Lorsqu’il s’exprime sur la nature, il ne veut pas convaincre de la pertinence, il veut simplement emmener à découvrir les vertus par l’interlocuteur. Lui, c’est Moustapha Sarr, directeur de l’unique forêt naturelle au monde, située en plein coeur d’une ville capitale : Ouagadougou. Dans cet entretien, il décortique l’environnement, les bénéfices de la préservation de la biodiversité, les conséquences de l’action de l’homme sur la forêt.
Le Nouvel Afrique (LNA) : Qu’est-ce que le parc urbain Bangr-Weogo ?
Moustapha Sarr (M.S) : Le parc urbain Bangr- Weogo est une entité environnementale spécifique. Nous sommes en présence d’une forêt classée au coeur d’une ville capitale : Ouagadougou. L’objectif principal du parc est d’améliorer les conditions de vie des populations locales ou universelles. L’environnement en lui-même est universel. Autrefois, il était appelé «Bois de Boulogne.» Historiquement, il était le bois sacré des Mossé et plus spécifiquement celui des Nyonyosé qui sont les autochtones. Aujourd’hui, le parc urbain Bangr-Weogo est une forêt classée naturelle. Naturelle, parce qu’elle n’a pas été créée. Elle a grandi tout en subissant les dégradations dues à l’action de l’homme. Ce parc est ce qu’était autrefois la savane dans les pays sahéliens comme le Burkina Faso, c’est-à-dire bien boisé et bien drainé. Cette forêt existe depuis les années 1400 selon des sources orales. Le parc, étant un bois sacré à l’origine, abritait et abrite toujours, à l’heure où nous parlons, certains symboles traditionnels forts. Il s’agit de site sacré comme le puits, d’animaux sacrés comme le varan (de l’espèce du varan du Nil), le crocodile (de l’espèce du crocodile du Nil) et, le python sacré, de l’espèce du python de Sebba. Il y a aussi la rivière sacrée constituée aujourd’hui de 2 ou 3 mares. Des rituels coutumiers s’y déroulent à des moments de l’année. En général, il s’agit d’offrandes pour demander la paix, la joie, une bonne pluviométrie, la sécurité, le bien-être en général.
Dès 1917, cette forêt a été d’intérêt scientifique avec le titre foncier n°4 de l’Afrique occidentale française (AOF). Elle est devenue la propriété du colon. En 1936, elle a été érigée en forêt classée. Avec les indépendances, la forêt est devenue républicaine en gardant son caractère classé. Avec l’urbanisation et la démographie, la forêt s’est retrouvée en plein coeur de la ville. Elle est aujourd’hui à moins de 2 Kms du point zéro de la ville en sachant que Ouagadougou a une envergure de l’ordre de 30 à 40 Km. De ses limites qui ont pu être sauvées, le parc urbain fait 265 hectares : soit 240 (clôturé) au Nord, et 25 (non clôturé) au Sud. Le réaménagement et l’assainissement de cette forêt l’ont été grâce à la volonté du président du Faso, Blaise Compaoré et du maire de la ville de Ouagadougou, Simon Compaoré. Près d’un milliard de F Cfa (environ 1 million 600 mille euros) ont été injectés pour le réaménagement de ce parc de 1995 à 2000. Le 5 janvier 2001, la forêt a été rétrocédée à la ville de Ouagadougou. Le parc fut opérationnel dès le mois d’avril 2005. Aujourd’hui, ce sont 132 agents qui gèrent le parc, aidés par un comité de gestion et, un comité scientifique et technique de chercheurs, de professeurs d’université, etc. Bangr-Weogo, en langue nationale moré signifie littéralement la forêt où on acquiert le savoir.
LNA : Quels sont les objectifs visés à travers cette forêt ?
M.S : Il s’agit primo, de préserver le massif forestier (la forêt naturelle et sa biodiversité), secundo, de pratiquer l’éducation environnementale. Je précise que l’éducation environnementale n’a pas été importée car, elle fait partie de la fibre africaine. C’est l’initiation en Afrique. L’éducation environnementale consiste à avoir un comportement tendant à préserver son environnement. Pour citer certains devanciers, on dit qu’on ne l’a pas empruntée à nos parents, nous l’avons simplement héritée de nos enfants. C’est la notion de développement durable. Et ce terme existe dans toutes nos langues. Donc, pour l’africain, il n’y a pas d’éducation environnementale, il fait partie de cet environnement, c’est la fibre avec laquelle il est en symbiose. Ce sont les termes civilisation, modernisme, qui ont été mal interprétés faisant de nous aujourd’hui des prédateurs de notre propre environnement, partant de notre propre survie. A côté de ces objectifs, il y a la mise à disposition de la population d’un cadre de détente et de loisir. Aussi, existe-il le développement du tourisme et de l’écotourisme ainsi que la promotion de l’écocitoyenneté.
LNA : Depuis le lancement des activités, le parc a-t-il bénéficié d’un reboisement ? Si oui, quelles sont les espèces d’arbres que l’on retrouve dans le parc ?
M.S : L’amélioration des conditions de vie des populations est la visée première de cette forêt. Partir de l’homme et revenir à l’homme. Les campagnes de reboisement tel Ouaga la verte, l’aménagement d’espaces verts au travers de la ville prennent leurs sources à Bangr-Weogo. Nous avons été instruits par le Conseil municipal pour que la forêt naturelle soit un laboratoire, un poumon vert, un centre de production végétale et de reproduction animale. Du point de vue de la reforestation, la forêt est un réservoir de 1011 espèces d’arbres sur les 1400 que compte le Burkina Faso. En 2010, nous avons donné 12 000 pieds d’arbres à la commune pour mettre à la disposition de la population. Nous avons distribué 5 arbres dans chaque ménage. 2 à planter devant la porte et 3 dans la cour. Cela permet un suivi direct de ces plantations. Une pépinière a été érigée à l’intérieur du parc qui produit différentes espèces locales et exotiques. Je précise que les manguiers, les orangers, ne sont pas des plantes locales mais asiatiques. Les plantes locales sont le baobab, le néré, le résinier, etc. Nous avons réhabilité des espèces en voie de disparition comme Lan olas Sénégal cis. A côté de la pépinière, nous avons un herbier droguier vivant. Herbier, parce que ce sont des plantes, droguier, parce que c’est médicinal, vivant, parce que c’est planté sur place. Ce sont des supports qui permettent aux tradipraticiens de retrouver certaines espèces que l’on ne trouverait pas à 200 Km à la ronde. Ces traditpraticiens viennent chercher des graines, des racines, des plantules afin de reproduire ces espèces. Notre vocation n’est pas de les fournir mais plutôt de les apprendre à pêcher. Nous avons aussi un herbier physique et un numérique.
LNA : En Afrique, on a tendance à planter des arbres et à les couper lorsque le besoin en bois se fait sentir. Alors, quelles sont les conséquences de la coupe abusive du bois sur l’environnement avec la menace du désert ?
M.S : Lorsque le bois, on dit l’arbre, on dit la forêt. La forêt est un habitat non seulement des animaux mais aussi de l’homme qui est aussi un animal. C’est aussi notre garde-manger, notre sécurité. Un, la coupe abusive du bois nous déstabilise de façon objective. Deux, elle déstabilise l’écosystème et notre biodiversité. D’où la désertification joue sur l’environnement du point de vue du captage du carbone et de la libération de l’oxygène. Par exemple, on peut abattre un karité en moins d’une minute avec une tronçonneuse. Mais, pour le faire pousser, il faut au minimum 25 ans pour obtenir les premiers fruits d’un karité. C’est pourquoi, aujourd’hui, il faut planter beaucoup pour les générations futures.
LNA : Le mois de juillet est propice au reboisement. Mais, généralement, les gens reboisent mais le suivi n’est pas efficace. Quels sont les bénéfices des reboisements ?
M.S : Déjà, le fait de voir les gens sortir planter des arbres est une source de joie. Lorsqu’on plante, le message est passé mais, pas la sensibilisation. En plantant, il faut d’abord respecter les techniques de plantation des arbres. Ensuite, entretenir ce que l’on a planté en l’arrosant et en le soignant. Enfin, il faut protéger l’arbre par des grilles contre les hommes et contre les animaux. Lorsqu’on plante les arbres, en général, ce sont 30% qui survivent. A l’heure actuelle, nous avons commencé le reboisement depuis le mois de février au niveau du parc urbain Bangr-Wéogo. En outre, cette année, nous comptons mettre à la disposition de la mairie, entre 15 000 et 20 000 plants.
LNA : Il est clair que la gestion de 265 hectares de forêt en plein coeur de la capitale ne va pas sans difficultés. Quelles sont celles auxquelles vous faites face ?
M.S : La première difficulté est d’ordre financier. Le parc est soutenu principalement par la mairie de Ouagadougou qui y injecte par an près de 200 millions de F Cfa (environ 306 000 euros). En termes de parrainage actif, nous n’avons que ceux du ministère de l’environnement et du développement durable, l’Université de Ouagadougou ainsi que les partenaires au développement. A ce niveau, nous avons beaucoup besoin d’échanges interactifs pour nous améliorer. Les autres difficultés se résument aux incendies, aux inondations, le braconnage et la coupe abusive de bois. Il nous faut, en outre, pour être efficaces, avoir une ligne budgétaire propre pour pouvoir donner à cette forêt toute sa noblesse.
LNA : Quelles sont les commodités qu’offre cette forêt naturelle ?
M.S : En plus de celles déjà précitées, nous avons un jardin botanique, un parc zoologique de 72 hectares avec 60 espèces animales comme les chacals, les cobas (une vingtaine), une trentaine de water bouc, les gazelles de Thomson, les porcs-épics, les hyènes, les tortues, les crocodiles, les pythons, etc., et 227 espèces d’oiseaux toutes en liberté. Pour la population, nous disposons aussi de 140 hectares d’espace de détente et de loisir. Au parc urbain Bangr-Weogo, l’unique forêt naturelle au monde se côtoient le naturel, l’authentique et le durable. C’est un refuge, un poumon vert que la ville de Ouagadougou offre au monde entier.
LNA : Quelles sont les perspectives pour faire de cette forêt, une forêt à dimension mondiale ?
M.S : Avec toutes les spécificités qu’il comporte, le parc urbain Bangr-Weogo mérite d’être classé patrimoine touristique mondial. Car, il est en même temps un observatoire naturel et une victime des changements climatiques. Il est un bois sacré. Il est constitué de plusieurs biotopes à biodiversité complète. Nous produisons les animaux et reproduisons les plantes. Nous recevons des apprenants qui viennent du monde entier pour des recherches, des visites etc. Le parc reçoit en moyenne 360 000 visiteurs par an.