Article publié le 2009-12-27 par Mathieu Bédard International
Changements climatiques, Copenhague et les pauvres [12/2009]
La banquise du Nord, signe des temps
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Le débat actuel autour de la réduction des émissions de CO2 ne prend pas en compte les effets pervers des politiques publiques qui sont en train de se mettre en place pour les combattre. Alors que la poursuite du réchauffement climatique pourrait faire peser certains risques sur les pays du sud, et tout particulièrement les pays pauvres, certaines politiques publiques qui seront étudiées à Copenhague les exposent à des risques bien plus grands. Le développement du Sud serait en effet sacrifié sur l’autel d’un réchauffement climatique d’origine hypothétiquement anthropique (pour des résultats négligeables dans la lutte contre ce réchauffement qui plus est).

L’une des mesures négociées au sommet de Copenhague est l’instauration de droits de douane sur le CO2. En effet, depuis déjà plusieurs mois il se discute la taxation des importations provenant des pays avec des réglementations CO2 moins sévères. Pour convaincre les dirigeants des PED d’accepter une politique aussi dévastatrice pour leur croissance et développement, un autre des mécanismes importants est discuté durant ce sommet : les transferts des pays riches vers les pays pauvres.
Les droits de douane environnementaux sont annoncés comme complémentaires aux taxes carbone internes et autres permis négociables actuellement en discussion. Ces « droits de douane carbone » (défendus par le Président Sarkozy au niveau européen, et débattus au Congrès américain, ainsi qu’en Australie, en ce moment même) seraient mis en place pour ne pas désavantager les pays ayant adopté une taxe carbone. La principale crainte, et c’était l’objet du rapport Keller de juin dernier remis à l’UE, est la fuite des emplois vers des juridictions plus permissives en matière d’émissions carbone. Ce mécanisme devrait être efficace pour… condamner les PED à la pauvreté.
Au bas mot, le sort d’environ 4 milliards de personnes dépend du commerce international pour espérer voir leur condition s’améliorer. Ce nouveau protectionnisme les empêchera donc dans une large mesure d’échanger avec les pays (riches) adoptant une taxe carbone aux frontières. Ces pays du sud subiront donc une isolation économique encore plus grande du fait de ce protectionnisme carbone. Leur industrialisation est ainsi fortement compromise du fait de leur impossibilité d’accéder réellement aux marchés du Nord. Et le protectionnisme agricole européen et américain empêche déjà les PED du Sud d’exploiter leur avantage comparatif agricole. La taxe carbone aux frontières est donc le chemin vers un sous-développement avancé du Sud.
Le contre-argument des tenants de Copenhague est ici que le système de compensation permettra à ces pays d’innover en technologies à faible carbone. En effet, pour rallier les pays pauvres, le sommet de Copenhague précisera les bases du système de transferts entre pays riches et pays pauvres pour mitiger les émissions de CO2. C’est ce que vient de détailler par exemple le Plan Justice Climat du Ministre Borloo, qui parle de 410 milliards de dollars sur 10 ans, financés par des taxes mondiales (taxe carbone mondiale, taxe Tobin, taxe maritime, taxe sur le baril de pétrole) et par un fonds dédié alimenté par les pays riches. Mais ce contre-argument tient-il ?
Ces transferts posent en effet de graves problèmes. Ils utiliseraient des canaux identiques à ceux de l’Aide humanitaire internationale actuelle, dont l’efficacité est très contestée, notamment du fait de la corruption à laquelle elle donne lieu. C’est un problème majeur en économie du développement : des spécialistes de l’économie de l’Aide humanitaire comme William Easterly expliquent qu’on ne connait toujours aucune manière satisfaisante de s’assurer que l’Aide des États profite réellement aux nécessiteux et aux projets les plus efficaces et urgents. Selon l’OCDE, les nécessiteux ne voient que 50 centimes sur chaque euro d’Aide. Mais on peut craindre que cette évaluation soit très optimiste.
Ainsi, l’aide internationale depuis un demi-siècle représente 2300 milliards de dollars, dont près du quart officiellement pour l’Afrique avec un résultat catastrophique. Parce que dans de nombreux pays l’argent de l’aide a une fâcheuse tendance à disparaître et à ne pas atteindre les plus nécessiteux. Cela s’explique par les incitations bureaucratiques d’un côté comme de l’autre du tunnel de l’aide, ainsi que les problèmes d’information sur quelles urgences traiter... avec l’argent qui reste. Ces aides au développement durable seront attribuées de la même manière et… atterriront donc probablement dans les mêmes comptes en banque en Suisse ou dans les poches de riches bureaucrates d’organisations internationales.
Certains mécanismes d’aide mis sur la table permettraient par ailleurs aux pays de récupérer des « crédits carbones ». C’est donc dire qu’un pays riche réalisant un investissement dans une technologie propre dans un pays pauvre pourra s’affranchir de ses promesses de réduction de production co2. Comment aller vérifier que les investissements ont bien été réalisés de manière pérenne ? Comment éviter la corruption ici aussi ? Aucune piste de réflexion réaliste ne semble s’attaquer à ce problème de taille. Il s’agit tout bonnement de la construction d’une autoroute de la corruption pour acheter l’accord des dirigeants des pays pauvres.
Le bilan de ces propositions fait émerger une situation assez surréelle : les populations pauvres des pays pauvres verront leur production se heurter à des droits de douane, ne toucheront qu’une infime partie de la contrepartie financière qui leur est destinée, et seront tenues de suivre un sentier de développement écologique que même les pays riches n’ont pas encore su trouver ! Le fantôme de l’aide réapparait pour donner une tonalité de bonne conscience et de justice, mais pour paraphraser Shakespeare, il semble qu’en réalité il y ait quelque chose de pourri au royaume de Copenhague