L’Afrique est un théâtre sur lequel les Japonais testent la détermination de la Chine dans le conflit de leadership qui les oppose en Asie. Ils cherchent tous deux une stratégie leur permettant de profiter pleinement des ressources énergétiques du continent. La dépendance énergétique du Japon l’a conduit à initier une « diplomatie des ressources ». Il importe pratiquement 100 % du pétrole qu’il consomme, 90 % du gaz naturel et plus de 80 % du charbon dont il a besoin ; 100 % du coton brut et de la laine, 100 % de ses besoins en bauxite et en nickel, près de 100 % du minerai de fer et plus de 98 % du cuivre. La politique étrangère du Japon est déterminée par un flux d’informations qui conduisent les responsables à adopter certaines positions et à s’adapter selon les enjeux et les rapports de force sur la scène internationale. Les autorités politiques nipponnes s’inscrivent ainsi dans une « diplomatie de loterie » et une « tactique de deux discours en poche » selon les circonstances. Pour garder une influence sur le continent, tout en prenant en compte l’âpreté de la compétition qui l’oppose aux pays développés et à la Chine, le Japon met dès lors en œuvre des contre-stratégies qui transforment l’espace africain aux mieux de ses intérêts. En somme, dans un monde où on a non pas tant la place qu’on mérite que celle qu’on se donne, la morale lui permet d’engranger la sympathie des responsables politiques et de l’opinion publique africaines afin d’exploiter les ressources stratégiques et le potentiel socioéconomique par les entreprises nipponnes, largement distancées par les sociétés européennes, américaines ou chinoises sur le continent.
Les États africains se caractérisent, entre autres, par une faiblesse du système économique, décelée dans leur incapacité à réaliser leurs objectifs de développement, aussi sollicitent-ils régulièrement l’aide des puissances étrangères. Pour le gouvernement japonais, la faiblesse du continent réside dans ses infrastructures et ce déficit constitue un frein au développement économique et social. Ainsi, pour le Japon, la TICAD est un instrument qui vise à aider l’Afrique à mener les efforts nécessaires et adaptés aux priorités qu’elle s’est fixée pour son développement. Au Cameroun par exemple, l’octroi de « dons » entre 1997-2006, s’évaluant à 55,65 milliards de F CFA, a permis la construction de plusieurs écoles primaires. Selon le premier ministre Shinzo Abe à la TICAD 2019 : « En apportant une assistance à l’Afrique, nous devons tenir compte du fardeau de la dette du pays qui reçoit cette aide et faire en sorte que ce fardeau ne devienne pas excessif ». Pour lui, les investisseurs étrangers devraient veiller à ne pas sur endetter les pays hôtes.
En invoquant l’adoption par les investisseurs étrangers d’une « morale », le premier ministre tente de mettre en avant sa bonne foi face aux régimes africains soucieux d’en finir avec les donneurs de leçons occidentaux qui, selon certaines opinions africaines, freinent des projets liés au développement. D’une part, la compassion qui émerge de ses propos est une « reconnaissance » des difficultés que rencontrent les Africains dans leurs projets de développement, et la volonté nipponne de clore le chapitre de l’« impérialisme compassionnel ». D’autre part, ces propos sont une arme brandie contre les « Nouvelles routes de la soie ». Projet d’infrastructures chinois devant relier l’Europe, l’Afrique et la Chine, celui-ci est accusé de favoriser entreprises et ouvriers chinois au détriment des économies locales africaines, d’enferrer les pays hôtes dans la dette et de ne pas tenir compte des droits humains et de l’environnement. Assurément Tokyo capitalise les enjeux internationaux de développement et d’intégrité humaine, et ce discours lui permet de présenter sa coopération avec l’Afrique comme dénuée de mépris, de condescendance, d’exploitation et de mercantilisme.
Somme toute, Tokyo adopte une politique étrangère réactive pour revigorer ses intérêts et avantages économiques en Afrique, espace de projection et de renforcement de son statut de puissance sur la scène internationale. L’Afrique doit s’en inspirer pour disposer d’une capacité d’adaptation et de démarcation sur les enjeux de développement et de puissance en vigueur dans l’environnement post bipolaire.