Le 21 décembre 2007 est à inscrire dans les annales de l’histoire de la Belgique comme d’une date où l’Etat s’est sorti in extrémis d’une fin annoncée. Les jours passaient et se ressemblaient sans qu’aucun des remèdes prescrits ne fasse son effet. La fatalité était si perceptible que ce fut sans précédent au regard des diverses crises vécues par ce pays perdu dans l’Europe occidentale. Et puis, le compteur s’est bloqué au 194ème jour, redonnant un peut d’espoir à un peuple qui, jusque là, croyait à la magie du compromis belgo-belge déjà mis à l’épreuve par les difficultés congénitales, diraiton, d’un pays dont l’unité même s’inscrit comme la pierre d’achoppement de l’édifice en construction. Son histoire est jonchée d’épreuves nourries par l’atavisme des identités exclusives : les Wallons latins et les Flamands germaniques. Jusqu’aux élections de juin 2007, le peuple habitué à un fonctionnement sans heurt des mécanismes bien huilés des administrations locales pouvait entrevoir une existence tranquille loin des turpitudes communautaires et la perspective abhorrée d’une scission possible du pays. Un dossier complexe à l’image du Belge tourné à la fois vers l’avenir et figé dans des querelles d’un autre temps.
Petit pays par la superficie (80 fois moins que la République démocratique du Congo) mais grand par la valeur des hommes, dont le conquérant Jules César disait dans ses « Commentaires de la guerre des Gaules » : « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves ». Industrieux, très ouverts à la modernité, intrépides même (il suffit à cet égard de penser aux expéditions vers des contrées lointaines d’Asie, d’Océanie-Pacifique et d’Afrique jusqu’au Congo), les Belges sont connus pour leur adaptabilité aux conditions les plus difficiles. Aujourd’hui, la Belgique est un Etat hautement industrialisé, à la pointe de la recherche scientifique et disposant d’un niveau de vie parmi les plus élevés du monde (25.000 dollars annuels par habitant).
Un flux de capitaux provenant du Congo Belge
A la sortie de la deuxième guerre mondiale, la Belgique se modernise rapidement grâce à une matière première précieuse pour la période à savoir la houille mais cela semblerait réductionniste si l’on ne signalait pas en même temps la capacité des structures de gestion étatique pour absorber les aides américaines, canaliser le flux des capitaux prélevés sur l’exploitation des matières premières du Congo ex-belge et surtout disposer d’une main-d’oeuvre hautement qualifiée ouverte aux innovations technologiques. Lors de la création de la Communauté européenne de l’acier dans les années 1950, la Belgique fait partie du peloton de tête de l’industrie sidérurgique mondiale. C’est dire la position centrale de la Belgique déjà à cette époque et qui préfigurait toutes les évolutions politiques et diplomatiques de l’Europe. Signataires du Traité de Rome et membres fondateurs de la Communauté Economique européenne, les Belges devraient projeter l’image de ceux à qui tout réussit. Et puis … paf, une élection que d’aucuns subodoraient son caractère précurseur d’une tempête capable d’emporter le fragile équilibre communautaire d’une Belgique ne pouvant, politiquement s’entend, garantir un avenir au compromis belgo-belge. A ce titre, il y eut, en 1987-1988, les négociations les plus difficiles que la Belgique n’ait jamais connues en vue de la formation d’un gouvernement de coalition de centre-gauche (Martens 8). A cette époque, on pensait que les difficultés de cohabitation entre Flamands et Wallons peuvent être résorbées en reformant la structure de l’Etat unitaire qui se mue en Etat fédéral ayant des rouages de fonctionnement formés de régions et des communautés (3 régions et 3 communautés). Au contraire, ce compartimentage institutionnel fait apparaître au grand jour les frustrations identitaires des Flamands devenus de plus en plus nombreux à se considérer comme des souffre-douleurs d’une famille dont ils seraient les seuls à supporter la charge. En 1988, sans doute, seuls les Flamingants aux motivations plus idéologiques prenaient les devants pour déclamer les revendications flamandes sur la place publique. Il y a vingt ans également, beaucoup d’hommes politiques de deux côtés de la barrière linguistique se connaissaient et avaient roulé leurs bosses des décennies durant à différents niveaux de la pyramide du pouvoir. Ces jours-ci, d’autres réalités apparaissent et contribuent à corser les difficultés. Le mythe du compromis à la belge se présente sous son vrai jour.Les causes de la crise actuelles
Arrêtons-nous un moment sur les causes actuelles D’abord les élections récentes du 10 juin se sont inscrites dans une courbe tensionnelle ascendante à cause des problèmes communautaires et leur répercussion dans l’opinion. Les journalistes, particulièrement ceux de Flandre, ont participé à cette surchauffe avec des résultats tellement conséquents que les dirigeants des grands journaux francophone et néerlandophone se sont inquiétés de l’inclinaison prise par les événements politiques, en partie de leur fait. Une sorte de psychodrame qui risque de ne pas atteindre son but, ayant été tardivement proposé. Les hommes politiques des deux camps linguistiques plongent, comme des coqs en pâte leurs ergots dans cet humus électoraliste dont ils attendent des gratifications aux prochaines élections. Pourquoi pas ? Ceci expliquant cela, la sortie bien en retrait des responsables du VLD Open ces derniers jours (ils proposent de recourir à la notion de circonscription électorale nationale) n’a fait que passer autant qu’une goutte d’eau sur les plumes du canard communautaire. Ensuite, à la faveur des suffrages obtenus par Mr Yves Leterme en Flandre, il est appelé de fait à composer une majorité partisane du gouvernement. Avec le système proportionnel à la belge, celle-ci est inévitable du fait de la difficulté pour des raisons de géographie électorale de rassembler les forces politiques sur une base nationale. Ce fait explique que dans les tractations actuelles pour la formation du gouvernement fédéral, un modus vivendi soit peu probable sur les aspects communautaires des négociations sauf à trouver un compromis factice sur l’une ou l’autre matière suffisamment « inoffensive », en tout cas pas pour les grandes reformes de l’Etat, qui elles exigent une majorité introuvable de deux tiers au Parlement. Or le scénario qui se présentait dans ce volet de la gestation d’une coalition CD&V – NVA – MR – CDH était celui du blocage annonciateur d’une crise de régime.
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Du côté CD&V – NVA relayé par le VLD Open qui a conduit la coalition sortante comme de l’opinion publique chauffée à blanc par les journaux flamands, les milieux d’affaires et les universitaires, un leitmotiv : il faut plus d’autonomie aux régions, ce qui sous-tend une régionalisation des secteurs de base où s’exercent les solidarités entre Belges (la sécurité sociale, les allocations familiales, etc…). L’extrait du manifeste de plus de cent personnalités flamandes d’horizons divers paru dans « La Libre Belgique » du 24 septembre 2007, se présente comme un fac-similé des revendications des officiels flamands présentés à Val Duchesse : « la mondialisation, la coexistence multiculturelle, le vieillissement de la population, les problématiques de l’environnement et de l’insécurité, le problème de l’énergie, la fracture cognitive, l’isolement social, la perte de sens chez beaucoup sont des défis radicaux pour nous tous ». Les élites flamandes poursuivent : « Nous devons oeuvrer pour une société qui prenne soin de ses membres tout en se montrant responsable ». Malheureusement, la couverture offerte en matière des pensions légales et d’assurance-maladie ne s’est pas vraiment améliorée. La sécurité sociale fait l’objet d’une privatisation larvée. Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté a encore augmenté. « L’Etat-providence actif » est toujours en chantier. Et le marché du travail reste chroniquement malade. Quant à l’objectif des 3 % du PIB pour les dépenses en recherche et développement en 2010, la Belgique peut toujours rêver. Il est urgent de mettre en oeuvre une stratégie à long terme afin d’activer réellement la prospérité et de la mettre au service d’un surcroît de bien-être. Une nouvelle réforme approfondie de l’Etat est dès lors indispensable pour combler le fossé entre le nord et le sud du pays, et pour solder le fédéralisme de consommation afin de responsabiliser financièrement toutes les régions et communautés. Dans ce long message, les signataires donnent implicitement de la Wallonie une image de valétudinaire accroché aux basques de l’Etat fédéral dans une configuration où la Flandre serait une sorte de vache à lait. Ils ont beau justifié leur approche de confédéralisme par une meilleure émulation des régions entre elles dans un rapport de responsabilisation accrue, la ficelle est jugée grosse par la Wallonie qui s’en tient à la morale du fabuliste : « Chat échaudé craint l’eau froide ». En effet, pour les leaders wallons soutenus par un grand nombre de leurs semblables, la demande des Flamands relative à une réforme profonde de l’Etat n’est pas exempte de sous-entendus alimentés par de sournoises manoeuvres, en vue d’aboutir à une séparation entre Belges du nord et du sud. « L’enfer, disent-ils, est pavé de bonnes intentions ». A propos de Bruxelles, précisément, les sorties tonitruantes comme celles des groupes flamingants expriment la revendication phare des partis flamands, à savoir la scission de l’arrondissement Bruxelles-Halle- Vilvorde, source de tension en permanence. Ce dernier avatar de la crise politique belge bien que participant du mauvais climat communautaire est territorialement circonvenu à Bruxelles et son hinterland, même si par son allure vaudevillesque, il pourrait s’inviter aux prochaines joutes institutionnelles. Pour le moyen terme, cependant, il est encastré dans les méandres de la jurisprudence du Conseil d’Etat, les partis francophones ayant évoqué un conflit d’intérêt. C’est dire toute l’acuité de la problématique des relations entre le Nord et le Sud de la Belgique lesquelles, n’en déplaisent à la majorité silencieuse, n’impliquent pas seulement les milieux politiques et ceux des décideurs qui n’ont que trop pris une inclinaison à se sucrer électoralement sur le dos des populations blasées. Au-delà, il faut surtout viser un changement des mentalités des part et d’autre de la frontière ethnico-linguistique.
Yves Leterme enfin assagi ?
Cet aspect explique en grande partie les empoignades des responsables à cause des complexes développés par l’électorat flamand par rapport à un passé où la fortune avait souri à l’autre communauté. Quant aux Wallons, ils dépriment sans que leurs guides moraux ne leur donnent des raisons d’espérer étant donné l’ampleur et la fréquence des « affaires » mises en lumière par la Justice du fait des comportements peu flatteurs de certains caciques du PS en Wallonie. Ainsi donc se trouvant en phase avec le fossé politique, social et culturel qui sépare les deux grandes régions du pays, les hommes politiques du Nord comme du Sud, devront ramer à contre-courant des évolutions constatées pour éviter que ne sombre le navire maintenu momentanément hors des flots par le roi et son Premier ministre de transition. Il semble, en tout cas, qu’Yves Leterme dont le personnage un peu fantasque semble s’assagir, ces derniers temps, se faisant ainsi violence, peut prendre la mesure de ses responsabilités historiques. Rendez-vous est pris audelà de mars 2008. Ou alors, les Belges auront assimilé les vertus de la palabre africaine en prenant appui sur l’exemple de la République Démocratique du Congo, leur ancienne colonie, qui peine à se tirer d’un sous-développement récurent, mais dont les 750 ethnies et tribus qui la composent, avec plus de 200 dialectes, n’ont jamais contribué à son anéantissement. Au contraire, elles constituent par leur diversité même une incroyable richesse qui nourrit l’unité nationale.