Article publié le 2008-01-12 par Victor Olembo Diplomatie
Entretien avec l’ambassadeur Jacques OBIA : La presse africaine doit offrir un nouveau regard sur l’Afrique [01/2008]

Son Excellence Monsieur l'amabassadeur Jacques Obia

(République du Congo)

L’ambassadeur de la République du Congo à Bruxelles, Son Excellence Jacques Obia, n’est plus une personnalité à présenter. Parmi les plus anciens diplomates Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) en poste, il n’est pas homme à se barricader derrière des artifices pour exposer ses convictions. Nous avons voulu recueillir son avis sur la presse africaine vue depuis la capitale de l’Europe. Saisissant !

«Je suis parfois le journal à la télévision congolaise, qui ne peut même pas rendre compte de ce qui se passe à Poto Poto (un quartier populaire de Brazzaville), mais qui est au courant de ce qui se déroule dans un quartier lointain à Paris. Lorsqu’il y a une crue, personne ne précise de combien de centimètres le niveau de l’eau a dépassé alors que, toujours dans le journal télévisé du Congo, on est capable de dire que là (en Occident) il y a eu inondation et que le niveau a dépassé d’autant de centimètres. C’est ça qui me tue ».

Un instantané qui résume à lui tout seul l’état de la presse africaine, confinée dans un rôle de figurant pour une profession devant plutôt rivaliser d’ingéniosité. Le constat est le même lorsqu’il s’agit des grands enjeux du continent. «J’ai toujours l’impression que la presse régionale ne connaît pas bien nos dirigeants. Elle les présente toujours comme nous le lisons sur Internet, alors qu’il faudrait relater autre chose! », pense M. Jacques Obia qui estime que les journalistes africains devraient aller vers les responsables afin d’obtenir l’information de bonne source. «Nous passons tout le temps à lire Le Monde avec les yeux du mal. Alors qu’on peut le lire avec les yeux du bien », s’insurge-t-il avant de préciser que : « les yeux du mal font qu’aujourd’hui, nous n’avons plus de valeurs intrinsèques». Valeurs qui sont des bases sur lesquelles la jeunesse peut constituer ses références».

Selon Obia, l’Africain devrait commencer par faire confiance en ses propres institutions et initier un débat démocratique à même de proposer des alternatives, au lieu des actions de sape souvent stériles.

«Il ne sert à rien de casser les institutions. Parce que chacune d’elles peut régler le problème en fonction de ses capacités. Et ce n’est pas la guerre qui pourra donner plus de capacité à une institution», croit savoir son Excellence. Dans le même registre il précise que «nous avons des dirigeants qui tiennent des discours extraordinaires, qui proposent des pistes mais que personne ne suit. Nous avons des parlements qui votent des lois, qui ne s’appliquent pas. De l’autre côté, une société civile totalement désorganisée, quelquefois un peu comme des groupes de pression d’ici (NDLR : en Europe)». Dans ce contexte, il reconnaît qu’il devient difficile d’obéir aux groupes de pression à travers certains mécanismes de la société civile, qui devrait au contraire être indépendante.

Proposer autre chose

Pour le diplomate du Congo Brazzaville, l’imitation est certainement parmi les étiquettes qui caractérisent le mieux l’Afrique. Un continent qui a peur d’innovation, tant sur le plan politique, industriel que technologique. «L’Afrique pense comme les autres. Si ceux-ci n’ont pas encore pensé, c’est que ce n’est pas juste», constate le diplomate qui estime que le moment est venu de se départir de cette tare. Ainsi, la presse africaine doit réinventer sa profession. Car, pour que l’Afrique «qui bouge» soit correctement dépeinte, il ne faudra pas attendre que les autres le fassent à la place des premiers concernés. «Nous voulons un nouveau regard sur l’Afrique», martèle M. Obia avant de suggérer notamment aux nombreux journalistes en poste à Bruxelles de s’organiser afin de dire aux autres : «non, nous ne sommes plus d’accord avec votre orientation». A ce propos, la nouvelle vision de l’Afrique devrait constituer le leitmotiv de la presse africaine, face à ce qui se traficote dans certaines rédactions plutôt friandes de termes tels que «l’Afrique des pilleurs, des non démocrates, des dictateurs, de désordre, des chefs claniques qui cachent l’argent en Europe. Il faut dire ‘Non’ à cela». Que faire alors ? «Je pense que vous, journalistes, devriez vous remettre en cause, en organisant par exemple une journée de la paix », répond l’ambassadeur congolais. Lorsque l’on veut parler du Congo Kinshasa, par exemple, sur le plateau de la télévision à Bruxelles, c’est un journaliste belge qu’on invite. «On n’a rien contre», rétorque l’ambassadeur, qui interroge : « est-ce qu’il est interdit dans les lois belges qu’on crée une télévision africaine? ». Pour lui, «la bataille que nous menons contre l’Europe, même si c’est notre amie, se situe au niveau culturel». Et de poursuivre : «j’apprécie beaucoup que nous ayons un quartier à la Porte de Namur, mais la presse africaine doit aller plus loin. Car par exemple ici en Belgique, on ne vous accorde même pas une minute, parce que les organes de presse sont contrôlés par les puissants». La solution, à son avis, est que l’Afrique dans sa globalité, ou alors une région telle que l’Afrique centrale, puisse créer son instrument, qui s’inscrirait par exemple dans le cadre des Technologies de l’information et de la communication.

Balayer le ridicule qu’on colle à l’Afrique

L’instrument à inventer pourrait alors faire état des préoccupations propres au continent, notamment sur des questions de conservation de l’environnement, de politique, de culture et de lutte contre l’immigration clandestine. Mais aussi, «lorsque l’on écrit ailleurs qu’un tel président africain a acheté un château là-bas, qu’on pense grâce à cet instrument à interviewer l’incriminé et ainsi balayer le ridicule qu’on colle à l’Afrique!» De surcroît, les gens doivent surtout savoir qu’il fut un moment où les gens ont construit des châteaux ici en Europe, et que chez nous aussi est venu le temps de construire l’Afrique. «Si vous voyez ici (en Europe) des gens vivre dans des châteaux, c’est qu’ils ont trouvé quelque part les moyens de les bâtir. Les dirigeants africains eux aussi travaillent. Ils ne vont quand même pas habiter dans des nids, à l’île Mbamou par exemple ! C’est important de le souligner », relève-t-il. A cet effet, il faut poser des balises pour la jeunesse et ne pas l’abandonner à la dérive, notamment lorsqu’on laisse dire que le pouvoir africain est en train d’amasser des fortunes. C’est donc avec raison si l’ambassadeur Obia est convaincu que «l’Afrique doit s’émanciper, et que les Européens apprennent à l’accepter». Car, précisément, «lorsque l’on construit des châteaux, les gens rétorquent : mais comment peut-on construire des palais à Brazzaville ou à Kinshasa ?». Pour le diplomate l’essentiel en la matière est que la gouvernance du pays, les pouvoirs judiciaires et politiques n’aient pas de reproches à formuler à l’endroit de cette personne, qui peut ainsi ériger son château comme il l’entend.

L’Afrique vue par les Africains

Selon Jacques Obia, il ne s’agit nullement là d’une accusation, mais plutôt d’une manière de penser, sachant qu’il est révolu le temps où on pouvait croire que l’Afrique est peuplé des gens pauvres, alors même que ce continent est parmi les plus riches. «La presse africaine a de la matière car, les africains, riches grâce à leur matières premières, sont pourtant considérés comme des pauvres, simplement du fait qu’ils n’arrivent pas à transformer leurs matières premières ! » Le diplomate congolais cite le président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Omar Konaré, qui révélait que dans 25-30 ans, l’Afrique comptera 1,500 milliards de personnes.

Ajouter à cela ses nombreuses ressources, que l’on ne viendra plus puiser comme on veut, il faut comprendre que le continent constituera «un marché incontournable qui va étonner». Ainsi, le journaliste africain devrait oser briser le tabou, selon le diplomate congolais qui indique que lorsque les autres font du clanisme en Europe, le journaliste africain devrait également être en mesure d’en parler. De même signale-t-il, il y a des gens parmi les représentants africains qui se battent sur des thèmes difficiles, mais dont personne ne parle. Ainsi, croit-il, la presse africaine doit posséder son propre projecteur, sinon elle doit s’ouvrir et s’exprimer plus largement, entre autre à travers des tranches dans les radios ainsi que sur les télévisions internationales. «Je ne dis pas qu’ils le fassent pour nous. On leur dit d’ouvrir un peu pour nous, afin d’avoir une Afrique vue par les Africains, et pas toujours l’Afrique de son grand-père. Voilà le combat à mener», souligne-t-il. «Nous faisons beaucoup de choses à Bruxelles», relève le diplomate congolais qui épingle à ce sujet les négociations menées en vue du Sommet Europe-Afrique à Lisbonne.

«Les ambassadeurs africains à Bruxelles, à travers les ACP, ont beaucoup travaillé pour mettre en place la facilité, notamment sur les questions du Darfour et de la Somalie».

Et, le diplomate d’appeler les journalistes africains à s’intéresser à ces questions : «car c’est cela l’Afrique!» selon Son Excellence Obia. C’est donc là la bataille à mener, mais qui doit s’inscrire dans la globalité, les entités recroquevillées sur elles-mêmes n’ayant que peu de chance de gagner. A cet effet, il propose que soient créées des synergies pour saisir les opportunités, et pourquoi pas voir des entreprises de Kinshasa qui soient en mesure de participer aux appels d’offre à Brazzaville et vice versa, en vue de créer des emplois. Pour cela, il faut prendre son temps et ne pas être pressé, parce que, rappelle M. Jacques Obia, les pays comme la Belgique, par exemple, n’ont pas été construits en un jour. Les peuples d’Afrique semblent, pour leur part, un peu trop pressés, oubliant qu’en Europe il y a des lieux où la vie est nettement plus difficile que dans nos pays. S’il y a des gens qui quémandent pour manger, dans certains coins à l’intérieur du continent africain, personne ne vient demander l’aumône. Ainsi, il ne faut surtout pas continuer de croire que tout ce qui vient d’Europe est bon, conclut notre interlocuteur. Une réflexion qui vaut certainement son pesant d’or.