Article publié le 2011-01-11 par Par Noël Obotela Rashidi Dossier
FEMMES / Marche mondiale des femmes - La femme congolaise entre honneur et responsabilité [11/2010]
3 femmes victimes de violences au Sud-Kivu © Vestvik

Lancée, le 8 mars 2010, la Marche Mondiale des Femmes (MMF) a connu son point de chute, le 17 octobre 2010, à Bukavu, chef-lieu de la Province du Sud-Kivu, au bord du Lac Kivu. Cette ville de l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) a vu converger, du 9 octobre 2010, plusieurs groupes et organisations en vue de l’Action internationale de clôture de la Marche mondiale des femmes (édition 2010).

La MMF constitue un mouvement féministe et altermondialiste rassemblent plusieurs organisations et collectifs qui luttent pour une transformation politique, économique et sociale, ainsi que contre toutes les formes d’inégalités et de discriminations endurées par les femmes. Face aux multiples défis qui jalonnent le vécu des femmes, la MMF demeure une opportunité pour résister et élaborer des alternatives. Cette mobilisation résulte d’un long processus et a subi diverses formes en visant, en tout temps, la revendication des droits fondamentaux des femmes. Il faut souligner que, loin de diminuer, les abus, les crimes et autres violences socioéconomiques à l’égard des femmes continuent leur progression ! Toutefois, d’aucuns ne sauront oublier tous les efforts déployés par des structures instituées dans le but de lutter contre toutes les formes de violences dont sont victimes les femmes. Des conférences, marches, actions de lobbying et plaidoyers ont été enregistrés. Les organisateurs de cet événement ont insisté sur l’objectif général, à savoir la consolidation de la paix durable et la pacification du pays (particulièrement celle de la partie orientale de la RDC). A cela s’ajoutent des objectifs spécifiques dont l’organisation des actions de plaidoyer et de lobbying qui ont visé les institutions nationales, les organismes internationaux, les organisations de la société civile et les partis politiques. Bref, il s’est agi d’un agenda aux objectifs précis et en rapport avec les réalités du pays.

Le sens d’une manifestation

Le choix de la Ville de Bukavu et du thème «Paix et démilitarisation», cadre avec les affres endurées par les femmes de cette partie du pays. Cette situation est loin d’être éradiquée. Toujours est-il que les conflits successifs qui ont embrasé la région ont entraîné autant de viols sur les femmes et sur les jeunes filles, sans compter des ravages sur les ressources naturelles, les déplacements forcés des populations et la déscolarisation des enfants.
Cette marche constitue aussi un devoir de mémoire en vue d’immortaliser le souvenir de nombreuses victimes de ces guerres à travers un mémorial érigé dans le Territoire de Mwenga, à l’Ouest de Bukavu, où des femmes avaient été enterrées vivantes en 1999.
La clôture de cette marche survient à un moment- clé dans l’histoire de la RDC. En effet, elle coïncide avec la publication de deux rapports des Nations Unies sur les violations des droits de l’homme notamment à l’Est de la RDC. S’agissant particulièrement les femmes, l’ONU a, dans un document du 23 août dernier, révélé que quelque 179 femmes du Nord- Kivu avaient été soumises, du 30 juillet au 3 août 2010, à des viols systématiques commis notamment par des rebelles FDLR et des miliciens Maï Maï. Cette marche tombe donc à point nommé.

Bousculade à N’djili pour Bukavu

Toute la semaine précédant la date du 13 octobre a connu une intense activité à l’aéroport international de N’djili à Kinshasa. Le terminal de la MONUSCO (Mission des Nations unies pour le Congo) a été envahi par des Kinoises VIP et autres catégories élitistes désireuses de figurer sur les manifestes de vols affrétés. En pareille circonstance, il y a toujours beaucoup d’appelés, mais peu d’élus ! Cela suscite souvent de la bousculade et, parfois, des moments d’énervement. Quelques-unes ont pris des vols commerciaux à leurs frais.
Ce comportement se produit à l’occasion de grands tournants de l’histoire nationale. Chaque fois que s’annonce la tenue d’une importante rencontre, tout le monde cherche à y participer. Le cas le plus extraordinaire concerne la formation de délégations à la Conférence Nationale Souveraine de 1991- 1992. Aussi bien à Kinshasa que dans les Provinces, l’agitation avait atteint son comble. Dans certaines Provinces, des édifices avaient même été livrés aux flammes. L’autre exemple se rapporte aux négociations organisées à Sun City en Afrique du Sud. Ces occasions voient toujours les mêmes participer. Il s’agit d’une « élite », alors que le plus grand nombre constitué de paysans et paysannes notamment demeure exclu du circuit !
Au-delà de cette hargne à vouloir se rendre, à tout prix, à Bukavu, il y a lieu de s’interroger sur l’après-Marche mondiale des femmes. Que reste-t-il de cette marche lorsqu’à Bukavu, les lampions se sont éteints ? Quel bilan faire de l’action de la femme depuis l’accession du pays à l’Indépendance ? La femme est-elle consciente du rôle qu’elle doit désormais jouer au sein de la RDC ?

Eviter à tout prix l’amalgame

L’histoire de la lutte menée par la Congolaise pour sa promotion comporte plusieurs étapes. Victime de certaines traditions et des contraintes inhérentes à la colonisation, la femme n’a pas pu renforcer ses capacités à l’instar de l’homme. Elle a ainsi connu un grand retard sur le plan scolaire. Ce qui a eu un sérieux impact sur sa promotion dans d’autres domaines.
Les nominations faites, dès 1966, sous le régime Mobutu vont hisser quelques Congolaises à des postes de responsabilité politique. Le terme à la mode était « émancipation » de la femme. L’Année Internationale de la Femme en 1975 et la Décennie de la Femme surviendront dans cette ambiance. Pendant longtemps on a semblé oublier de parler plutôt de la « promotion » de la femme. Aujourd’hui, l’élite politique féminine ne jure que par la parité inscrite dans la Constitution. Cette lutte légitime n’a pas encore trouvé une réponse appropriée.
Le drame vécu par les femmes à l’Est de la RDC pourrait s’inscrire sur une autre page du même registre. Objet d’un « terrorisme sexuel » permanent, les femmes ont subi et continuent à endurer plusieurs sévices qui les animalisent et les avilissent aussi bien physiquement que psychologiquement. Cet état des choses laisse des traces qui demeurent difficiles à effacer du revers de la main. Certes Bukavu a rendu un honneur mérité à ces victimes connues, silencieuses, parfois anonymes pour la plupart. Ce rassemblement de la gent féminine a donné du baume au coeur de ces oubliées de l’arrière-pays. C’est ce déshonneur qu’il faudra désormais laver en vue de rendre aux femmes violées leur dignité. A ce stade se situe la responsabilité à assumer par les élites féminines et masculines de la RDC d’abord. Elles pourraient être soutenues ensuite par les structures étrangères. Tout cela devra s’effectuer en dehors de toute récupération politicienne.

S’investir avec responsabilité dans des actions porteuses

A court terme, des actions vigoureuses devront être menées dans le but d’identifier les auteurs de ces viols et les déférer devant les Cours et Tribunaux. En cas de condamnation, il faudrait que ces coupables fassent l’objet d’une rééducation systématique durant leur période d’emprisonnement pour éviter la récidive. Parallèlement à cette option juridique, un plaidoyer est à entamer auprès des instances gouvernementales pour assurer à ces femmes une réinsertion dans la société.
A moyen terme, d’autres stratégies peuvent être envisagées. Les ONG et diverses structures de la société civile auraient la lourde mission de mobiliser les femmes en leur enlevant la chape de plomb qui les enveloppe. Comme le dit Wangari Maathai (Prix Nobel de la paix), « beaucoup de nos problèmes proviennent de l’ignorance, de la peur et de la désinformation » (Voir son livre Défi pour l’Afrique). Les femmes étant les plus nombreuses, il y a lieu de les former et les informer pour en faire des agents de leur propre développement. Il faudrait en même temps introduire dans les programmes d’enseignement des modules de lutte contre les violences sexuelles. Un plaidoyer s’impose pour rappeler au Gouvernement cette nécessité. Des programmes similaires pourraient être introduits dans la formation des soldats des Forces Armées de la RDC et des policiers congolais.
A long terme, le voeu de tous consiste à faire de la RDC « un pays plus beau qu’avant », débarrassé notamment de ce syndrome du terrorisme sexuel et d’autres tares. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui demande l’implication des dirigeants et un leadership responsable.