A l’île Maurice, il paraît étrange que certains prêchent la diversité dans l’entreprise tout en prônant un protectionnisme tarifaire qui décourage la diversité dans l’économie. Ne jouons pas sur les mots ou sur des oxymorons tels que « protectionnisme ouvert ». Politique visant à protéger l’économie nationale de la concurrence étrangère, même loyale, par des mesures étatiques, le protectionnisme n’est pas un facteur de progrès, et le revendiquer au nom de l’équité est ahurissant.
Et pour cause, deux propriétés caractérisent une économie : l’équité et l’efficacité. On ne saurait mettre en avant l’une sans parler de l’autre. Lorsque le gouvernement élabore ses politiques, il fait un arbitrage entre les deux objectifs, en sacrifiant souvent l’efficacité (taille du gâteau) pour le compte de l’équité (manière dont il est découpé). Mais il faut d’abord produire le gâteau avant de le distribuer aux membres de la société. On l’aura compris : ce qu’on appelle « l’équité économique » se situe au niveau de la redistribution (redistribuer les richesses de manière équitable entre les agents de l’économie), alors que l’efficacité économique concerne la création de richesse. Ce qu’on attend précisément des manufacturiers mauriciens, c’est qu’ils soient efficaces. S’ils aiment tant l’équité, seront-ils disposés à partager leurs bénéfices avec leurs employés et à payer plus d’impôts au profit des gens vulnérables ? L’efficacité signifie que la société tire le meilleur parti de ses ressources rares. En l’occurrence, un bien doit être produit par les producteurs ayant les coûts les plus faibles, et un bien doit être consommé par les acheteurs qui lui accordent le plus de valeur. Cette valeur moins le montant payé par les acheteurs s’appelle le surplus du consommateur. Le surplus du producteur, lui, représente le montant reçu par les vendeurs moins le coût du bien pour eux. La somme des deux surplus, c’est le surplus total, soit la valeur accordée au bien par les acheteurs moins le coût du bien pour les vendeurs. C’est le bien-être économique de la société.
Retirer des avantages
Une économie est donc efficace quand la société retire des avantages d’une allocation de ressources qui maximise le surplus total. L’efficacité peut être quantifiée alors que l’équité est difficile à évaluer. L’équité est affaire de jugements normatifs et relève plutôt de la philosophie politique. Par ailleurs, l’efficacité pourra même contribuer à l’équité, dans la mesure où le libre-échange démocratise l’accès aux différents biens et à des prix bon marché. Ce faisant, il permet aussi de redistribuer du pouvoir d’achat, en transférant une partie du surplus du producteur au profit du consommateur puisque celui-ci payera moins cher. A l’opposé, le protectionnisme réduit le surplus du consommateur ainsi que l’efficacité de l’économie. Principales armes protectionnistes, les droits de douane augmentent les prix des biens importés et font donc payer plus cher aux consommateurs. Pareille politique n’est pas non plus une bonne chose pour les exportateurs locaux qui risquent d’être pénalisés par des mesures de rétorsion dans les pays étrangers. Les seuls bénéficiaires sont les producteurs qui sont tributaires du marché domestique, mais alors l’affaiblissement de la concurrence étrangère ne les contraint pas à s’adapter et à rattraper leur retard technique. En fait, les manufacturiers mauriciens, incluant exportateurs et PME, bénéficient d’aides étatiques qui sont des formes subtiles de protection : abattements fiscaux sur les dépenses d’équipement, soutiens institutionnels en promotion et en formation, subventions sur le fret à l’exportation, bonification d’intérêt, dépréciation délibérée de la roupie. Tout cela n’est pas respectueux de l’équité, non seulement vis-à-vis des partenaires commerciaux du pays, mais aussi des producteurs locaux d’autres secteurs ! Ce mode de fonctionnement n’a pas favorisé un grand bond en avant qui projette l’économie dans la catégorie des pays à hauts revenus. Par son incapacité à innover, le pays demeure pris dans un « middle-income trap ». Le secteur privé se contente de faire ce qu’il sait faire sous l’ombrelle protectrice de l’Etat. Entre-temps, des anciens pays en développement plus ouverts aux échanges internationaux, comme Singapour, ont décroché le statut de pays développé. Il n’est pas étonnant que l’industrie manufacturière de Maurice connaisse une quasi-stagnation. Durant la période de 2007 à 2015, elle a crû par un taux annuel moyen de seulement 2,2%. Avec un ratio capital-travail qui a reculé de 1,3% par an, elle n’a pas fait des investissements intensifs mais plutôt des investissements d’expansion. La baisse de 3,9% par an du ratio capital-production est une indication que ceux-ci n’ont pas contribué efficacement à la croissance industrielle.
La barre de 200 millions de dollars dépassée
Heureusement que l’ouverture internationale de l’économie mauricienne juste avant la crise financière de 2008 a accru la résilience économique du pays. Dès 2006, l’investissement direct étranger brut a dépassé la barre de 200 millions de dollars américains pour la première fois. En neuf ans, de 2006 à 2014, il a totalisé plus de 3 milliards de dollars ! Le problème, c’est qu’une quantité infime de ce montant est allée dans le secteur manufacturier. Pour les trois premiers trimestres de 2015, celui-ci n’a attiré que 0,7 million de dollars, soit 0,3% du total.
Somme toute, le protectionnisme au nom de l’équité finit par être inefficace et inéquitable, soit une double peine pour l’économie car pénalisant non seulement la création de richesse (efficacité), mais également sa redistribution (équité). Un pays ne peut pas vouloir seulement les capitaux, sans les marchandises, des étrangers. Pour que son économie soit efficace et prospère, il doit permettre la liberté de mouvement de biens, de capitaux et de personnes.