Elle est belge et marocaine. Elle veut écrire pour donner de l’espoir aux jeunes générations issues de l’immigration en Belgique. Elle s’appelle Yamila Idrissi. «Lorsque nous posons des questions sur l’immigration et les immigrants, nous en arrivons immanquablement à nous interroger sur ce que nous sommes et ce que nous voulons être». La réponse sur cette interrogation individuelle et toutefois commune, se trouve dans son livre ‘C’est par l’autre que l’on se connaît soi-même’.
Yamila Idrissi est avocate et parlementaire en Belgique. Elle a écrit son livre conjointement avec la journaliste belge, Tessa Vermeiren. Les deux femmes que tout semble séparer de prime abord, se rencontrent et parlent de leur trajectoire personnelle d’ascension sociale. Il s’est avéré lors de leurs conversations que le processus d’émancipation d’une femme, issue d’un milieu très défavorisé, est entravé par les circonstances socio-économiques, et non pas par la tradition ou la culture. Dans ‘C’est par l’autre que l’on se connaît soi-même’ Idrissi et Vermeiren racontent leurs histoires, leurs combats pour l’égalité des chances, leurs engagements dans la vie politique et leurs batailles pour défendre leurs convictions.
«Mon cadre de référence est très large», explique Yamila Idrissi qui ne veut pas être cloisonnée dans une identité de flamande ou d’origine marocaine, de juriste, de politicienne ou de femme mais tout cela à la fois. Tessa Vermeiren a, quant à elle, travaillé pour diverses maisons d’édition et journaux belges. Elle a été, jusqu’en 2008, rédactrice en chef et directrice de la publication de Knack Weekend. Elle est aussi présidente de Telenet, dont la mission est de contribuer à la réduction de la fracture numérique, en particulier, auprès des jeunes issus de famille défavorisées.
«Ce qui entraîne la réussite ou l’échec,» poursuit Idrissi, «c’est d’arriver ou non à vaincre ces démons et d’avoir ou non la chance de rencontrer des gens qui décident de faire une partie du chemin à vos côtés. Que la balance penche dans un sens ou dans l’autre, c’est souvent une question de hasard. La ligne de démarcation est extrêmement subtile. Et puis, en dépit des origines, de la classe sociale et de la chance, intervient aussi le choix personnel. À la condition, bien sûr, que l’on soit disposé à en payer le prix.»
Quant à son affinité avec la journaliste belge, Yamila est de l’opinion que l’appartenance à la classe ouvrière, dont elles sont toutes les deux issues, est à l’origine. «Je ressens une affinité de ce type avec Tessa Vermeiren. Je m’identifie facilement à son histoire, celle d’une femme qui, malgré sa naissance en milieu ouvrier, a osé suivre, à ses propres risques, la voie qu’elle s’est tracée. Elle ne se soumet pas ce semble être sa voie prédestinée. La classe sociale ouvrière flamande de la jeunesse de Tessa a évolué vers le haut. À présent, un autre groupe socio-économiquement faible a pris sa place: les allochtones défavorisés.»
«Je suis d’origine marocaine, j’ai été élevée dans la religion musulmane, je viens d’un milieu ouvrier et je suis une femme. Ce sont quatre facteurs qui m’ont rendu la vie difficile lorsqu’il s’est agi de remporter un diplôme d’assistante sociale et ensuite un diplôme universitaire de Droit. Ce sont ces mêmes facteurs qui ont compliqué mon ascension dans l’échelle sociale. Mon histoire n’est pourtant pas le récit romantique d’un succès. C’est une histoire d’échecs et de persévérance, une histoire de grandes douleurs et de joies intenses. De désaffection et de solidarité. D’envies de laisser tout tomber et d’obstination dans la poursuite. Je crois que tous ces éléments caractérisent tant mon récit que celui de Tessa. Ce sont des histoires d’inégalité des chances et d’injustices sociales. D’émancipation et de libération. Des histoires où il fallait oser faire des choix.»
«Aujourd’hui, je me mets en colère lorsque j’entends des réflexions telles que ‘Yamila a cessé d’être une allochtone car elle a réussi’, ou ‘Elle n’a gardé que bien peu d’affinités avec la classe ouvrière parce que c’est une intellectuelle’. À cela je réponds: ‘La jeune fille est sortie de son quartier populaire, mais le quartier populaire n’a jamais quitté la jeune fille.’ Dans ma fonction publique, en tant que femme politique, j’ai tenté de créer autant que possible un cloisonnement avec ma vie privée. Je crois fermement qu’il est possible de façonner la société. Je voulais exercer une influence, mettre au point des lignes politiques et faire des propositions. Je ne voulais pas utiliser ma propre histoire à cet effet. Et si, aujourd’hui, je le fais quand même, c’est que je suis convaincue qu’il s’agit de politique personnelle.»
«Je suis arrivée à ce que je voulais», déclare Yamila Idrissi dans son livre. «C’est du moins ce que je pensais lorsque j’ai enfin pu remporter mon diplôme de Droit. J’avais posé mes choix personnels, à l’opposé de toutes les normes en vigueur. À ce moment, on a l’audace de se dire: ‘I made it!’ Aujourd’hui pourtant, je me rends compte qu’il ne suffit pas d’avoir un diplôme. Il s’agit surtout de mettre ses compétences sur l’échiquier humain. Il s’agit de réseaux que l’on hérite de son passé familial ou que l’on se construit soi-même. J’ai toujours le sentiment que ce n’est pas moi qui ai la maîtrise du jeu. Il n’y a pas que le contenu... Tant dans mon métier d’avocate que plus tard, en politique, j’ai eu la chance de pouvoir collaborer avec de fortes personnalités. De gens qui m’ont appris beaucoup, que j’ai pris pour guides et devant lesquels j’étais en admiration. Et auxquels j’ai donné le statut inconfortable de ‘Dieu le Père’.»
Idrissi conclut son livre en paraphrasant Hanif Kureishi (1): «On a dit que nous ne savions pas à quoi nous appartenions, que nous n’étions ni chair ni poisson. Nous avons souvent été désignés comme ‘la deuxième génération d’immigrants’, parce qu’il ne pouvait surtout pas y avoir de malentendu sur le fait que nous n’avions pas notre place en Belgique. J’entends souvent dire que nous étions ‘des enfants belges sans foyer’ et que nous étions ‘coincés entre deux cultures’. Ce n’est pas vrai. Nous avons au contraire eu plus de facilités que nos parents. Pour eux, la Belgique était un pays étranger et il était très difficile d’avoir le sentiment d’appartenir à une société. Pour être acceptés. Surtout si l’on est né ailleurs, si l’on y a vécu une grande partie de sa vie et si l’on a l’intention de retourner un jour… Mais lorsqu’ils ont été ici, beaucoup y sont restés pour de bon parce qu’ils ne pouvaient plus retourner à cause des enfants, du travail… Quand ils ont vieilli, ces immigrants ont constaté qu’ils ne s’étaient pas construit leur propre foyer en Belgique. Leur pays d’origine leur manquait trop et ils avaient toujours considéré la Belgique comme une étape intermédiaire de longue durée. Mais pas comme la dernière demeure qu’elle a fini par devenir. À présent, j’ai un nouvel espoir. Le pays est vieux, un jour, je serai vieille et le pays sera peut-être nouveau.»
www.siel2010-migration.com
(1) Hanif Kureishi: fils d’une Anglaise et d’un Pakistanais, Kureishi a étudié la philosophie à l’université de Londres. Ses livres traitent essentiellement de l’immigration, du racisme et de la sexualité. Il est un des représentants les plus connus de la nouvelle ‘école’ d’écrivains britanniques d’origine étrangère.
«C’est par l’autre que l’on se connaît soi-même», traduit en français grâce au concours du Conseil de la Communauté Marocaine de l’étranger (CCME) et du ministère chargé de la Communauté Marocaine Résidant à l’étranger, a été publié aux éditions Le Fennec.
‘C’est par l’autre que l’on se connaît soi-même’, Yamila Idrissi et Tessa Vermeiren, 206p, 2010, édition de poche, Editions Le Fennec, ISBN 9954167243
«Dans le pays qu’on laisse derrière soi, la vie peut tout simplement se poursuivre mais, dans la diaspora, elle reste souvent suspendue d’une curieuse manière, comme si le seul fait de l’avoir quittée avait déjà provoqué bien assez d’inquiétude.»
Hanif Kureishi