Dans son inspiration, l’un des plus grands intellectuels du monde contemporain de l’Afrique, Théophile Obenga a lancé un Appel à la jeunesse africaine afin de l’inciter à avoir foi en l’Afrique et en son avenir. Ce document précieux et d’une grande valeur inouïe a été extrait de son livre intitulé du même titre de la page 88 à 91.
Pour être, il faut vaincre. Vaincre ce qui amoindrit la réflexion, ou simplement engourdit le corps, obscurcit l'esprit. Vaincre l'adversité imposée par des choix décidés par des organismes qui combattent la pauvreté en l'instituant. Vaincre les forces, parfois invisibles, qui détournent des missions et des tâches de responsabilité. Pour être, il faut agir. Agir pour que la victoire' se dessine et arrive, même à pas de colombe. La victoire est un état de bonheur. Elle nourrit l'émotion, fortifie la raison, donne sens à la vie. Si le présent a ses exigences, l'avenir se loge déjà dans ce qui paraît fluide, imperceptible, et également dans la grande vision panafricaine. Il faut sortir de l'enfermement idéologique des « pays riches» et des « pays pauvres. Toujours la grande vision rassure: les Etats-Unis, l'Union Européenne, le Mercosur, l'Etat fédéral africain continental. L'humanité avance désormais par grande vision géopolitique et géostratégique. Simple axiome contemporain. Faut-il justifier ce qui est d'emblée évident?
Or, la « situation» est assez complexe en Afrique noire, car ce qui fut et arriva jadis (traite négrière occidentale, esclavage, colonisation, mépris humain. et culturel) est encore et arrive à nouveau (immigration interdite, programmes d'ajustement structurel, pandémie du sida, communautés factices pour mieux dominer et exploiter, guerres civiles soutenues pour vendre des armes et apporter des aides humanitaires aux fins de mieux assurer le pompage de l'Afrique; développement diversifié du racisme occidental millénaire). L'Occident perd de plus en plus le sens des valeurs. Les responsables politiques africains eux-mêmes font du pouvoir noir africain un moyen de corruption politico-financière, de gestion patrimoniale du bien public, de gaspillage des ressources nationales, de chute catastrophique des systèmes sanitaires et éducationnels. Le chômage augmente plus vite que la pauvreté et la pauvreté plus rapidement que le désespoir. Les guerres civiles ont fait des bambins des «enfants-soldats », davantage drogués que militaires professionnels. Or, il faut être, résister, lutter, vaincre, agir, développer une Grande vision, proposer un destin digne de l'Immensité territoriale africaine des richesses naturelles abondantes, du génie fort inventif du peuple africain. Dans l’angoisse et l'incertitude des lendemains, il faut faire bloc, s'organiser, créer des réseaux d'agitation militante et de réflexion collective, partager la capacité collective d'esprit critique, avoir l'humilité car la tâche est complexe, difficile et longue, cultiver le sens du goût du vrai, du juste, du bien et du beau. L'Afrique en effet peut être unie, solidaire, forte, belle, fraternelle, juste, aimant d'un amour égal ses partenaires, ses amis, et protégeant vivement ses propres intérêts. Si humanisme il y a, c'est bien celui africain, depuis l'Egypte des Pharaons qui n'a pas connu le système de production des biens matériels basé sur l'esclavage, a ignoré le système carcéral d'Etat, n'a jamais décidé pénalement de la mort d'un malfaiteur (même violeur et voleur de tombes royales), n'a jamais pratiqué l'homosexualité (masculine ou féminine), n'a jamais torturé des prisonniers de guerre ligotés (pour les empêcher de fuir), n'a jamais imposé sa foi religieuse, sa spiritualité à d'autres nations, d'autres peuples. Il faut être bien ignorant de la civilisation pharaonique pour rêver en déclarant que les pyramides furent construites par des esclaves ou par des Enfants d’Israël asservis par Pharaon, homme d'Etat d'une envergure spirituelle rare. Abraham, premier patriarche de la Bible, n'était pas encore né lors de la construction des pyramides égyptiennes.
Pour un Etat fédéral africain
Pourquoi la politique africaine ne construiraitelle pas un Etat fédéral panafricain continental? Pourquoi la politique africaine n'aurait-elle pas une grande vision de l'avenir du continent? Pourquoi la politique africaine ne ferait-elle pas de l'Afrique une masse géopolitique et géostratégique respectée, admirée, dans la globalisation des économies-mondes, des entreprises, des sciences, des technologies? Il n'est pas écrit dans des documents sacrés que la mémoire des corps des jeunes africains doive s'enraciner et se développer dans les souvenirs des routes de l'immigration et des guerres civiles dont les mobiles seront d'un poids tout à fait léger dans un proche avenir. Le triomphalisme n'est que d'actualité, le regard historique est rarement superficiel. Avec les moyens financiers énormes dus aux hydrocarbures (pétrole, gaz naturel), il n'est pas malheureux de laisser quelque chose de grand, de magnifique, de mémorable, pour les générations à venir. C'est même une obligation politique. Bien des peuples dans l'histoire humaine ont réussi avec peu, presque rien, à l'exception de leur volonté, de leur amour-propre, de leur détermination réfléchie, de leur travail régulier et persévérant, des décennies, des siècles.
Jeunes africains, garçons et filles, vivant en zones rurales ou dans les cités populeuses, la « situation » africaine peut connaître un renversement si les Africains le veulent et le décident ainsi: l'avenir est à imaginer glorieux dans les cerveaux. Il est à bâtir en retroussant les manches. Il existe des valeurs de tolérance mutuelle, de confiance en soi, de travail concerté, d'espoir inaltérable. L'unique règle qui doit être commune: ne jamais trahir les intérêts africains, même le couteau sur la gorge, et cultiver la fidélité à l'Afrique sous forme de pacte de sang. Ainsi l'Afrique sera-t-elle portée, bien haut, par l'ardeur et l'enthousiasme de sa jeunesse innombrable et intelligente. La Renaissance Africaine en effet est un grandiose projet d'intelligence politique, d'analyse économique appropriée, de promotion culturelle africaine audacieuse, de détermination patriotique pour le bonheur de tout le peuple africain. En prenant au sérieux ce projet magnifique d'intelligence politique africaine qu'est la Renaissance Africaine, l'Afrique du Sud se positionne elle même, comme il se doit, comme moteur du Renouveau africain après les cycles de malheur, de colonisation et d'apartheid. Il n'y a rien d'anodin dans la souffrance des peuples. C'est cela, et rien d'autre, dans le concept global de Renaissance Africaine: l'aboutissement de la chaîne infinie de luttes victorieuses du peuple africain, en ce début du 21èmesiècle. D'autres, parmi nous, n'entendent pas avec leurs oreilles et ne voient pas avec leurs yeux. L’imagination elle-même est en dysfonctionnement. L'aliénation, profonde, persiste. Heureusement ceux qui entendent et voient, imaginent et espèrent, doutent mais luttent, sont nombreux, et ardemment panafricains: Africa must unite.
Vaste cri de ralliement. Immense clameur continentale. La Jeunesse Africaine réalise de plus en plus, et nettement, que vivre dans l'histoire, en tant que sujets historiques, c'est imprimer sa marque aux temps historiques qui passent. Les êtres humains en effet vivent dans un monde éthique, c'est-à-dire un monde de réflexion et de responsabilité: il est salutaire que la Jeunesse Africaine se fasse à l'idée de Renaissance Africaine, d'Etat fédéral panafricain continental, ce qui est une idée de Grandeur Historique pour l'Afrique et pour la civilisation humaine qui s'en vient.
La grandeur, l’autre face du bien
La Grandeur est l'autre face du Bien, son immense signe dans l'Histoire. Certaines notions empiriques et positivistes doivent être abandonnées, afin que la Jeunesse Africaine se dresse et s'engage résolument dans le monde éthique de l'histoire humaine.
Jeunesse Africaine, fière, brave, debout! Le moment historique approche opportunément. Regarde! Le soleil ardent du continent est à son horizon oriental, juste levé, t'apportant vie et santé, énergie et intelligence, amour et contentement plénier. Tu espères, par ton travail, donner le meilleur de toi-même au continent. Il se raconte beaucoup de choses à ton sujet. La politique des programmes d'ajustement structurel, neufs et vieux, t'est suicidaire. L'immigration, même agréée, est choisie. Il n'est pas certain que ton bonheur puisse définitivement en dériver. Coriace, le virus du sida t'a été inoculé par la méchanceté occidentale. C'est la logique constante des pays du Nord depuis les codes noirs du Siècle des Lumières: atteindre, paralyser, au mieux éliminer les forces vives et juvéniles du continent pour le pomper en toute tranquillité. Les «pères fondateurs» et les « présidents-à-vie » ferment les yeux et croient servir l'Afrique.
Jeunesse Africaine, fière, courageuse, debout! Les circonstances te sont plus que jamais favorables. Sache, tu le sais: la paix dans le monde n'est pas encore au rendez-vous avec elle-même, en dépit des efforts de Albert Luthuli, Martin Luther King, Nelson Mandela, Desmond Tutu et Wangari Maathai, tous Prix Nobel de la Paix. Il est à remarquer que l'ANC est le seul parti politique à avoir reçu trois fois le Prix Nobel de la Paix au 20èmesiècle. Tu le sais tout autant: l'énergie (pétrole, gaz naturel) divise profondément les nations, la communauté internationale (ce qu'il en est de ce mythe du 20èmesiècle). Ainsi aussi de la science et de son application: la maîtrise et la pleine possession du nucléaire sont cause de conflits éventuellement tragiques pour l'humanité. Mais cela n'exclut pas de penser sérieusement au Programme du Nucléaire civil africain. En se globalisant, le commerce engendre des puissances géopolitiques et géostratégiques diamétralement opposées. Ainsi va la mondialisation. Outre l'amère ironie, la remise des dettes des pays très pauvres n'a pas abouti.
Rien qui vaille. La corruption? Son royaume de prédilection est tout l’Occident, constant donneur de leçons. C'est son eurocentrisme tyrannique. Le paradigme Afrique-Asie paraît plus négociable, sans les vieilles couches psychologiques datant de l'ère coloniale.
Sache, tu ne l'ignores pas, Jeunesse Africaine: tu possèdes des symboles, nombreux, pour résister, lutter, réfléchir, imaginer, méditer, créer et gagner: de la reine Nzinga à Christiane Taubira en passant par Mary Mc Leod Bethune, Anna Julia Cooper, Sojourner Truth, Ida B. Wells, et Winnie Mandela et Miriam Makeba. Et aussi de Nat Turner à Lumumba, de Lumumba à Tom Mboya, de Tom Mboya à Cabral, de Cabral à Steve Biko. Telle est la chaîne panafricaine, solide.
Faut-il te rassurer en t'indiquant le chemin que tu connais déjà? Ce long chemin qui va de Marcus Garvey à Thabo Mbeki en passant par Kwame Nkrumah et Cheikh Anta Diop et qui a pour nom: Panafricanisme, Etat fédéral panafricain continental, Renaissance Africaine. Et Bob Marley et Pierre Akendengué ont vivement célébré ce chemin d'espoir. Suis ce chemin de gloire, d'honneur, de fidélité et de sacrifice. Suis-le. Elargis-le selon tes outils de travail, ton corps, ton esprit, ton intelligence, ta foi, ton amour patriotique.
En effet, la quête du destin africain et son accomplissement, à l'échelle humaine, n'est que ce chemin d'unité, de solidarité, de partage, de concertation panafricaine, de grande vision continentale, transcendant lignages, clans, villages, tribus, ethnies, Etats-nations, plaies des guerres civiles, précarités sociales, vulnérabilités psychologiques, fragmentations et fragilités politiques au plan mondial, international, planétaire. Dure et longue est par conséquent la tâche.
L’Afrique, présente dans la fabrication du futur
Dans le système solaire qui est le nôtre, l'être humain a ses origines paléontologiques, culturelles, sexuelles, spirituelles et réflexives en Afrique, berceau de l'humanité actuelle. Le savoir implique que l'Afrique sera toujours là, présente, active, dans la fabrication du futur de l'humanité. Il faut y préparer sa jeunesse. Jeunesse Africaine, sois éveillée, plus que jamais! Il s'agit de Toi, de ton avenir. De l'Afrique, de son futur. De l'humanité, de son ouverture à elle-même, de ses grands idéaux de civilisation. L'Afrique n'a que trop subi le descriptif des autres: « l'Afrique noire est mal partie», «l'Année de l'Afrique» (qu'une pauvre année !), « l'Afrique des colonels », «l'Afrique fantôme », «l'Afrique problématique contemporaine qui engage déjà le futur de l'humanité? Consommer les efforts réflexifs des autres, être pillés par les stratégies politiques et économiques des autres, jouer et chanter en marge de l'essentiel de «la Marche du Monde»: est-ce véritablement vivre en assumant sa part de responsabilité humaine? Les masques africains parlent à qui sait entendre et comprendre. Ils disent la vie, dans une affirmation presque dramatique. C'est qu'ils savent aller au fond d'eux-mêmes et des choses. Ils ont ainsi développé un grandiose et majestueux dialogue avec la nature. Retenons au moins cette capacité de tenir conversation entre nous-mêmes, avec nous-mêmes, avec le monde, avec les autres peuples, les autres civilisations de notre humanité. Il n'y a rien, de plus, de moins, dans cet Appel à la Jeunesse Africaine, sinon cette conversation panafricaine, continentale, pour mieux voir, entendre, analyser, réfléchir, comprendre, agir, créer, léguer l'espoir et l'optimisme aux générations africaines futures. Ainsi va la vie, offrant à chaque génération, au fil des temps, sa chance historique, à gaspiller par étourderie ou à transformer en responsabilité humaine engagée. Entre l'étourderie, l'insouciance, la peur de soi et du monde, la fixation inutile sur le détail, la Jeunesse Africaine, hier comme aujourd'hui, a opté pour l'engagement responsable, face à sa mission historique, ici et maintenant.