En Somalie, l’expulsion des fondamentalistes d’al-Shabaab de Mogadiscio, il y a deux mois, avait laissé espérer une restauration de la paix par les autorités du gouvernement provisoire. Après le terrible attentat-suicide du 4 octobre, on peut se poser la question de savoir si cet espoir n’était finalement pas une illusion?
Le gouvernement fédéral de transition (GFT) a été établi en 2004 et soutenu par la communauté internationale avec l’objectif de restaurer la démocratie en Somalie. Son Président, Sharif Ahmed, est un ex-militant islamique et ex-membre de l’Union des Tribunaux Islamiques (UTI). L’UTI était une formation fondamentaliste au pouvoir en Somalie jusqu’à la fin 2006 quand elle fut forcée de laisser la capitale au GFT, qui agissait avec le soutien d’une force de mercenaires éthiopiens et de « seigneurs de la guerre » somaliens – tous soutenus par les USA. Après deux ans de combats le GFT et l’UTI parvenaient à signer une paix difficile, entrainant cependant la naissance d’autres groupes extrémistes, dont le plus dangereux, la milice al-Shabaab. Cette force est formée par les membres les plus fondamentalistes de l’UCI et par d’autres combattants recrutés à l’étranger, souvent au Kenya ou d’autres pays suspectés d’avoir des liens avec Al-Qaïda. Al-Shabaab cherche à établir un État islamique et voit le GFT comme l’obstacle principal à la fondation de son « ordre juste ». Le GFT et al-Shabaab sont aujourd’hui officiellement en guerre, un conflit qui mêle actions de guerre ouvertes et actions de guérilla : en tout cas, les deux factions présentent de nombreux problèmes d’organisation. Al-Shabaab connaît des divisions internes et des défections régulières, qui minent sa capacité d’agir de manière unitaire et cohérente. En même temps, le GFT est toujours sans armes et sans financement pour son armée qui survit grâce au soutien de l’AMISOM (la force d’interposition de l’Union Africaine financée en partie par les USA) et à l’action des mercenaires. En outre, le GFT n’est pas considéré comme le gouvernement légitime sur tout le territoire somalien, car deux régions – le Somaliland et le Puntland – ont déclaré leur indépendance. Même si le GFT est le seul à être reconnu par la communauté internationale, ces problèmes contribuent à affaiblir son image de gouvernement légitime.
L’expulsion des extrémistes de la capitale a été considérée par le GFT comme « la » grande victoire, et donc utilisée comme instrument de légitimation envers la population. En réalité, les forces du GFT n’ont pas mené leurs adversaires hors de la capitale : al-Shabaab s’est retiré de Mogadiscio en laissant les forces de Sharif Ahmed libres de reprendre la ville. Ces derniers jours ont démontré que nous sommes simplement devant un changement de stratégie des fondamentalistes qui veulent se concentrer sur la guérilla, forme de combat plus indiquée pour leurs moyens. Mais les fondamentalistes ne sont pas les seuls ennemis de la Somalie : le mélange d’intérêts locaux et internationaux émerge comme le problème principal à gérer pour le pays.
L’aide qui n’aide pas
Les modalités de transit de l’aide internationale se combinent au jeu des intérêts des chefs locaux pour interdire le développement du pays. En théorie, avec les 50 millions de dollars par an de l’ONU (pour le soutien aux citoyens) et les 220 millions des USA à l’AMISOM, la Somalie pourrait sembler bien soutenue. Malheureusement, l’aide civile n’arrive pas aux citoyens du fait des intermédiaires, c'est-àdire les chefs de clan et les seigneurs locaux censés distribuer les fournitures ONU. L’aide est revendue, et non donnée, à la population, entraînant l’enrichissement illégitime de groupes minoritaires. La situation est identique du côté de l’aide militaire : dans le passé récent, celle-ci est arrivée sous la forme de mercenaires ou de soutien aux seigneurs locaux… souvent, les mêmes seigneurs qui participent « joyeusement » à la revente de l’aide internationale. Très souvent, ces « affairistes » sont à l’étranger – péninsule arabe ou Kenya – et ils ont de gros intérêts à maintenir le statu quo. Cette situation constante d’abus et d’illégalité s’est concrétisée comme une vraie « invitation » pour les organisations criminelles internationales qui ont trouvé en Somalie l’environnement idéal pour développer les activités comme la piraterie, le stockage d’ordures toxiques et l’installation de camps d’entraînement pour les djihadistes. Et les lobbies des pays voisins (Ethiopie, Kenya, Érythrée, Djibouti) ont intérêt à voir maintenue une Somalie divisée, garantissant un business des mercenaires et de la vente d’armes. En même temps, la légitimité croissante des autorités laïques devient en fait une nouvelle arme entre les mains des fondamentalistes pour inciter à l’opposition armée contre non seulement le gouvernement, mais aussi ses alliés étrangers. Sur ces bases, la communauté internationale reste silencieuse car agir en Somalie est un risque trop grand – on se rappelle le fiasco des opérations ONUSOM : un soutien ouvert pourrait causer des conséquences imprévisibles, et donc le statu quo reste la solution « la moins pire » dans ces conditions.
Dans ce cadre, il n’est pas simple pour le GFT de trouver une stratégie pour sortir de cette situation. Il doit à ce jour se servir de ses adversaires d’al-Shabaab en cherchant à se légitimer le plus possible auprès de la population, notamment après le récent attentat, et il doit renouer les relations avec les régions indépendantistes. L’augmentation de légitimation sera aussi très importante dans la lutte contre les seigneurs locaux et les criminels : le GFT doit démontrer pouvoir offrir aux citoyens un cadre d’institutions démocratiques où ils peuvent voir reconnues leur libertés personnelles et leur liberté économique. Sur ces bases, il pourra avoir des chances d’activer un processus de changement dans la politique et la société somalienne.