et légumes aux abords des routes et aux entrées des marchés, souvent inoccupés. Rien ne laisse présager qu'à cet instant, cette terre si confiante prépare une imminente crise de colère…jamais vécue de mémoire d'habitant…
Martha, 18 ans, habite le quartier Muhungu sur la pente du terrain de Mukunwe, une centaine de mètres en contrebas du centre xavérien de Vamaro. Ce dimanche matin, cette jeune fille doit aller faire quelques achats au marché proche de Nyawera. Elle quitte la maison d'un pas tranquille et promet de revenir au plus tôt.
Le marché dont question est l'un des trois mini-marchés du centre-ville de Bukavu (avec celui dit du «Feu rouge» et celui de «Nguba») dont le bâtiment central a bénéficié d'une réhabilitation il ya près de deux ans. Un dimanche, la majorité des vendeurs a déserté les tables, mais ceux qui sont là suffisent généralement aux ménagères pour un ravitaillement d'urgence. Martha est calmement en train de marchander, suivant la tradition locale, lorsque du coup la terre se met à trembler, les tables sont violement agitées et lâchent leurs étalages. Les bâtiments sont secoués, des morceaux de murs, de toiture, de verres, de pancartes et autres se détachent des bâtisses partout autour et tombent avec fracas sur le sol. Les gens courent dans tous les sens, les voitures accélèrent en klaxonnant et soulèvent un vent de poussière. C'est quoi ce cauchemar ? Pétrifiée d'effroi, la jeune fille n'ose pas bouger et retient son souffle. Ainsi désorientée, Martha ne verra jamais le bloc de brique qui se détache du fronton du marché juste au dessus d'elle pour venir s'abattre sur sa tête, emportant une partie de la toiture… Les minutes suivantes, les rescapés sortent des corps sous des décombres et demandent de l'aide pour acheminer les blessés vers l'hôpital de référence de Bukavu…Et c'est plus tard dans la soirée que les parents de Martha devront se rendre à l'évidence : la jeune fille ne leur reviendra plus jamais ! Ainsi en a voulu le destin. Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu à l'extrême est de la RD Congo (ville frontière avec le Rwanda) fera encore parler de lui…sous le signe de la tragédie !
Un nouveau malheur en plus, des hommes en moins
A la sortie des premiers instants de confusion, du reste compréhensibles, les heures qui passent laissent s'échapper des bribes de vérité mêlées à un cortège de fausse informations drainées, bien sûr, par la rumeur. Les mots sonnent «inhabituels», mais la réalité qu'ils évoquent l'est plus encore : 5 morts (dont 2 au marché de Nyawera) et 189 blessés «dans un séisme d'une magnitude de plus de 6 sur l'échelle de Richter ». Séisme dont «l'épicentre aurait été localisée à une vingtaine de kilomètres au nord de Bukavu », vers le centre de Katana (aux abords du parc national de Kahuzi Biega).Ces mots sont d'un nouvel apprentissage pour le commun des Bukaviens. L'on ne peut pourtant pas dire que désastre soit un mot nouveau pour les habitants de ce qui fut baptisée «ville sinistrée» à la sortie des sièges, de triste mémoire, de l'armée du général Nkunda et du colonel Mutebusi, en juin-juillet 2005. L'on ne peut pas non plus avancer qu'à l'accoutumée, le malheur frappe toujours ici de main d'homme. Les éboulements de terre et inondations causées par des pluies torrides («mugezi»), lesquelles se confortent d'une urbanisation à tous le moins calamiteuse, ont souvent endeuillé plus d'une famille dans ce qui a, pourtant, mérité au sortir de la colonisation le nom de «Bukavu, la verte». Mais ce dimanche, point d'écologie, même évoquée à titre nostalgique, qui permette une évasion de cette triste réalité : Bukavu vient de subir son tremblement de terre le plus violent autant que s'en souvienne l'habitant. Et les conséquences sont terrifiantes : les enfants réunis dans la cathédrale Notre Dame de la Paix au moment de la secousse ont cédé à la panique et se sont rués tous vers la sortie. Une dizaine d'entre eux en ont subi des blessures. Trois des plus grands hôtels de Bukavu (hôtel Résidence, hôtel Mont Kahuzi et hôtel Laroche) comptent des blessés parmi leurs pensionnaires et accusent des fissures sérieuses, si ce n'est des écroulements de parties des infrastructures.
Des dégâts à n'en point compter
Une centaine de maisons sont sérieusement endommagées dans la commune d'Ibanda, et des dégâts similaires sont signalés dans la commune de Bagira. Les étagères des magasins ont renversé plusieurs produits dont des téléviseurs, des ordinateurs, des appareils électroménagers, des bouteilles de vin, etc. Les façades de maisons lâchent comme frappées par une main géante. Certains hauts murs s'en sortent sérieusement fissurés et dangereusement inclinés sur les habitations en contrebas…
Des informations confirmées rapportent des blessures sur des fidèles catholiques dans la paroisse Saint Joseph de Kabaré, parmi lesquels une trentaine de blessés (suite à une bousculade) ont été reçus en ambulatoire à l'hôpital général de Mukongola (20 km à l'ouest de Bukavu), alors qu'une fillette aurait perdu la vie. Dans ce désarroi, à Bukavu, les hommes désertent leurs maisons et cherchent refuge…dans la rue !
Dans les moments difficiles, le Bukavien a gardé le reflexe de la radio. Que disent les autorités, le gouvernorat, l'armée, la police, les intellectuels, les chercheurs, qui en sait quelque chose ? Reflexe jadis efficace, mais qui, aujourd'hui, accuse ses limites.
A quel saint se vouer ?
D'abord, le petit cadrant du poste récepteur est aujourd'hui sollicité, en FM, par près de 13 radios locales, sans compter trois chaînes nationales reçues en relais en plus de la radio Okapi. Dans cette jungle radiophonique, le contexte se prête à souhait au questionnement : la vérité est bien un trésor caché dedans, mais où?
D'un autre côté, le journalisme le plus professionnel n'acquiert pas les dons de divination à coups d'articles bien rendus. Or il eut fallu être devin pour se préparer à «couvrir» cette catastrophe. Et donc, l'instant de quelques hésitations, les auditeurs doivent digérer leur irritation à force de mélodies désespérément muettes que rendent les médias.
Ensuite, la précipitation, on dirait plutôt une agitation derrière le scoop, fait commettre des bavures, «officialiser» des rumeurs au micro, sinon, semer la panique à force de bilans et d'analyses ramassés à tout va et qui créent parfois l'image d'une «fin du monde» (que prêchait déjà un homme sorti de nulle part, bible rouge à la main, ce même dimanche vers 12h30 sur la place Mgr Munzihirwa).
Que faire la nuit ?
Car la nuit devait bien arriver et trop peu de gens l'ont vu venir. Dans la soirée, au terme d'un «conseil extraordinaire de sécurité» convoqué par le gouverneur de province intérimaire, les autorités parlent enfin : «Nous sommes en crise, certains de nos concitoyens ont trouvé la mort, beaucoup d'autres sont blessés… ». Des nouvelles que la rumeur avait déjà rapportées. Le Maire de Bukavu, Guillaume Bonga Laissi, a affirmé que les autorités n'ont pas encore la maîtrise de la situation, conseillant aux habitants de ne pas rentrer dans leurs maisons, de garder leurs familles à l'extérieur, de s'éloigner des murs, des poteaux électriques et de tout ce qui peut s'effondrer en cas de nouvelles secousses…Le lundi 4 et mardi 5 février ont été également décrétés jours de deuil dans toute la ville