Il y a exactement 50 ans, une partie notable de l’Afrique entrait dans l’ère des indépendances. Un agronome français René Dumont s’illustrait par un livre au titre évocateur : « l’Afrique est mal partie ». L’homme était plutôt étiqueté de gauche et tiers-mondiste. Son argumentation était certes pénétrante : sa formation scientifique poussée en agronomie l’a aidé suffisamment pour qu’il focalise sur le talon d’Achille de l’Afrique en ces instants génésiques.
L’agriculture fut en l’occurrence le point faible emblématique, la cristallisation même des malheurs du continent noir : faibles rendements liés à une agriculture en majorité non mécanisée en face d’une démographie galopante ; dans certaines contrées, ce déséquilibre était aggravé par des facteurs climatiques (une pluviométrie insuffisante, les affres de la désertification etc …) cette époque où les pouvoirs coloniaux passaient la main aux élites africaines, deux constats éclairaient le schéma de Dumont d’une lumière nouvelle.
D’abord l’agriculture s’est développée pendant la longue nuit coloniale sur un mode dual : une agriculture industrialisée vouée à l’exportation dont elle ne pouvait engranger des plus values pour un développement socio-économique véritable ; une autre qualifiée d’auto- substance en majorité cantonnée sur des parcelles peu fertiles et entretenues de façon traditionnelle. Une autre grande cause concomitante à la misère de l’agriculture bien avant les indépendances est l’appel de la ville devenue l’eldorado pour des milliers de ruraux qui s’y exilaient pour trouver croyaient-ils, de meilleures conditions de vie. Les villages se dépeuplaient à vue d’oeil pour constituer le prolétariat urbain même si cette évolution n’a pas renversé jusqu’à nos jours le rapport de force démographique entre régions rurales et villes.Ensuite les élites politiques se sont engouffrées dans ce sillon maléfique sans faire preuve de beaucoup d’imagination et à certains égards semblent y avoir trouvé leur pied.Un peu à l’instar de René Dumont, beaucoup de grandes figures des sciences et de l’économie ont émis quelques années plus tard, les mêmes affirmations sur la base de ces présupposés. Parmi ceux-ci, relevons le nom de Gérard Chaliand bien connu pour sa présence lors des débats de géopolitique à la télévision dont nous publions ici des extraits de son livre publié en 1978 aux éditions Complexe de Bruxelles et intitulé “ L’enjeu africain – géostratégie des puissances “.« …La colonisation puis la phase de décolonisation qui se poursuit encore en Afrique ont secrété des conflits, des contradictions et des distorsions ; distorsions des économies : monocultures agricoles, extraction pure et simple des matières premières minérales, le tout dans un système régi par l’inégalité des échanges entre pays industrialisés et pays fournisseurs.Cooptation des élites dans un premier temps par l’ex métropole formant des hommes favorables à son système puis, au fur et à mesure et parfois de façon violente, par les appareils les plus aptes à faire émerger au sommet les candidats à la machine d’Etat : bourgeoisie administrative ou armée. L’ensemble du processus de cooptation étant, presque toujours, déterminé par la corruption, qu’elle provienne de l’extérieur (marché avec l’étranger) ou de l’intérieur.Prédominance des intérêts et des conflits ethniques sourds ou violents, dont l’expression apparait rarement dans les déclarations officielles mais qui, sur place, sont l’un des éléments centraux de la vie politique. Dans le meilleur des cas, un rôle stimulant. Le plus souvent, une ethnie tend à monopoliser l’essentiel du pouvoir ».Enfin le géostratétien jette nu un ton définitif : « … Les espoirs en général, sinon toujours, ont été déçus – D’abord peut être parce qu’il n’a jamais été sérieusement question de bâtir un modèle de développement social, économique et culturel adapté aux besoins locaux ».Des années ont passé et l’impression a demeuré jusqu’il y a peu que sur ce socle rationaliste se sont construits d’autres argumentaires d’intellectuels occidentaux qui eux ne se limitent pas à l’établissement d’un schéma de compréhension des phénomènes qui ont percé en défaveur d’un développement rapide de l’Afrique post-colonial mais alimentent plutôt un courant de pensées purement idéologiques que recouvre à peine l’expression afropessimisme. Un ouvrage tel que « Négronie » de Steven Smith l’illustre assez bien. Dans la pratique économique, le courant a été très perceptible. L’Afrique fut mise en quarantaine un peu à l’image d’une pestiférée. Du coup, les organismes de notations l’ont épinglée zone à risque ad vitam aeternam. Les investisseurs privés se sont fait rares et mêmes les investissements publics provenant pour l’essentiel d’anciennes métropoles ont été sous divers prétextes, rabotés sinon maintenus à des niveaux dérisoires. Mais comme le disait André Siegfried, que bon nombre d’entre nous avons connu comme professeur à la Sorbonne, la vraie richesse des Nations n’était pas dans l’accumulation des espèces sonnantes et trébuchantes mais dans ce que la Nature leur a gratifié à savoir les ressources humaines et les richesses naturelles. Du reste, ce que les Européens ont mérité de meilleur du monde gréco-romain n’est-ce pas l’humanisme aussi bien qu’un rythme de peuplement constant auxquels s’ajoute l’existence en leur sous-sol, à certaines époques peut-être révolues, du charbon et de la houille.Aujourd’hui grâce à un de ces retournements auxquels nous a habitués l’Histoire, les dirigeants des pays émergeants d’Asie et d’Amérique latine ont rendu justice à l’Afrique en remettant au goût du jour ces fondamentaux que les puissances du moment avaient mis sous l’éteignoir.
La réalité de l’éveil
Les organismes internationaux ont perçu les premiers la réalité de l’éveil et cette perception est amplifiée par les grands médias internationaux. Premièrement :ce qui ressort des études macro-économiques entreprises montre que dans la plupart des pays africains, la croissance économique s’est maintenue à un taux de 5,1% de 2000 à 2009, en dépit des conjonctures difficiles.Deuxièmement : « en dépit des idées reçues, les investissements peuvent y être plus rentables que dans le reste du monde. Le continent est pauvre et fragile mais il ya des raisons d’espérer » C’est ce qu’affirme dans son numéro du 16 septembre 2010 le grand quotidien français « Le Monde » qui écrit sous le titre en première page « L’Afrique va décoller » : l’Afro-pessimisme est en train de prendre un coup de vieux, car les cabinets de Conseil et d’études, tout comme les investisseurs - et pas seulement asiatiques ou brésiliens – découvrent les uns après les autres, que l’Afrique est devenue un continent d’opportunités promis à un développement rapide. Les statistiques du Fonds Monétaire International (FMI) disent que de 2000 à 2009 son taux de croissance annuel a atteint, en moyenne 5,1%, malgré une année médiocre (+2,5%).Dans un article publié dans le « Financial Time » du 28 août, Im O’ Neil, chef économiste chez Goldman Sachs et inventeur de l’acronyme « Brics » pour désigner les champions émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine), n’est pas loin de penser que ceux-ci seront rejoints dans les quarante prochaines années par quelques uns des grands pays africains. Par exemple « s’ils ne font pas de bêtises, écrit-il, le Nigéria et ses 180 millions pourraient peser plus lourd que le Canada, l’Italie ou la Corée du Sud en 2050 ». Aujourd’hui le continent tout entier est au niveau du Brésil, classé neuvième économie mondiale. Une étude présentée le 14 septembre 2010 à Paris par Mc Kinsey Global Institute énumère les causes de cet éveil. La première est ce qu’on peut appeler avec Amine Eazi-Riffi, l’un des auteurs, « le retour des Etats ».
Les richesses du sous-sol
En effet, les gouvernements africains ont su conduire un assainissement douloureux dans les années 1990 pour réduire leurs déficits et privatiser leurs entreprises publiques. Ils sont aussi parvenus à réduire le nombre et l’intensité des conflits armés. La productivité du travail qui déclinait depuis 1980, s’est remise à croitre à partir de 2000 au rythme de 2,7% l’an. Deuxième raison, l’explosion de la demande pour les matières premières qui a apporté les devises dont manque cruellement l’Afrique. Mais les auteurs de l’étude notent que les pays sans richesses naturelles progressaient de façon comparable aux autres. Les investisseurs étrangers ne s’y sont pas trompés. Leurs apports annuels en capitaux sont passés de 9 milliards de dollars (7 milliards d’euros) en 2000 à 62 milliards de dollars en 2008 « presque aussi élevé qu’en Chine » Une autre raison à ce palmarès tient « aux évolutions sociales et démographiques, en particulier l’élargissement concomitante des classes moyennes » Voilà qui est clair.Nous souhaiterions que cela soit aussi manifeste pour l’arrière garde des afro-pessimistes et surtout pour les multitudes africaines dont les catégories frappées par les difficultés actuelles versent plus facilement dans l’autoflagellation. « Rien ne reste en l’état – Tout coule » disait,il y a 24 siècles, le philosophe grec Héraclite d’Ephèse.Nos ancêtres bantous assimilaient eux la marche du monde au mouvement de la mâchoire d’une chèvre entrain de ruminer : elle va de gauche à droite et inversément. Ce qui, dans un langage savant revient à dire que les rapports de force ne sont jamais statiques. A bon entendeur salut !