Article publié le 2008-05-21 par Mithé Ahindo OSUMBU Dossier
EDUCATION : Enfants dits sorciers, Un crime commis au nom de Dieu ! [05-06/2008]

Le phénomène et la problématique des enfants dits sorciers se posent avec acuité en RDC. Coupables ou non de faits à eux reprochés, ils sont victimes d'une marginalisation de la part de la société. Des solutions contre ce fléau vous sont présentées dans les lignes qui suivent.

Le phénomène de la sorcellerie enfantine en République démocratique du Congo est avant tout frappant par son ampleur. C'est une rupture avec le modèle traditionnel de la sorcellerie jadis attribuée aux vieillards. C'est l'une des variantes les plus complexes et pernicieuses de la problématique des enfants vulnérables en RDC. Contrairement aux enfants soldats, cette problématique ne s'inscrit pas uniquement dans une logique conjoncturelle de conflit armé mais aussi dans une déstructuration du champ familial et des valeurs de base de la société, à cause de la mortalité élevée due au sida. Toutes les régions sont concernées. En effet, à Kinshasa, ils sont des milliers accusés d'être à l'origine de malheurs, d'accidents, de désagréments survenus dans leur famille ou même dans leur quartier et à se retrouver, dans le meilleur des cas, rejetés dans la rue, battus, torturés ou tués dans le pire des scénarios. On leur reproche souvent la même chose: ces petits enfants du monde visible peuvent se métamorphoser dans le monde invisible, effectuant des visites nocturnes, «mangeant la chair et buvant le sang» de leurs «proies», qu'il s'agisse de leur petit frère qui vient de mourir ou d'un voisin gravement malade. «Ils avouent d'ailleurs volontiers », reconnaissent des psychologues, qui précisent que ces enfants, pour beaucoup, vivent dans une situation familiale vulnérable (orphelins de parents décédés du SIDA, enfants issus de membres éloignés de la famille) et favorable aux affabulations en public interprétées par leurs accusateurs comme un aveu.

Statistiques contradictoires

Pour certaines statistiques, il y aurait 30.000 enfants des rues dont la moitié serait accusée de sorcellerie. Pour d'autres il n'y en aurait que 10.000. Et pourtant, un seul enfant dans la rue devrait déclencher une sonnette d'alarme. Plusieurs études attribuent le phénomène à la pauvreté, la polygamie, la fuite des responsabilités individuelles et institutionnelles ou la fragili-sation de la solidarité familiale. Certaines concluent «qu'il existe également de vrais enfants sorciers, qui sont extrêmement peu nombreux». Pour Filip de Boek, professeur en Anthropologie à l'Université de Leuven, l'ampleur du phénomène est liée à plusieurs éléments d'une mutation sociale, qui inclut notamment le conflit entre les générations et la volonté d'accéder à la «modernité». Selon lui, en effet, l'enfant n'est pas seulement une victime, mais également un «acteur social» occupant une place de plus en plus centrale dans la sphère publique, qu'il soit Kadogo (enfant-soldat) détenteur de la force ou creuseurs de diamant qui accède à une vie moderne dont ses aînés sont exclus.

Eglises de «réveil»

La diffusion des feuilletons télé du Nigeria et du Ghana, très axés sur la notion d'«enfants esprits» n'est certes pas favorable, mais ce sont surtout certaines églises de «réveil» bien connues et leurs pasteurs souvent mercantiles qui contribuent grandement à exacerber le phénomène d'enfants sorciers. Une fois «identifiés», ces enfants subissent une période de réclusion, avec jeûne, laxatifs et des vomitifs pour les «nettoyer de la viande qu'ils ont mangée». L'interdiction officielle en 2004 d'hébergement de ces enfants par ces églises de «réveil» n'a pas éradiqué. Pour un psychiatre kinois, «il faut travailler avec ces églises, les encadrer, car elles apportent une solution locale. Pour OSER LA VIE, une asb belgo-congolaise, en revanche, «ces églises détruisent à 80%, et la réintégration obtenue à 20% est souvent bien fragile.

Quelles solutions ?

Notre expérience sur le terrain depuis 4 ans nous pousse à affirmer que la prévention au niveau du cocon familial est primordiale. Un dialogue ouvert permet aux familles de s'exprimer. A Kinshasa, seule une dizaine d'organisations agréées accueillent des enfants accusés de sorcel-lerie. Parallèlement, plusieurs centres «religieux» informels comblent le vide dans des conditions matérielles déplorables. Il est donc nécessaire de traiter le problème dans sa spécificité ou de l'inclure dans la problématique plus générale des enfants de la rue, mais aussi de légiférer pour la protection de ces enfants, de lancer une campagne d'affichage, d'interdire à ces «pasteurs», qui ne reflètent pas toujours la pensée du Dieu Créateur, de se servir d'enfants dits sorciers à des fins d'évangélisation et de sensibiliser toutes les instances de régulation : cellule familiale, écoles, églises, associations.