De la rive, on ne distingue qu’une tache sombre, perdue dans la brume. La côte rwandaise et ses collines sculptées en terrasse paraissent bien calmes, de même que sa voisine congolaise visible au loin. Mais les eaux bleutées du lac Kivu, perché à près de 1 500 mètres d’altitude, ne sont tranquilles qu’en apparence.
Car depuis décembre 2015, c’est le grand chambardement au fond du Kivu, qui plonge à certains endroits à plus de 450 mètres. La silhouette visible sur l’eau est une plate-forme d’extraction. Le projet « Kivuwatt », œuvre du groupe américain ContourGlobal, permet aujourd’hui de pomper les quelque 60 milliards de mètres cubes de méthane retenus au fond du lac afin de l’utiliser comme biogaz.
La centrale électrique et la plate-forme d’extraction ont été inaugurées le 16 mai en présence du président rwandais, Paul Kagamé. Ce bassin grand comme vingt-sept fois Paris permet aujourd’hui de produire 26 mégawatts (MW). Un premier pas pour ContourGlobal, qui vise la construction de deux autres plates-formes d’ici à 2020, pour une capacité installée de 100 MW. « De quoi doubler la production énergétique du pays », s’enthousiasme Jarmo Gummerus, directeur du projet.
Un pipeline sous-marin relie la côte à la petite plate-forme (25 mètres sur 64), qui abrite un extraordinaire labyrinthe de tuyaux colorés. Ici, le méthane est pompé, « lavé », « séché », séparé de l’eau et du dioxyde de carbone, avant d’être envoyé sous pression vers la côte pour alimenter les trois groupes électrogènes de la centrale.
L’employée chargée de la sécurité est agitée. « Pas de téléphone, pas d’alcool, pas de cigarettes ! On produit du gaz ici ! », s’alarme-t-elle. Interdiction de marcher seul et sans un détecteur accroché à la ceinture. Le méthane est aussi inflammable qu’explosif. Dans cette région peuplée par plusieurs millions de Rwandais et de Congolais, « une éruption pourrait embraser le méthane et faire exploser le lac », explique M. Gummerus. « Une fuite pourrait aussi intoxiquer les populations. » De quoi rappeler de sombres souvenirs : en 1986, la libération de CO2 avait asphyxié près de 2 000 personnes en quelques heures autour du lac Nyos, au Cameroun.
Le projet « Kivuwatt » a nécessité sept ans d’effort et plusieurs centaines de millions de dollars d’investissements privés. « Le Rwanda ne produit aucune des technologies de la centrale », explique Jarmo Gummerus, de nationalité finlandaise et à la tête d’une équipe internationale de 70 personnes. Il a fallu une cinquantaine de jours depuis la côte kényane, située à 1 500 kilomètres, pour acheminer des machines pesant parfois plusieurs dizaines de tonnes jusqu’au Kivu par les périlleuses routes en lacis du « pays des mille collines ».
Au soleil couchant, on aperçoit des groupes de pêcheurs, s’élançant sur l’eau dans l’obscurité. Les barques de bois sont rudimentaires, les techniques de pêche ancestrales. « Le lac n’a jamais eu beaucoup de poissons », déplore Claude Nsabimana, chef d’un groupe de dix pêcheurs. La concentration de gaz et de roches volcaniques a empêché la vie organique de se développer. « Personne ne peut vivre seulement de la pêche. Mais grâce à “Kivuwatt”, la vie s’est améliorée. Des gens de la région ont été embauchés comme gardes, cuisiniers, chauffeurs… »
Des affirmations corroborées par Emmanuel Muhire, secrétaire exécutif du district : « “Kivuwatt” a permis de créer 15 % d’emplois supplémentaires dans une région qui dépendait auparavant du tourisme et à 89 % de l’agriculture. Les salaires ont augmenté. L’extrême pauvreté est passée de 38 % il y a trois ans à 21 % aujourd’hui. »
Il reste qu’au Rwanda, seul un quart de la population a accès à l’électricité et que 80 % de la production énergétique vient de la combustion du bois, fort polluante. En matière de renouvelables, toutefois, le gouvernement autoritaire de Paul Kagamé a de grandes ambitions. Outre le méthane du Kivu, le pays explore aujourd’hui ses possibilités hydrauliques et a inauguré en 2015 le plus grand parc photovoltaïque d’Afrique de l’Est, avec 28 000 panneaux distribués sur 21 hectares.
« C’est un mouvement régional en Afrique de l’Est », insiste Christian de Gromard, référent énergie et spécialiste de l’Afrique à l’Agence française de développement (AFD). Chaque pays mise sur ses avantages : l’Ethiopie avec l’hydraulique et la construction du gigantesque barrage Renaissance sur le Nil Bleu ; le Kenya avec la géothermie, qui contribue à 27 % du mix énergétique du pays, mais aussi l’éolien, avec le futur et gigantesque parc du lac Turkana. La Tanzanie a lancé une cartographie complète de ses potentiels en énergies renouvelables. Seul reste à la traîne l’Ouganda, avec ses réserves de 1,6 milliard de barils de pétrole bientôt exportables.
L’AFD a profité de la visite du ministre des affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, à Nairobi, le 1er août, pour officialiser un prêt de 33 millions d’euros de soutien à l’éolien et au solaire kényans. Ce secteur, rappelle M. de Gromard, « est sous-développé en Afrique, où les Etats n’ont pas anticipé la chute des prix du kilowatt-heure, divisé par trois ces dernières années ».
« Kivuwatt » n’est pas encore rentable. Mais, déjà, un autre américain, Symbion Power, a obtenu un contrat pour l’exploitation du précieux biogaz. Pas de quoi s’alarmer pourtant : il y a, pour l’instant, de la place pour tout le monde. Les réserves en méthane du Kivu devraient pouvoir fournir de l’électricité au Rwanda pour les quatre cents prochaines années.
Source : Le monde
Une nouvelle entité à même de booster la capacité de production d‘énergie électrique en Afrique vient de voir le jour. C’est le fruit du rapprochement de deux institutions financières panafricaines spécialisées dans le financement des infrastructures sur le continent.
Il s’agit de la nigériane Africa Finance Corporation (AFC) et de la Sud-africaine Harith General Partners. Ensemble ces structures ont fusionné leur actifs énergétiques, leur expertise et leurs projets dans le but de produire de l'énergie.
Cette fusion comporte des projets énergétiques d’une capacité de 1575 mégawatts, d’une valeur de 2,3 milliards de dollars au Ghana, au Cap-Vert, au Nigeria, et en Afrique du Sud.
30 millions de personnes disséminées dans 10 pays pourraient bénéficier de cette initiative dans un continent où 620 millions de personnes sont privés d‘électricité.
« Cette fusion va porter sur les actifs de l’Afc dans Cenpower, initiateur du projet Kpone de production énergétique au Ghana et celui du parc éolien à Cabeolica au Cap-Vert avec ceux du Fonds panafricain de développement des infrastructures (Paidf, sigle en anglais) gérés par Harith pour ses projets Azura Edo Ipp au Nigeria, l’énergie éolienne du lac Turkana au Kenya, la centrale thermique de Kelvin en Afrique du Sud et le projet thermique Rabai au Kenya », rapporte l’agence PANA.