Article publié le 2008-11-09 par Godefroy Macaire CHABI – LNA/COTONOU Afrique
Benin: Boni Yayi, entre grands chantiers et dures réalités politiques [11/2008]
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Presque plébiscité il y a deux ans à la tête du Bénin avec 75% des suffrages, porté à bout de bras par l’ensemble de la classe politique au second tour de la présidentielle en avril 2006, l’heure de la souffrance politique semble avoir maintenant sonné pour Boni Yayi. Plus les jours passent, plus le Président béninois est confronté aux dures réalités du pouvoir politique, tant l’atmosphère collective qui a présidé à son élection semble profondément chutée. Technocrate, moulé dans le système bancaire africain, sans parti politique avant la présidentielle qui l’a porté au pouvoir, l’ancien Président de la Banque Ouest africaine de développement sait désormais que les arcanes du pouvoir font intervenir un grand nombre de paramètres. Pourtant, il était loin de l’imaginer.


Avec sa constance posture d’homme pressé, sa seule ambition est de montrer au peuple béninois qui a massivement porté son choix sur lui que le développement est bien possible grâce aux changements des moeurs politiques et des habitudes individuelles. Les mois qui ont suivi son élection, il a réussi à convaincre l’opinion nationale sur cette volonté en réussissant à faire passer un message dans l’opinion: la rigueur de l’Etat ne peut exempter personne, même les amis politiques. Son credo de gestion est contenu dans son discours d’investiture dont la promesse a résonné dans la tête du dernier des béninois, soulignant l’obligation de résultat et la reddition des comptes. Ainsi au nom de ces principes, personne n’avait droit à l’erreur. Le nouveau Président investi de la légitimité nationale nommait et dégommait au même rythme (à la moindre incartade). L’administration désormais réglée comme du papier à musique a retrouvé la discipline attendue par l’ensemble de la société, fatiguée de 10 années de permissivité absolue sous le régime défunt de Mathieu Kérékou (1996-2006). Le contrôle de gestion et l’orthodoxie devenaient rapidement des éléments auxquels les béninois commençaient à s’habituer, car le nouveau « maître à bord » veut faire les choses en règle. Mettant à profit son carnet d’adresses, il ouvre de nombreux chantiers dans le pays, car l’ambition est de changer la physionomie du pays. Des analystes politiques au Bénin et au plan international avaient, au regard de l’allant symptomatique du nouveau pouvoir, affirmé que le Bénin étaient en train de vivre sa véritable transition vers l’émergence. Car après la transition politique de 1990-1991 au cours de laquelle Nicéphore Dieudonné Soglo avaient pris les rênes du pays après la Conférence Nationale de février 1990, quelqu’un était enfin en train d’ouvrir l’ère du développement de son pays, débarrassé des mauvaises pratiques. Malgré la volonté et l’envie que dégage le style de l’homme, les choses ne se dérouleront pas aussi facilement pour lui dans un pays profondément miné par une tradition politique dans laquelle il semble étranger.


Changement, émergence….. le piège
Ces deux mots ont jailli comme son dada dès la campagne présidentielle. Son modèle de gestion et sa vision sont également sertis là-dessus comme sur du rocher. Le changement et l’émergence sont alors agités à chacune de ses sorties politiques et à chaque déclaration publique.
Dans ce pays de 8 millions d’habitants, affidés et courtisans politiques n’hésitent pas à reprendre en coeur cette vision comme s’il s’agissait d’un cri de ralliement. Marche de soutien, meeting de remerciements, déclarations tapageuses. Tout semble concocté pour séduire le prince et lui donner pleine confiance et assurance.
Bien curieusement pour aller encore loin dans son combat, il doit aussi réussir à articuler tous ces phénomènes qui s’organisent autour de sa personne. Tant les intérêts sont énormes au regard des donnes politiques qui ont préexisté à son élection.
Arrivé au pouvoir dans un contexte où les appétits politiques s’étaient faits voraces au sein de la classe politique avec le départ définitif de Mathieu Kérékou (limité par l’âge et ayant atteint ses deux mandats constitutionnels) et Nicéphore Soglo (lui-même défavorisé par le critère d’âge), Boni Yayi a perdu de vue qu’il devrait se préparer à toutes espèces de retournement politique face à des ténors à l’image de Adrien Houngbédji du Parti du renouveau Démocratique et Bruno Amoussou du Parti social démocrate. Les deux, malgré tout, n’auront aucun intérêt à rapidement digéré leur défaite qui sonne comme une humiliation face à un néophyte sorti des couloirs de la banque. Le premier (Adrien Houngbédji) ayant d’ailleurs été battu à plate couture au second tour s’est tenu longtemps à l’écart des agitations observées dans les premiers cercles du pouvoir. Sauf que son omerta devant certaines questions cruciales déplaît à plus d’un béninois.
Chacun fait en réalité son calcul à son niveau et personne n’a intérêt que le petit poucet de la BOAD ait l’impression que gérer la chose politique est aussi simple que cela.

Il y a de la place pour tout le monde
Dans le Bénin de Boni Yayi, la vigilance est à son point orange, et personne ne veut rester polaire par rapport à ce qui se passe dans le pays. Même les anciens Présidents qui se sont offerts en mentors potentiels du nouveau Président. Nicéphore Dieudonné Soglo, Ancien Président et Maire de la plus importante ville du Bénin, Cotonou voyant son influence fragilisée dans la cordée des municipales avaient déjà donné un coup de pied dans la fourmilière en critiquant vertement « les dérives dictatoriales » du président de la République.
Quant à Mathieu Kérékou, longtemps habitué à la stratégie feutrée et sans-bruits, les béninois le découvrent aussi sous un nouveau jour, multipliant les critiques et les ironies parfois peu favorables au pouvoir en place.

Fronde politique, la règle
La première onde de choc est partie il y a un an du premier vrai remaniement de l’équipe gouvernementale, avec la sortie des ministres PSD de Bruno Amoussou et MADEP du richissime homme d’affaires, Séfou Fagbohoun du gouvernement.
La réplique donnée par l’Assemblée Nationale est cinglante et va rythmer les rapports politiques à ce jour, avec une série de rebondissements. Des situations que le Président de la République prend très au sérieux, vu les gymnastiques qui lui ont donné la fragile et précaire majorité parlementaire ayant permis de hisser un de ses bras droit, Mathurin Nago au perchoir. En effet, l’accord de législature avec les petits partis politiques lui ont en effet permis de s’assurer une majorité au parlement. 13 députés aujourd’hui constitué au sein du G13 se sont en effet ajoutés aux 35 députés de sa « Force Cauris pour un Bénin Emergent, FCBE ». Mais les choses ont rapidement capoté au même rythme que la précipitation ayant caractérisé l’alliance scellée.
Conséquence directe, la naissance du G13 et du G4 qui réclament la tête du Président de l’Assemblée nationale dont la gestion est jugée catastrophique. Mais il clair que ses accointances avec le Président de la République constituent la véritable pomme de discorde. Une situation troublante qui donne le tournis au vrai sens du terme au Président, parfois éloigné de ses grands projets et de ses chantiers pour se consacrer à des crises politiciennes, ayant aussi valeur de test pour sa personne.


Un Président rendu indécis
Fragilisé par les résultats des élections municipales, communales et locales d’Avril 2008, malgré que son parti ait remporté 60% des 1435 sièges de conseillers municipaux et communaux, Boni Yayi a le sentiment d’avoir récolté un pâle succès. Les grandes villes du pays à fort enjeux: Cotonou, Porto Novo, Abomey ayant été contrôlé par la Renaissance du Bénin et le Parti du Renouveau Démocratique. Du coup, additionné à une majorité en éclats à l’Assemblée nationale, le Président de la République est contraint à la négociation, ouvrant la voie aux surenchères politiques. Le G13, le groupe de 13 députés fait le dos rond. Rien n’indique que le MADEP de Séfou Fagbohoun, va accepter l’offre qui lui est adressée. Car en le faisant, les ténors de ce parti craignent de trahir le pacte scellé dans le G4 avec le PSD, le PRD et la RB.
Boni Yayi encore rendu impopulaire de l’intérieur de son gouvernement par des ministres aux déclarations fracassantes et à l’emporte-pièce à envie de mettre le pied sur l’accélérateur, mais aujourd’hui il est bloqué par de nombreuses pesanteurs. Lui qui, il n’y a pas si longtemps avait habitué les béninois aux limogeages et aux remplacements à la vitesse du son.
Mais le Président est encore obligé de continuer la diplomatie du consensus qu’il affirme privilégier, obligé aussi qu’il est de respecter la volonté de ces personnages qui représente à la fois lobby économique et lobby politique. Surtout que l’horizon 2011 n’est pas loin de ses calculs et de chacune de ses démarches.
Dans ce climat, les syndicats qui ont observé la trêve ont tout le temps pour faire parler encore d’eux.
Bref, la société civile affirme rester vigilante dans le suivi des événements, selon Martin Assogba, Président de l’ONG ALCRER, Association de Lutte contre le racisme, l’ethnocentrisme et le régionalisme.