« Il n’est pas tolérable que dans notre pays, l’accès à l’éducation et à la formation, aux soins de santé, aux emplois et aux logements, repose le plus souvent sur les privilèges d’ordre familiaux ou politiques ». C’est par ces mots que le président gabonais Ali Bongo lançait le 23 février 2016 son programme pour l’égalité des chances. Un programme visant, selon lui, à rompre avec la vieille culture du favoritisme, les vieilles habitudes des privilèges immérités qui marginalisent et excluent de nombreux talents et intelligences du pays. Mais formulé à quelques mois de l’élection présidentielle, ce programme soulève plusieurs questions.
La première porte sur le point de savoir ce qu’il faut entendre par « égalité des chances ». En effet, que recouvre cette notion ? Poser cette question, c’est d’une certaine manière reconnaître que le plan de Bongo nous laisse perplexes et dubitatifs ; tant cette notion est compliquée à définir. Selon le sociologue français François DUBET, l’expression « égalité des chances » en elle-même est un contresens. Qui parle de chance, suppose un système aléatoire, comme l’est la vie, de type loterie où il n’y a pas d’égalité dans les résultats. On peut donner pour exemple le principe aléatoire de la naissance. Faut-il alors, par exemple, que l’on dépossède ceux nés riches pour les mettre à égalité avec ceux nés pauvres ? Ou encore donner des privilèges à ceux handicapés par rapport à ceux qui sont en bonne santé pour compenser ? C’est dire qu’il faut manipuler ce concept avec prudence au risque de baigner dans l’utopie. Compte tenu des différences innées entre individus et aussi celles liées à la naissance, l’égalité des chances doit être plutôt comprise comme l’équité. Autrement dit, ceux qui sont au même niveau de talent et de capacité et qui ont le même désir de les utiliser devraient avoir les mêmes perspectives de succès. Si les individus ne sont pas plus favorisés ou défavorisés les uns par rapport aux autres, alors seul rentre en compte l'effort individuel dans la distinction entre les individus. En conséquence, rétablir l’égalité des chances devient rétablir l’équité dans la société. Ce qui implique qu’il faudrait s’attaquer uniquement aux inégalités injustes, c’est-à-dire celles créées artificiellement par un système rentier et clientéliste, et non pas aux inégalités justes résultant du différentiel de talent, de travail et de compétence entre les individus.
Cinq axes
Cette acception est-elle celle retenue par Bongo ? On constate qu’il articule son plan autour de cinq axes : l’éducation et la formation, l’emploi, l’accès aux soins de santé de qualité, l’égalité des chances pour les femmes et la lutte contre les privilèges indus. Pourtant, passé au crible, ce plan semble glisser vers l’égalité des conditions, l’égalité des résultats quelles que soient les actions individuelles et les mérites de chacun. En effet, c’est un pas que n’hésite pas à faire le chef de l’État gabonais quand il avalise l’idée que son programme offrira les mêmes chances d’épanouissement à tous les jeunes gabonais sans exception. Comment par exemple obtenir l’égalité d’accès aux logements quand on sait que l’accès à un logement adapté aux besoins de chacun suppose d’en assumer le coût ? La vacuité de son projet amène à douter de sa sincérité et à n’y voir qu’un coup de communication à la veille des échéances électorales pour couper la route à l’opposition. Et deux autres raisons confortent cette idée. Premièrement, on n’aperçoit aucune feuille de route ou de mode opératoire pour atteindre l’objectif fixé. En guise de marche à suivre, le président affirmera laconiquement: « Je demande à mon gouvernement d’exécuter les politiques nécessaires pour atteindre les objectifs que nous fixerons dès aujourd’hui ». Deuxièmement, il affirme connaître parfaitement le fonctionnement actuel du système auteur de ces inégalités, mais paradoxalement, rien n’est fait pour remettre celui-ci en cause. Mais comment espérer que Bongo parvienne à l’égalité des chances alors qu’il a consolidé et entretenu un système rentier et clientéliste qui se situe à l’opposé de cet objectif ? Et l’affaire des biens mal acquis qui révèle l’accaparement des richesses nationales par une seule famille et son clan de courtisans est un exemple patent. Il ressort alors que ce plan sera une coquille vide tant que le système producteur d'inégalités est maintenu. On ne peut se vouloir progressiste et maintenir certaines pratiques. C’est sans doute pourquoi il faut épouser la logique de ses adversaires politiques qui affirment qu’il faut d’abord changer le fonctionnement de l’État et de l’administration avant de parler d’égalité.
Égalité devant la loi
Tout bien considéré, s’il y a une égalité à faire respecter, c’est sûrement celle devant la loi. Un principe bien plus accessible ou saisissable que celui de l’égalité des chances et selon lequel tout individu doit être traité de la même manière par la loi. Lequel laissera évidemment jouer les règles du jeu économique. Pour le philosophe et économiste autrichien Friedrich Hayek l’égalité devant la loi doit primer et si pour d’autres raisons (égalité des résultats et des statuts sans égalité des efforts), l’idée en est étendue au-delà des services régaliens que doit fournir le gouvernement, cela devient un idéal totalement illusoire. Car forcer l'égalité de personnes par nature différentes conduirait inévitablement à une grande injustice. Quant au reste, il doit être régulé par le principe du mérite qui tend à hiérarchiser et à promouvoir les individus en fonction de leur mérite et non d’une origine sociale, de la richesse ou des relations individuelles. C’est ainsi que l’on passera de la notion d'égalité à celle de équité. Mais un tel idéal ne peut être atteint que dans une société où les institutions fonctionnent de manière démocratique. D’où la nécessité d’une refonte totale du mode de fonctionnement des institutions gabonaises. Faute de quoi nous devons reconnaître malheureusement que nous ne sommes en face de rien d’autre qu’une stratégie politique du président Ali Bongo qui témoigne d’une campagne électorale avant l’heure.