Article publié le 2008-04-26 par Alexandre Korbeogo Dossier
Accords de partenariat économique : La pomme de discorde entre l’Afrique et l’Europe [02/2008]
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Les Accords de partenariat économique entre l'Union européenne et les pays Afrique Caraïbes et Pacifiques suscitent débat et passion en Afrique. Souvent houleux, souvent divisionnistes entre les pays d'Afrique, les APE sont la pomme de discorde entre l'UE et les ACP. Pourquoi cet état de fait ? Quelle est l'histoire de ce système d'échanges commerciaux qui fait des remous ? Dossier.

Prévu pour être signé au plus tard le 31 décembre 2007, les APE seront remis aux calendes grecques par les pays ACP. Cette situation s'explique, à croire les techniciens, par la gestion des priorités. L'Afrique dit «développement» d'abord avec les mesures d'accompagnement, l'UE dit «échanges commerciaux» d'abord, «développement et mesures d'accompagnement» ensuite.

Genèse

Selon le Conseiller spécial du président de la Commission de la CEDEAO, Ablassé Ouédraogo, «l'Europe et l'Afrique ont toujours entretenu des relations de coopération, qui remontent aux temps immémoriaux. Quand les pays africains sont devenus indépendants, les deux régions ont voulu formaliser les relations dans le cadre d'une coopération d'abord et d'un partenariat ensuite.» C'est ainsi qu'il y a eu les conventions de Yaoundé, de Lomé, puis l'Accord de Cotonou, signé le 23 juin 2000. Selon cet expert de la CEDEAO, dans l'Accord de Cotonou, il est indiqué qu'à la date du 31 décembre 2007, un accord de partenariat économique (APE) complémentaire à l'accord de Cotonou devrait être signé. L'Accord de Cotonou, contrairement aux conventions de Yaoundé et de Lomé, a mis le commerce au centre de la relation Europe-Afrique. Avec la mondialisation, il ressort qu'on ne peut plus accorder un traitement de faveur à qui que ce soit si l'on veut vraiment respecter les règles de commerce international de l'OMC, Institution mise en place depuis le 1er janvier 1995. En signant l'Accord de Cotonou, les pays ACP et ceux de l'UE se sont alors mis d'accord pour mener des négociations en vue de la signature d'un APE dans le cadre de six régions.

«Diviser pour mieux régner »

La stratégie de l'Union européenne en emmenant les pays ACP à la table des négociations a été de diviser les 78 pays qui les composent, chaque région devant discuter directement avec l'UE. Pourquoi cette approche régionale? Pour une raison toute simple. L'accord de Cotonou dit que le moment venu, l'APE doit faire de l'intégration régionale le fondement du développement. Il s'agit en effet, de procéder à une meilleure insertion des pays ACP dans l'économie mondiale avec pour objectif prioritaire l'éradication de la pauvreté et la construction d'un développement durable. Mais en répartissant les 78 pays ACP en six groupes, les Européens ont fragilisé leurs capacités de négociation. En Afrique centrale, ce sont les ministres qui négocient directement avec la Commission de l'Union européenne à Bruxelles. En Afrique de l'Ouest, les chefs d'Etat en décembre 2001 ont donné un mandat de négociation à la CEDEAO en collaboration avec l'UEMOA.

Des blocages

Depuis 5 ans les négociations piétinent et même flanchent. «Malheureusement, les négociations accusent un retard et la responsabilité de ce retard incombe à la fois aux ACP et à l'Union européenne» selon une source proche de la CEDEAO. Des blocages ont été enregistrés de part et d'autre alors que la fameuse date buttoir du 31 décembre 2007 se rapprochait. Que faire? Les Européens disent qu'à partir du 31 décembre 2007, ils n'appliqueront plus les préférences de Cotonou acceptées lors de la quatrième conférence ministérielle à Doha en novembre 2001. L'on se rappelle qu'a Doha, la conférence a failli être bloquée pour cette question.

Signature dans 12 à 18 mois?

Selon des techniciens, l'heure est aux tractations sans oublier qu'en Afrique de l'Ouest, des pays ont déjà paraphé des accords intermédiaires. Sur les 16 pays (la Mauritanie ayant rejoint la CEDEAO pour cette négociation), c'est au niveau des pays à revenu intermédiaire, c'est-à-dire les non-PMA, à savoir la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Nigeria et le Cap Vert (depuis le 1er janvier 2008), que le problème se pose, les Européens menaçant de leur imposer des droits de douane à partir du 1er janvier 2008.

Pour contourner la difficulté, l'Afrique de l'Ouest a demandé à l'UE d'obtenir une prorogation de la dérogation, ce qui aurait permis aux négociateurs de finaliser le texte de l'APE et de conserver dans l'entre-temps les préférences de l'Accord de Cotonou. Dans 12 à 18 mois les négociations pourraient être achevées et l'APE signé.

Pourquoi le 31 décembre n'a pas été respecté

Le 5 février 2007, l'Union européenne et l'Afrique de l'Ouest ont passé en revue le travail qui a été effectué et ce qui reste à faire. Ils se sont rendus compte que le chantier relatif à la détermination des programmes et mesures d'accompagnement et leur financement était loin d'être achevé. Il faut aussi déterminer le calendrier pour l'accès au marché, dont la liste des produits sensibles par pays et pour la région. Ainsi, pour signer un accord il faut un texte. Voilà pourquoi les ministres de la région ont fait, le 5 octobre 2007 à Abidjan, de l'incapacité de signer à la date du 31 décembre 2007 et décidé de solliciter la prorogation de la dérogation.

Selon le Conseiller spécial du président de la Commission de la CEDEAO, Ablassé Ouédraogo, «les Européens ne veulent pas de la dérogation et au lieu de travailler au renforcement de l'intégration régionale, ils ont joué pour la division des communautés économiques régionales en faisant parapher par certains pays à titre individuel des accords d'étape». Ainsi, ils ont mis de fortes pressions sur des pays tels que la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Nigeria, en leur faisant croire que les pays les moins avancés (PMA) qui bénéficient du Système de Préférences Généralisée (SPG) n'ont pas de problèmes même sans signer avant la date butoir. En effet, le SPG confère aux PMA le bénéfice de l'initiative «tout sauf les armes». Il s'agit là aussi d'une duperie, l'Afrique ne produisant pas d'armes. De plus, ce continent ne produit pas grand-chose qui puisse être exporté en Europe.

En Afrique de l'Ouest, les Européens ont négocié directement avec les pays à revenus intermédiaires. Ce qui est d'ailleurs une violation du traité de l'UEMOA, lequel stipule en son article 84 qu'en matière de commerce, aucun des huit pays ne peut négocier et signer un accord commercial individuellement. Au niveau de la CEDEAO, le Tarif Extérieur Commun et l'Union douanière en cours de mise en place reflètent la même volonté de solidarité. Pendant que l'Union européenne soutient que les APE vont consolider l'intégration régionale, qui est la base du développement, elle contribue à compromettre les closes de l'intégration en Afrique de l'Ouest.

Libéralisation oui mais, développement d'abord

«Le pilier libéralisation des échanges permet, sur la base de la réciprocité, que l'Europe exporte sur la région autant de marchandises et de services qu'elle veut. Les ACP peuvent aussi le faire mais comme en réalité ils n'ont pas grand-chose à exporter, les Européens risquent d'étouffer leurs industries naissantes. C'est là tout le danger», a expliqué une source. L'Union Européenne veut examiner plus tard l'autre pendant, le volet développement. Mais si on ne négocie pas un Accord complet en même temps, les pays se retrouveront avec un accord biaisé et non porteur de développement, dont rien ne garantit plus tard la prise en compte ?

D'ailleurs, bien d'Européens sont convaincus de la justesse de la position prise par l'Afrique de l'Ouest. Le volet «développement», consiste à mettre en oeuvre des programmes de renforcement des capacités de production des pays. Une fois que la compétitivité des économies sera mise à niveau, l'Afrique de l'Ouest pourra se présenter sur les marchés européens et faire la concurrence aux produits européens. Ceci est également vrai pour les autres régions d'Afrique. Mais aujourd'hui, les économies africaines ne sont pas armées pour être compétitives devant celles des pays européens. C'est une réalité qui saute aux yeux.

Vers un accord global

L'Accord régional global et complet qui continue d'être négocié sera finalisé et signé. Les deux accords d'étape de la Côte d'Ivoire et du Ghana disparaîtront alors. En demandant une dérogation à l'UE, l'Afrique de l'Ouest s'est basée sur certains cas qui font jurisprudence à l'OMC, comme l'AGOA qui établit une relation entre les Etats-Unis et un certain nombre de pays africains et qui fonctionne sur la même base de la demande de dérogation depuis quatre à cinq ans. Le deuxième cas est celui du CEBERA, qui établit une relation entre le Bassin des Caraïbes et les Etats-unis.

L'Union Européenne devrait faire enregistrer la requête de prorogation de la dérogation par le Conseil général de l'OMC. Il ne s'agit même pas de prendre une décision sur la demande de la dérogation. Dans tous les cas, les accords d'étape que la Côte d'Ivoire et le Ghana ont paraphés sont de facto une prorogation de la dérogation, comme l'Afrique de l'Ouest l'avait demandé. Par ailleurs, à l'OMC, seuls les textes signés sont pris en considération, les paraphes n'ayant de valeur.

Les produits sensibles en Afrique

Rappelons que l'APE comporte deux volets : commercial et un volet développement. La détermination des produits sensibles concerne la dimension commerciale, qui comprend un sous-volet, l'«offre d'accès au marché». Dans la négociation, chaque région formule son offre d'accès au marché, comprenant une liste de produits à différer dans le calendrier de la libéralisation. Ce sont les produits sensibles et pour lesquels la libéralisation peut s'accompagner de chocs socio-économiques, à court et moyen terme, et peut entraîner l'éviction des producteurs régionaux de leurs marchés par la concurrence des exportations européennes ou une perte importante de recettes douanières pour.

A cet effet, la CEDEAO a mis à la disposition des pays un guide méthodologique. L'approche implique les différents acteurs au niveau national (l'Etat, le secteur privé, la société civile et les organisations professionnelles), avec l'appui technique et financier de la région. D'ici mars 2008, les pays seront en mesure de soumettre les listes des produits sensibles au niveau régional. La CEDEAO et l'UEMOA procèderont ensuite à la synthèse et à l'arbitrage nécessaires en vue de dresser une liste régionale, base de l'offre à proposer à la partie européenne. L'Afrique de l'Ouest, majoritairement agricole, devra certainement privilégier des produits tels le blé, les oléagineux et les produits laitiers.

En définitive, si l'Afrique veut avoir gain de cause dans la saga de l'APE, elle doit faire primer son développement, puisqu'elle n'a rien à gagner sur le plan commercial face à la concurrence des produits de l'UE.


 Les objectifs spécifiques de l'APE 

  • Créer progressivement entre les pays ACP et l'Union Européenne une zone de libre échange compatible avec les règles de l'OMC
  • Instituer une relation commerciale et économique qui donne la priorité au développement et à la réduction de la pauvreté, objectif premier de l'Accord de Cotonou
  • Approfondir le processus d'intégration régionale et en faire le socle principal du développement des échanges commerciaux avec l'extérieur
  • Améliorer la compétitivité des économies ACP à travers le renforcement des capacités et la mise à niveau de l'outil de production
  • Améliorer l'accès aux marchés pour les exportations ACP à travers la mise aux normes des produits et la levée des barrières non tarifaires.