Article publié le 2009-11-21 par TEBI Joachim ABLE./ LNA Philosophe, théoricien de la Palabre africaine.
Dossier
Antinomie Nécessaire et raisonnement logique : contre le syllogisme occidental [11/2009]
La beauté! Seule s'avère déterminante, l'action humaine sur elle...
L’Antinomie Nécessaire est le raisonnement logique de l’Arbre à Palabre.
L’Antinomie Nécessaire est la loi de la patience consciente dans les choix humains. Ainsi, dans les situations apparemment contradictoires, et avant de rendre son avis, lorsque le paysan africain affirme, par exemple, que X a raison, d’un côté, et que, de l’autre, il soutient que Y a également raison, certains esprits déformés par ce cartésianisme universitaire étriqué, y voient une absence déconcertante de rigueur logique. Comment X et Y peuvent-ils avoir raison, dans les mêmes conditions liées à une situation contradictoire ?En fait, la démarche de l’Antinomie Nécessaire, se présente ainsi:
Monsieur Collard a raison niveau 1 ou voie 1 affirmation
Monsieur Picard a raison niveau 2 ou voie 2 infirmation
Ni Collard ni Picard n’a raison niveau 3 ou voie 3 vérité
Tous ceux qui vilipendent l’Antinomie Nécessaire, la réfutent d’abord du fait qu’elle reste une théorie de la logique africaine, et ce seul fait suffit pour qu’ils la jugent impropre, sans autre forme de procès. Ensuite, ils souffriraient de se débarrasser de la logique traditionnelle qui a façonné leur enfance et qui leur a permis de grandir. Voyons donc de quoi il retourne.
Autrefois, la logique traditionnelle des écoles, s’amusait avec nous, de la façon suivante :
Tous les Français connaissent Paris Majeure
Monsieur Collard est un Français Mineure
Monsieur Collard connaît donc Paris Conclusion
En vérité, tous les Français ne connaissent pas Paris et cette information surprend toujours les peuples lointains que cette magnifique ville n’arrête pas de faire rêver. Mais plus sérieusement, disons que selon la logique traditionnelle, si Collard a raison (affirmation), cela infirme, de fait, la voie 2.
Autrement dit, Collard et Picard ne peuvent avoir raison en même temps, l’essence de la contradiction étant l’exaltation des contraires. Or il est dit que Collard a raison (niveau 1), et que Picard a raison (niveau 2), ce qui, normalement, aurait dû induire une aporie. Si l’affirmation et l’infirmation se neutralisent effectivement, il faut chercher une troisième voie qui se situe à un troisième niveau : la vérité.
Cette vérité ne découle immédiatement ni de la voie 1 ni de la voie 2. Car pour l’esprit humain, il n’existe pas de vérité immédiate ; ou du moins, l’esprit humain tend à son refus. C’est d’ailleurs pour ce qui explique, chez certains, la défiance réservée à la vérité religieuse, par exemple, en tant que vérité révélée. La vérité est une recherche dont les conclusions apparaissent lentement comme nous l’apprenons avec la vérité scientifique.
Ce n’est cependant dans le seul domaine de l’art que la vérité ne veut point médiate. Ici, la vérité, c’est-à-dire, la qualité artistique de l’œuvre est immédiatement contenue dans sa représentation. La beauté ou la laideur artistique est vraie, en ce sens, qu’elle restitue parfaitement les traits de l’objet représenté (ce sera beau) ou qu’elle le caricature grossièrement (ce sera laid). Dans ce dernier cas, la vérité sera que la représentation est loin de l’objet censé être représenté. Ici, et on le voit bien, l’erreur, c’est la vérité qui nous révèle que le ‘‘signifiant’’, n’est pas conforme qu ‘‘signifié’’ comme le diraient le linguiste. Affirmer que la représentation du ‘‘Fifre’’, n’est pas belle, nous retrace immédiatement l’esthétisme originel du vrai ‘‘Fifre’’ d’Edouard Manet.
Voici ce à quoi se reconnaît ce mode de vérité appartenant au monde artistique : pour le sculpteur ou le peintre, la vérité tient à la caricature ou à la conformité qui sera tout de même emprunte de quelque subjectivité. Pour les sportifs, la vérité découle immédiatement du beau geste de la prestation qu’ils donnent, de la belle empoignade, de l’abnégation, l’intrépidité, la hargne, de la violence des combats, de l’âpreté des luttes. C’est justement pour cette raison que la trahison de l’esprit sportif, nous livre du même coup, la vérité sportive. Dire donc qu’une partie est belle, reste tout aussi vrai que dire qu’une partie n’est pas belle. Quant à la vérité de l’architecture, elle tient à la robustesse de l’ouvrage et surtout, à l’agréable sensation qu’elle procure à notre vue. Pour le musicien, la dissonance en tant qu’erreur, nous apporte, paradoxalement, la certitude de la vraie beauté musicale. La vérité artistique est donc la seule à se laisser découvrir immédiatement.
La vérité syllogistique qui n’est pas la vérité artistique, mais qui se veut immédiate au raisonnent qui la porte, n’exprime donc que sa propre suspicion. Le syllogisme ne tient nullement compte de la réalité de la situation qu’il entend décrire. Dans le syllogisme, c’est seulement après l’annonce de la conclusion qu’on cherche à savoir si le raisonnement est valide et vrai ou non. S’il arrive à ce raisonnement d’énoncer un jugement valide, alors, on s’en réjouit comme à la fin d’un jeu de hasard. Dans le cas contraire, on peut reprocher au syllogisme d’avoir sciemment énoncé un jugement suspect. Cependant, on ne saurait tenir particulièrement grief à cette logique qui, par ce jeu, satisfait parfaitement à son caractère ludique. Cette logique suspecte ne s’adresse pas à l’homme mature, en tant qu’opérant dans la société ; mais uniquement à l’esprit qu’elle n’hésite pas à tromper par l’invalidité de certaines de ses conclusions. Mais du fait qu’elle se soucie de la formation de l’esprit des enfants, le syllogisme démontre une valeur acceptable. Etant donné que l’enfant dort toujours en nous, qu’il me soit permis de recourir à la forme de raisonnement syllogistique pour me livrer au petit jeu suivant :
Le syllogisme est une logique ludique
L’Antinomie Nécessaire est différente du syllogisme
L’Antinomie Nécessaire est la logique des hommes sages.
Dans l’Antinomie Nécessaire de la logique africaine de ‘‘l’Arbre à Palabre’’, la vérité se cherche parce que le sage sait qu’elle n’est jamais évidente. Si la vérité est la parfaite adéquation entre l’idée et le fait, cette adéquation qui loin d’être une évidence, se veut donc une correspondance que l’homme doit établir. En effet, il n’appartient point à la vérité de s’établir elle-même. La vérité n’aucune existence réelle, en dehors de la volonté humaine qui va à sa conquête. Cela nécessite donc un effort, non pas de la part du fait décrit qui est toujours égal à lui-même, mais de la part de l’homme qui doit échapper à la pesanteur des préjugés...
S’il est certain qu’elle tourne comme une roue, selon l’adage populaire, il s’avère donc utile de voir la vie comme complémentarité. Car les situations de la vie ne font que changer de nom : la paix chasse la guerre et la guerre appelle la paix. L’amour est une haine maîtrisée et la haine est un amour désespéré. Partant de ces vérités, il n’est pas hasardeux d’affirmer que personne n’a jamais raison entièrement ; personne n’a jamais tort absolument.
C’est bien ce que le sage a compris qui a instauré la notion de ‘‘circonstances atténuantes’’ dans certaines situations de crise. L’Antinomie Nécessaire se fonde alors sur le principe qu’il ne saurait y avoir de qualité négligeable dans les choses de la vie. Dotée de cette conscience vigilante selon laquelle rien ne peut être définitivement acquis, elle adopte une conduite prudente, dans sa méthode d’approche des faits et dans ses opérations de jugement.
La différence fondamentale entre l’Antinomie Nécessaire et la logique des écoles, tient donc au fait que la première n’est pas seulement une démarche de l’esprit. Elle se veut donc résolument différente de cette logique à caractère ludique, juste agréable pour le seul divertissement intellectuel. Contrairement à cette ‘‘logique à hypothèses’’ des écoles et propre aux digressions des sophistes, l’Antinomie Nécessaire se déploie utilement sur l’être de la société, elle-même, et raisonne la prétention humaine. Pour ma part, je compris l’ingéniosité de la loi de la patience consciente lorsqu’un jour, à Bamako, parlant de politique avec le doyen Mamadou Keïta, de la région malienne de Gao, il me dit ceci : la meilleure façon, pour un opposant, de prendre le pouvoir au gouvernant, c’est de demander à gouverner avec lui... La meilleure manière, pour un gouvernant, d’éloigner son opposant du pouvoir, c’est de l’inviter à gouverner avec lui (...)
Par ailleurs, la théorie de l’Antinomie Nécessaire ressemble à celle de la tortue : un jour, Madame Kolié, décida d’aller en voyage, chez l’homme le plus rapide au monde. Celui-là marchait vite, courait vite, faisait tout avec empressement, et avait signifié à la tortue de presser le pas ; elle ne le trouverait pas en place, sinon. Tenant alors compte de cette consigne, Madame Kolié marchait, à la fois vite, sans se presser, et lentement, sans tarder. A mi-parcourt, précisément, la foudre largua son chargement de feu, juste, sur les traces de ses toutes dernières empruntes. ‘‘Grand Dieu du ciel ! Dit-elle ; qu’il est utile de marcher vite.’’ A peine eût-elle prononcé ces paroles que, juste devant elle, la foudre déchargea, à nouveau, son feu . ‘‘Grand Dieu du ciel ! Qu’il est inutile de marcher vite,’’ dit-elle.
Le sage Diana Bobolo qui assista à cette scène, la rapporta aux humains qui, à partir de là, adoptèrent cette règle que notre tradition orale a désignée par le principe du ‘‘ceci est beau ; cela n’est pas laid’’ ; ce qui veut dire qu’au départ de toute chose, rien n’est jamais vrai, rien n’est jamais faux. Cela signifie, également, que prises en elles-mêmes, les choses ne sont ni agréables ni désagréables. Et seule s’avère déterminante, l’action humaine sur les faits (...)
L’Antinomie Nécessaire a donc raison de se muer en concept mobilisateur pour concilier les horizons les plus divers ; de tenter de réconcilier ce qui est épars et de construire l’unité de la vie, sans prendre position pour les acteurs et les sujets libres qui décideront de marcher vite, sans se presser ou d’avancer lentement, sans perdre le temps...
la région malienne de Gao, il me dit ceci : la meilleure façon, pour un opposant, de prendre le pouvoir au gouvernant, c’est de demander à gouverner avec lui... La meilleure manière, pour un gouvernant, d’éloigner son opposant du pouvoir, c’est de l’inviter à gouverner avec lui (...)
Par ailleurs, la théorie de l’Antinomie Nécessaire ressemble à celle de la tortue : un jour, Madame Kolié, décida d’aller en voyage, chez l’homme le plus rapide au monde. Celui-là marchait vite, courait vite, faisait tout avec empressement, et avait signifié à la tortue de presser le pas ; elle ne le trouverait pas en place, sinon. Tenant alors compte de cette consigne, Madame Kolié marchait, à la fois vite, sans se presser, et lentement, sans tarder. A mi-parcourt, précisément, la foudre largua son chargement de feu, juste, sur les traces de ses toutes dernières empruntes. ‘‘Grand Dieu du ciel ! Dit-elle ; qu’il est utile de marcher vite.’’ A peine eût-elle prononcé ces paroles que, juste devant elle, la foudre déchargea, à nouveau, son feu . ‘‘Grand Dieu du ciel ! Qu’il est inutile de marcher vite,’’ dit-elle.
Le sage Diana Bobolo qui assista à cette scène, la rapporta aux humains qui, à partir de là, adoptèrent cette règle que notre tradition orale a désignée par le principe du ‘‘ceci est beau ; cela n’est pas laid’’ ; ce qui veut dire qu’au départ de toute chose, rien n’est jamais vrai, rien n’est jamais faux. Cela signifie, également, que prises en elles-mêmes, les choses ne sont ni agréables ni désagréables. Et seule s’avère déterminante, l’action humaine sur les faits (...)
L’Antinomie Nécessaire a donc raison de se muer en concept mobilisateur pour concilier les horizons les plus divers ; de tenter de réconcilier ce qui est épars et de construire l’unité de la vie, sans prendre position pour les acteurs et les sujets libres qui décideront de marcher vite, sans se presser ou d’avancer lentement, sans perdre le temps...
Voici le sens fondamental de la Palabre Africaine.Texte extrait de : Petit cours de philosophie politique. Préface du philosophe et épistémologue François Dagognet.