A Ouagadougou, les parkings sont pour la plupart gérés par des hommes. Mais quelques femmes, pour des raisons diverses, essaient tant bien que mal de se faire une place dans cet univers quasi masculin, au mépris des préjugés. Une ronde dans la capitale a permis de rencontrer quelques-unes d’entre elles. Elles se sont librement exprimées sur le choix du métier et les perspectives qu’elles en attendent.
Mercredi 17 juillet 2013. Il est 11h 51 devant le Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) du quartier Pissy à Ouagadougou. En dépit de la régularité des pluies en ce mois, la chaleur demeure encore forte. A l’entrée gauche du CMA, quatre dames s’activent, qui à ranger des motos dans le parking, qui à en faire sortir d’autres pour leurs propriétaires, sous le regard bienveillant d’une autre femme qui se charge de leur remettre des tickets d’identification des engins et de récupérer l’argent. Après que nous lui avons expliqué l’objet de la visite, elle dévoile un large sourire, interrompt son exercice et se prête volontiers à l’entretien. Elle s’appelle Madeleine Nikèma/Guigma. Elle a 41 ans, est mariée et mère de cinq enfants. Elle est la gérante principale du parking. C’est une histoire, vieille d’un quart de siècle, qui la lie à ce métier. En effet, c’est à 16 ans que Madeleine Nikièma a fait ses premiers pas dans l’univers de cette activité. «J’ai commencé à exercer dans le parking quand j’avais 16 ans à Rood-woko, le grand marché de Ouagadougou. Je faisais ce travail sous la responsabilité d’un homme qui a su m’insuffler sa passion pour son métier. En 1993, après mon mariage, j’avais toujours la volonté de poursuivre ce travail. L’ouverture du CMA donnant l’occasion au larron, j’ai adressé une demande aux responsables pour ouvrir un parking à l’entrée. La réponse a été favorable et depuis 1998, je suis ici», précise-t-elle dans un français impeccable. Cela fait 15 ans qu’elle fait partie de l’environnement du CMA. Chaque jour de 7h à 14h, Mme Nikièma officie dans son parking avec l’aide de six employés. «J’ai engagé quatre filles et deux garçons pour m’épauler. Les filles et moi travaillons de 7h à 14h et les garçons prennent la relève de 14h à 22h30», déclare-t-elle. Pour elle, cette répartition leur permet de vaquer à d’autres occupations comme les tâches du ménage. A la question de savoir pourquoi elle a choisi ce métier, sa réponse est sans équivoque et sans détours : «J’aime simplement ce métier. Il n’y rien de tel que d’exercer une activité pour laquelle on a une passion. L’habitude et l’amour m’ont guidée dans mon choix. Et je m’y épanouis pleinement». Quant aux difficultés inhérentes à son activité, Mme Nikièma semble les minimiser : «Je ne suis pas confrontée qu’à deux grands problèmes. Il arrive quelquefois que des rétroviseurs ou des capots de motos se brisent, mais je les arrange. La plus grande difficulté à laquelle j’ai eu à faire face, c’est lorsqu’un individu malintentionné a sorti son vélo du parking et est revenu le réclamer. Mais il a été pris dans son propre piège. Actuellement également, on a du mal à faire accepter les 100 francs pour le prix de parking». Évoquant l’exiguïté de son espace, elle envisage de couvrir le caniveau qui longe l’entrée du parking pour y remédier. En attendant un avis favorable de la mairie auprès de laquelle elle a introduit une demande pour la couverture du caniveau, elle espère. Ses employées interrogées avouent travailler dans une bonne ambiance avec leur patronne. «On ne se plaint pas, elle s’occupe bien de nous et nous considère comme ses propres sœurs. Elle nous sensibilise chaque jour au respect du client», laisse entendre Mme Bintou Nikièma, l’air serein.
Dans le même quartier de Pissy, nous rendons visite à une autre gérante de parking qui exerce devant une agence bancaire de la place. Âgée de 23 ans, elle est dans le métier depuis quatre ans. Elle se nomme Mariam Ouédraogo. «J’ai été engagée dans ce métier par mon beau-frère qui est responsable de parkings. Depuis quatre ans, je peux dire sans hésiter que je suis fière de ce travail. Il me permet d’être relativement autonome et utile à ma famille», confie-t-elle avec une pointe d’émotion dans la voix. Mlle Ouédraogo partage son temps entre le parking et les cours du soir. «Je commence tous les jours ouvrables de 7h20 à 17h30. Je suis également les cours du soir. Cette année, j’ai passé le BEPC mais, malheureusement, ça n’a pas marché. Mais je ne compte pas m’y arrêter». En quatre années d’expérience, elle se rappelle un seul mauvais souvenir. Le jour où elle a échangé deux motos de la même marque. «J’ai eu des sueurs froides ce jour-là, mais tout est rentré facilement dans l’ordre grâce à la compréhension des propriétaires des engins», s’exclame Mariam Ouédraogo.
Le lendemain jeudi 18 juillet 2013, dans la fraîcheur d’une pluie matinale, nous nous présentons devant le Conseil Supérieur de la Communication (CSC). A cet endroit, la gérance du parking est assurée par un homme et une dame. Face à sa réticence pour satisfaire à notre demande d’entretien, nous lui demandons si elle sait ce que représente la journée du 18 juillet. Devant son ignorance, nous lui expliquons qu’en ce jour anniversaire de Nelson Mandela, chaque citoyen de la planète doit consacrer une partie de son temps à une «bonne action». Et sa «bonne action» serait d’accepter notre requête. Séduite par l’astuce, elle se livre finalement, le visage illuminé par un sourire qui dissimule mal son appréhension. Elle s’appelle Wend-kouni Simporé. Elle a 32 ans, mariée et mère de quatre enfants. A l’instar de Mme Nikièma, elle éprouve un sentiment de fierté à gérer un parking : «J’ai choisi ce métier parce que je voulais simplement le faire. Pour moi, il n’y a pas d’activités réservées aux hommes. J’aime ce métier et je suis fière de l’exercer». Et son temps, elle sait le ménager pour s’occuper de sa famille. «Mon travail me permet de me consacrer à ma famille. Très tôt le matin, je fais le petit déjeuner pour mes enfants et le repas de la journée avant de sortir. Le soir quand je rentre, j’exécute les autres tâches ménagères», soutient Mme Simporé. Comme «bonne action» de notre part, elle a exigé qu’en retour, nous lui rapportions une de ses photos.
Félicitations et encouragements
En ce qui concerne le regard de la société sur des femmes qui exercent un métier qui est souvent l’apanage des hommes, c’est une unanimité qui se dégage dans les réponses de nos interlocutrices. «En toute franchise, depuis que je suis ici, je n’ai encore vu quelqu’un jeter un regard dépréciatif sur mon travail. Les gens me félicitent, ils m’encouragent à donner le meilleur de moi-même et à y persévérer. Mes proches me soutiennent beaucoup», appuie Mme Nikièma. Du côté de Mme Simporé, c’est le même son de cloche qui est entendu avec quelques nuances. Elle déclare être galvanisée par les mots d’encouragements qu’on lui adresse et fait fi des considérations étriquées de certaines personnes. «Du jugement des gens, je dirai qu’il y en a deux sortes. Il y a ceux qui m’encouragent à aller de l’avant et à prendre mon métier avec tout le sérieux qu’il mérite. Et il y a ceux qui me disent clairement que ce n’est pas un métier de femme. Ils vont jusqu’à dire que je ferais mieux de chercher à faire autre chose. Mais je leur réponds qu’il n’est pas écrit quelque part que ce métier est uniquement l’apanage des hommes». Quant à Mlle Mariam Ouédraogo, elle ajoute que le jugement des gens l’aide à avoir foi en ce qu’elle fait. Bon nombre de gens m’encouragent sincèrement et cela me donne la force d’aller de l’avant. D’autres me taquinent en disant que ce n’est pas un métier de femme et que ma place est à la maison. Mais je n’y prête pas attention, je vois plutôt le bon côté des choses. A mon avis, la femme peut se faire une place dans n’importe quel métier à condition d’y mettre du sien».
Des recettes et des perspectives
Les recettes du parking sont tributaires de l’affluence des clients. Mlle Ouédraogo, qui officie devant l’agence bancaire, avoue faire de bonnes affaires les fins de mois : «Il y a une grande affluence les fins de mois en ce sens que les gens viennent chercher leur salaire. Mais les jours ordinaires sont quelquefois difficiles. Je pense que dans chaque secteur d’activité, cette réalité se vérifie également. On essaie de faire avec». Chez Mme Simporé au CSC, le parking est avant tout à la disposition des agents du service. En plus de cela, elle fait des recettes avec les visiteurs. Ce que j’obtiens comme rémunération est peu satisfaisant. Je demande à mon patron d’augmenter un peu mon salaire», explique-t-elle. C’est en termes de chiffres journaliers que Mme Nikèma appréhende ses recettes : «Par jour, je gagne entre 10.000 et 12.OOO FCFA. Comme mes employés sont témoins de ce que nous encaissons, ils me comprennent. Il y en a d’autres que je rémunère à 1.250 FCFA par jour et d’autres qui perçoivent 37.500 FCFA par mois».
Même si nos interlocutrices ont un profond attachement pour leur métier, elles entendent tout de même entreprendre d’autres activités génératrices de revenus conséquents. C’est le cas de Mme Madeleine Nikièma qui dit avoir acquis un terrain à la périphérie de la ville pour y initier l’élevage des poules pondeuses. A l’avenir, Mme Wend-kouni Simporé envisage d’ouvrir une boutique de vente de pièces détachées d’engins à deux roues. Quant à Mlle Ouédraogo, elle vient en aide à sa famille grâce à ce métier : «Les revenus de ce métier m’aident beaucoup. Je me suis inscrite en cours du soir, je parviens à assurer la scolarité de ma petite sœur. J’ai pu aussi faire l’acquisition d’une moto. J’ai d’autres projets que je mûris en secret».
Métier d’hommes ou pas, Mme Nikièma et ses consœurs font fi du qu’en dira-t-on pour garantir leur dignité d’êtres humains. A travers le témoignage de ces braves dames qui tentent au quotidien d’imprimer un itinéraire à leurs vies respectives, c’est la preuve qu’ «il n’y a pas de sot métier». A travers la passion qu’elles ont pour ce métier, elles invitent également à méditer sur ce propos de Jean de la Fontaine : «Ne forçons point le talent, nous ne ferions rien avec grâce».