Coordinatrice du Centre international pour l’éducation des filles et des femmes en Afrique (CIEFFA) «Le CIEFFA représente un réel espoir pour l’éducation des filles et des femmes en Afrique»
Enseignante de formation et inspectrice de l’enseignement secondaire en sciences, Aminata Elisabeth Ouédraogo est la coordinatrice du Centre international pour l’éducation des filles et des femmes en Afrique (CIEFFA). L’éducation des filles et des femmes en Afrique, elle en a fait sa lutte depuis 2001 lorsqu’elle a pris les rênes de cette institution internationale. Dans cet entretien, la coordinatrice ne fait pas dans la langue de bois. Elle brosse les péripéties qu’à traversées et que traverse le CIEFFA, situe les responsabilités et lève un coin de voile sur cette institution qui représente « un réel espoir pour l’éducation des filles et des femmes en Afrique ».
Le Nouvel Afrique (LNA) : Veuillez-vous présentez à nos lecteurs et dites-nous qu’est-ce que le CIEFFA ?
Aminata Elisabeth Ouédraogo (AEO) : Je m’appelle Aminata Elisabeth Ouédraogo Née Bancé. J’ai été nommée à la tête de cette institution qui est le Centre international pour l’éducation des filles et des femmes en Afrique (aujourd’hui, nous ajoutons de l’Union africaine parce qu’elle est devenue une institution spécialisée de l’Union africaine) en janvier 2001. En 1990, au sortir de la conférence mondiale sur l’éducation, des recommandations ont été faites aux pays d’accorder une attention particulière à la situation des filles et des femmes pour accroître ou améliorer ou «booster» le développement des différents pays. Le Burkina Faso a estimé qu’une autre contribution pouvait être apportée à cela en créant une institution publique d’envergure sous régionale à défaut d’être continentale. C’est cette ambition qui a conduit le Burkina Faso à initier auprès de l’UNESCO. Durant 6 ans consécutifs, le Burkina Faso a fait cette démarche auprès de l’UNESCO. C’est finalement en 1999, que l’UNESCO a porté le projet de création de cette institution qui, déjà à l’époque s’appelait le CIEFFA depuis 1995.
LNA : Effectivement, le projet de création du CIEFFA a été lancé en 1995 pour être une réalité en 1999. Quelles sont les péripéties qu’a connues ce projet pour atteindre 4 ans avant de devenir une réalité ?
AEO : L’UNESCO a pris note de la création de ce Centre dans son document programme éducation. Elle a voté un budget pour sa mise en place. Les activités ont suivi leur cheminement. Mais du fait que lorsque les responsables des institutions changent, beaucoup de choses changent aussi. Des réformes ont été opérées au sein de l’UNESCO avec de nouveaux responsables. L’UNESCO a retiré de ces textes les attributions qui étaient les siennes dans ces statuts. Grosso modo, l’histoire du CIEFFA est très longue et elle dure depuis 2001 que je suis à la tête de cette institution.
LNA : Le CIEFFA, au cours de son évolution a connu des changements au niveau de son statut institutionnel avec son affiliation à l’Union africaine. Quelles sont les motivations qui ont conduit à ce changement de statut institutionnel ?
AEO : Le changement de statut institutionnel rentre dans le cadre du cours de l’histoire de l’évolution du CIEFFA. Lorsque l’UNESCO a pris la décision de se retirer, il fallait donc que le CIEFFA travaille à rallier les Etats africains à sa cause. Et, cela n’a pas été facile. Il fallait aller de pays en pays pour faire un plaidoyer afin de trouver les moyens.
LNA : Dans cette situation, que restait-il à faire ?
AEO : Après ce qui s’est passé avec l’UNESCO, nous avons créé un accord constitutif. Le Gouvernement du Burkina Faso a trouvé pertinent de porter le dossier devant l’union africaine. Lors du sommet de juillet 2004, le chef de l’Etat du Burkina Faso a porté le dossier devant ses homologues. Et, le sommet a pris une décision faisant du CIEFFA, une institution spécialisée de l’Union africaine.
LNA : Ce fut une lutte de longue haleine…
AEO : En effet. Les chefs d’Etats ont jugé pertinente la création de cette institution parce qu’elle n’existait pas. Il n’existait sur le continent que des associations, des ONG mais pas une institution spécialisée dans l’éducation des filles et des femmes. Cette conférence des chefs d’Etats a fait preuve de perspicacité en décidant de faire du Centre international pour l’éducation des filles et des femmes, une institution spécialisée de notre organisation continentale. A présent, entre les décisions et leur mise en oeuvre, il y a du chemin à faire.
LNA : Pourquoi ?
AEO : Parce qu’il est attendu que l’Union africaine assume entièrement ses responsabilités vis-à-vis de cette institution qui est devenue la sienne. En termes de financement des activités, je dois affirmer que pour la poursuite de ce dossier, l’ambassadeur du Burkina Faso en Ethiopie a joué un rôle très important. Cela a permis à ce dossier d’être traité rapidement. Il a continué son action qui a permis d’inscrire au budget ordinaire de l’Union africaine en 2006, la somme de 500 000 dollars US pour les activités du CIEFFA. Je précise que c’est l’unique fois où nous avons vu cette inscription dont, nous avons été officiellement informés. Mais, ce fut la croix et la bannière pour avoir la mise à disposition de ces fonds. Mais il n’était pas possible d’utiliser ces fonds pour recruter du personnel. Donc, ce fonds a été utilisé uniquement pour les activités de substance du CIEFFA. Cela n’a pas été répété en 2007 ni en 2008. Mais je sais que l’ambassadeur fait son travail. Cependant, ceux qui doivent envoyer les fonds ne le font pas.
LNA : Et, comment vous arrivez à survivre ?
AEO : Nous avons été faits une institution de l’Union africaine. A ce titre, nous avons été rattachés à la commission des ressources humaines, sciences et technologies de l’Union. C’est cette commission qui manage la mise à disposition des fonds. Sous la pression, elle avait fini par nous envoyer les 500 000 dollars du budget 2006 que nous avons reçus en octobre 2006 à deux mois de la fin de l’année. Je sais que l’ambassadeur continue de faire son travail, de donner des instructions à son personnel, afin d’inscrire le CIEFFA dans le budget mais le département des ressources humaines qui doit nous transférer ces fonds fait ce qu’il veut. En 2007 et en 2008 nous n’avons rien reçu. Nous avons passé notre temps à écrire mais rien n’y fit. C’est pourquoi, nous avons eu des passages à vide sur le plan des activités. Peut-être qu’il faut dire qu’il y a une reprise timide. Les deux grandes activités que nous avons pu faire, à savoir le renforcement des capacités des points focaux anglophones et francophones que nous avons dans les pays (parce que le CIEFFA a des points focaux dans différents pays qui ont été nommés par les ministres en charge de l’éducation sur la base des critères que nous avons envoyés), nous n’avons pas pu faire autre chose parce que 120 000 dollars ne peuvent pas suffire à faire grand-chose.
LNA : Après 10 ans d’existence quel bilan faites-vous de l’existence du CIEFFA même si par moment, les fonds ont fait défaut ?
AEO : Effectivement, les fonds ont par moment fait défaut. Mais la détermination des agents mis à la disposition du CIEFFA par le Gouvernement du Burkina Faso a permis de faire un certain nombre d’activités très significatifs. Comme vous le savez, on ne peut pas naviguer dans le vide, il faut avoir un plan d’actions. A cet effet, nous avons commencé par élaborer le plan d’action quinquennal 2003-2007 avec l’appui d’une consultante, des rencontres de travail avec des partenaires à travers l’Afrique et des rencontres avec des institutions. Nous avons élaboré le premier draft du programme d’action quinquennal. Il a été suivi par un colloque international sur le genre, l’éducation, le développement et le progrès des sociétés africaines en mars 2003. Les participants à ce colloque ont amendé ce programme d’activité quinquennal qui est devenu une réalité. Au cours de ce colloque, nous avons perçu tous les besoins du continent relatif à la question genre. Il y avait énormément de besoins que le programme quinquennal 2003-2007 a essayé de rassembler. Il a été demandé des formations et des études. Les études nous permettent de faire le point.
LNA : Revenons un peu sur ces études où vous avez fait cas des obstacles persistants dans l’éducation des filles et des femmes en Afrique. Quels sont les obstacles persistants dans l’éducation des filles et des femmes en Afrique ?
AEO : En Afrique australe, c’était une des préoccupations de l’atelier. Pour cette zone, l’UNICEF a mené une étude sur ces obstacles qui constituent de nouveaux défis. Nous avons constaté surtout que les violences changent de forme. Les violences sont de plus en plus courantes dans les établissements, les lieux d’éducation et de formation. Les mariages précoces sont toujours des obstacles persistants. Les aspects négatifs des cultures africaines sur les femmes continuent d’être exploités comme tels. Nous nous en sommes rendu compte dans cette zone de l’Afrique de cette réalité. Les femmes ne sont pas considérées, elles sont marginalisées. Peut-être qu’ils sont favorables à l’éducation des filles mais qu’est-ce qu’on fait si on ne les laisse pas aller jusqu’au bout de leur cursus? Le résultat n’est pas évident. Et, il y a énormément d’obstacles qui font qu’elles ne vont pas jusqu’au bout.
LNA : Selon vous qui avez de l’expérience au CIEFFA, quel regard pouvez-vous jeter sur l’éducation des filles et des femmes en Afrique ? Surtout, quelles sont les causes du faible taux d’éducation des filles et des femmes en Afrique ?
AEO : les sociétés ont des traditions dont elles ont du mal à se défaire. C’est pour cela que les sensibilisations et les prises de conscience sont actuellement indispensables pour promouvoir le changement. Si les gens restent dans ce qu’ils ont forcement trouvé et qu’ils veulent reproduire, parce que selon eux, c’est la meilleure, naturellement cela ne va pas être facile. C’est ce qui explique cet échec car les gens ont toujours peur du changement. Ils préfèrent être des conservateurs. Ce sont là autant de raisons qui expliquent cette situation. Cependant, à moins de vivre en autarcie, même si vous ne voulez pas vous développer, vous êtes gagné par le développement. Vous êtes gagné par ce qui se passe autour de vous. Et, vous n’aurez pas le choix que de vous y faire. Donc, les gens pensent que l’école ne sert à rien pour les filles. Certains pensent que ce n’est pas la peine d’envoyer des filles à l’école car, pour eux, le rôle des filles c’est de se marier et de faire des enfants. Mais les contextes ont changé. Le développement exige autre chose. Les hommes ne peuvent pas être les seuls à nourrir toute la famille. Cela n’est pas possible et la femme ne peut pas se contenter de faire des enfants. Il est même difficile de voyager lorsqu’on ne sait pas lire et écrire.
LNA : Alors Madame la Coordonnatrice, après 10 ans d’existence, est-ce-que le CIEFFA a-t-il l’impression d’avoir fait oeuvre utile en matière d’éducation des filles et des femmes en Afrique ?
AEO : Assurément, ce que nous avons fait est utile. Si nous avions eu les moyens que nous attendions, nous aurions fait davantage. Notre programme d’action 2003-2007 est énormément riche. Si on avait pu mettre en oeuvre, ne serait-ce que le tiers ou le quart de ce plan d’action, cela n’aurait pas été rien. Cependant, les études que nous avons initiées sont diffusées. Ces études ont été utiles. A un moment donné, nous avons fait le point et nous nous sommes donné des pistes pour aller de l’avant. Nous avons fait des formations sur le genre. Le leadership féminin est un problème qui a été soulevé dans le plan d’action. Il s’est agit parallèlement au fait du plaidoyer pour envoyer les filles à l’école, de faire en sorte que les femmes puissent renforcer leur capacité en termes de leadership féminin. Non seulement pour entrainer la base mais aussi se positionner aussi pour apporter une contribution effective au développement et au progrès des pays. Nous avons fait des formations sur le leadership féminin au Cameroun et en Gambie au profit des femmes directrices et celles travaillant dans les finances. Nous leur avons appris comment développer le leadership dans leur domaine respectif. Nous avons aussi doté des pays en matériels et travailler pour le recrutement paritaire. Actuellement, notre grand projet se porte sur l’élaboration d’un Guide. La conception a été entamée en 2006.