Travaillant avec une équipe internationale et pluriconfessionnelle au sein de Search for Common Ground (SFCG) - organisation non lucrative ayant pour objet la transformation des conflits - , j'ai pu constater que les effets du ramadan ne s'exercent pas uniquement sur ceux de mes collègues qui adhèrent à un régime alimentaire et à un mode de vie qui laissent davantage de temps libre pour la réflexion spirituelle; c'est aussi l'occasion de rencontres de l'équipe, à travers les fuseaux horaires, programmées autour de l'iftar (rupture du jeûne), l'occasion de mieux comprendre ceux qui font une longue journée de travail sans manger ni boire.
Le ramadan, c'est certainement un peu plus que jeûner pendant la journée et rompre le jeûne chaque soir. Pour beaucoup c'est un voyage d'un mois vers la lumière spirituelle et la pratique de l'autodiscipline et de l'humilité, pendant lequel les musulmans s'abstiennent de commérer, de jurer, de se mettre en colère, d'avoir des contacts sexuels (pendant les heures de jeûne) et de se livrer à de mauvaises pensées, tout en poursuivant leur activité quotidienne.
D'une personne à l'autre, mais aussi d'un pays à un autre, ce voyage est différent. Le souci de certains est de battre leur record en matière de jeûne et de capacité de travail, alors que d'autres retrouvent un calme et une attention absolus. Si bien que partout dans le monde le ramadan est l'occasion d'un mélange unique de spiritualité et de culture.
A Islamabad, Rashad Bukhari, conseiller de notre programme pakistanais et éditeur urdu du Service de Presse de Common Ground, explique : "Dès le début de ramzan, comme on dit au Pakistan, la vie change du jour au lendemain. Ce n'est pas seulement un changement des habitudes alimentaires et des horaires, mais aussi un changement d'atmosphère. Les gens prennent conscience de leur rapport à Dieu et aux hommes par la prière, la supplication et le don".Pour la plupart des gens, c'est une expérience spirituelle et culturelle. "Ma famille se lève dès 3 heures", explique M. Bukhari. "Ma femme prépare les parathas (galettes de pain feuilletées et frites), une omelette, un bol de yaourt et autres ingrédients du sehri (le petit-déjeuner d'avant l'aurore, suhoor en arabe) qui doivent être assez énergétiques pour nous permettre de tenir jusqu'à l'iftar. Celui-ci se compose généralement de pakoras (beignets de farine de pois chiche), de samosas, de dahi bhalleys (yaourt avec beignets et oignons) et de chaat (salade de fruits épicée).
Compassion et solidarité
Un bourdonnement flotte dans l'air : " Les marchés ouvrent avant l'aube et reprennent leur activité fébrile avant le dîner du soir. Les mosquées sont pleines aux heures de prière. Cette année, cependant, le ramzan est arrivé pendant la pire inondation dans l'histoire du Pakistan. Les festivités sont entachées de la tristesse pour les vies perdues et les personnes déplacées. Comme il se doit, le ramzan de cette année se vit dans la compassion pour ceux qui ont un besoin urgent de nourriture et d’abris ». Au Maroc, AlaeEddinSerrar, directeur de programme de SFCG à Rabat, nous dit : " Cette année le ramadan est tombé pendant un été chaud. Mais, comme toujours, il est arrivé dans le même esprit de paix, de pardon et de plénitude. Pendant un mois, le ramadan transporte les musulmans de tout le Maroc vers un monde de sérénité et de spiritualité. Pour la plupart des Marocains, ce mois sacré est une occasion annuelle de se purifier par l'abstinence, de fortifier leur âme en se rapprochant de Dieu et de se livrer à une introspection qui fera d’eux des êtres meilleurs ». C'est l'époque où le regard se porte autant vers l'extérieur que vers l'intérieur. " Au ramadan, les gens se rencontrent en famille et partagent de bons dîners. Les plats préférés de ce mois sacré sont la harira (soupe à la tomate et aux herbes), les chabakia (gâteaux au miel) et le sellou (dessert à base d'amandes et de graines de sésame). Certains passent la soirée dehors, rencontrent leurs amis au café, d'autres regardent de nouvelles émissions à la télévision.Les enfants se réjouissent des nouveaux habits qu'ils reçoivent pour l'Aïd el-Fitr, qui marque la fin du jeûne ». Aux Etats-Unis, où les restaurants fonctionnent aux horaires normaux et où la majorité des gens ne font pas le jeûne, Leena El-Ali, directrice des relations islamo-occidentales et des programmes pour le Moyen-Orient et l'Afrique du nord à SFCG, s'étonne : " C'est drôle, au pays, les gens croient que c'est difficile pour moi d'observer le ramadan depuis que j'ai quitté le Liban pour vivre dans la diaspora, à Londres, d'abord, et maintenant à Washington. Au fond, c'est au cours de ces 21 ans où j'ai vécu en Occident que le sens profond du ramadan m'a été révélé. D'abord, par l'exemple des convertis, qui, par définition, sont plus conscients du sens profond des rites musulmans. Ensuite, par la solitude relative que j'éprouve au sein d'une société non musulmane et qui me permet de développer moimême une réflexion et une recherche personnelles, même en l'absence d'un contexte social facilitant naturellement une telle expérience. Dans tout pays non musulman où la liberté de religion est assurée, il n'y a pas à s'apitoyer sur les musulmans. C'est un environnement qui nous pousse implicitement vers la grande djihad - le combat intérieur - qui compense plus que largement toutes les difficultés extérieures que nous pourrions rencontrer".
Source : CG News