Le combat pour l’accès à l’eau potable est l’un des grands défis de l’Afrique à l’orée du XXIe siècle. Continent aux ressources hydrauliques hors du commun, l’Afrique peine à avoir l’eau potable en quantité suffisante pour la consommation et les besoins divers de ses populations. Pourtant, de grands projets existent et ont besoin d’être mis en chantier afin de créer à travers le continent un vaste réseau de transports fluviaux et internationaux.
Le réseau fluvial international permettra de doter l’Afrique d’un moyen sûr et efficace pour lutter contre les fléaux qui ont pour noms pénurie d’eau potable, problème de navigabilité sur les fleuves, problèmes de transport des marchandises par voie maritime. Projet d’envergure continental, le réseau de transports fluviaux et internationaux a plusieurs dimensions à son arc. Partis du constat de l’échec des nombreuses politiques de développement lancées sur le continent depuis les années 1970, les chercheurs africains ont voulu inventer des plans et des stratégies de développement. Le constat de l’échec des politiques des ajustements structurels sur le continent a montré les limites des politiques de développement préconisées par les institutions financières internationales. Tous ceux qui se sont penchés sur le développement de l’Afrique ont reconnu sans peine le potentiel immense de ce continent. Mais malheureusement, depuis l’indépendance, faute de capitaux à investir, ces projets n’ont jamais été réalisés. Pire, depuis les années 70, la politique des institutions financières internationales consiste à s’opposer précisément au type de grands projets qui sont nécessaires pour développer les nations africaines et élever le niveau de vie de leurs populations. La perspective d’une croissance industrielle, d’une agriculture florissante et d’une énergie abondante a cédé la place à la notion de «développement durable», qui se traduit concrètement par l’arriération et la misère. Mais dès lors que le système financier mondial est entré dans une phase de désintégration irréversible et que l’orientation de ces 30 dernières années commence à être remise en cause, la revendication du développement agro-industriel va s’affirmer de plus en plus. Nombre des vieux projets ferroviaires seront remis sur la table dans le cadre du «pont terrestre eurasiatique». L’objectif est de mettre en place deux corridors de transports est-ouest et nord-sud, le premier traversant le Sahel de Dakar à Djibouti, le second le long de la vallée du Nil et traversant les Grands Lacs, d’Alexandrie à Cape Town en Afrique du Sud.
Faire face à une tragique réalité menaçante dans le Sahel
Le bénéfice tiré par le pont terrestre eurasiatique est énorme. Il permettra de faire face aux changements climatiques et à une tragique réalité menaçante dans le Sahel. Dans les 15 dernières années, la zone des pays du Sahel a assisté, impuissante, à un processus progressif de désertification provoqué par le caractère imprévisible du climat, qui a rompu un équilibre écologique séculaire représenté par de faibles et précaires ressources naturelles, par une agriculture essentiellement de subsistance et par le nomadisme pastoral. La fragilité de l’écosystème n’a pas résisté à une succession d’années de sécheresse extraordinaire et sa récupération apparaît aujourd’hui très problématique. Sur le milliard d’hectares environ qui - selon les relevés des Nations unies - dans tout le continent africain (soit environ 34% de sa superficie totale), présente des risques de désertification, près de 400 millions d’hectares sont distribués le long d’une bande continue de 6000 km, comprise entre le 10e et le 20 e parallèle Nord, qui s’étend des côtes de l’océan Atlantique à celles de la mer Rouge. Ces 400 millions d’hectares, où se profile une immense catastrophe écologique qui représente un défi aux capacités technologiques de notre époque, constituent les pays du Sahel. Les chiffres de cette tragédie sont désormais connus : des dizaines de millions de personnes ayant un revenu annuel pro-capita inférieur à 200 dollars, des centaines de milliers de têtes de bétail mortes de soif ou de faim et quelques milliards de dollars dépensés dans des opérations de sauvetage aussi généreuses que complexes, des millions d’êtres humains qui risquent, chaque année, d’être exterminés par la faim. Une des régions les plus préoccupantes du sous-développement mondial, où les perspectives sont peut-être les plus sombres de tout le continent africain, requiert des interventions courageuses, d’une dimension et d’une ampleur égales au drame que vit cette région déshéritée de la planète, et ce à cause des rigueurs climatiques et des faibles résultats obtenus jusqu’à présent par les aides, cependant importantes, accordées par les pays industrialisés. Les puits pastoraux, les périmètres irrigués, les infrastructures de stockage des aliments stratégiques, les programmes de reboisement, les projets agro-industriels... ces mesures sont toutes suggérées par une tragique réalité qui ne peut que susciter des interventions immédiates, à effet et impact rapides sur le contexte local et en mesure, d’une certaine manière, d’exorciser le scénario de faim et de désolation que réprouve la conscience civile internationale. Ces projets «ponctuels» ont un rôle précis et une valeur politique et sociale évidente, dans la mesure où ils peuvent - à travers des effets localisés et à court ou très court terme - impliquer les populations rurales locales en amplifiant ainsi l’effet des aides et en limitant, ne serait-ce qu’en partie, la dramatique dégradation sociale que connaît le Sahel. La question ‘que faire ?’ s’est posée avec acuité aux chercheurs et aux ingénieurs de l’eau. L’idée du projet Transaqua a alors germé.
Transférer 100 milliards de m³ d’eau
L’idée de base du Projet Transaqua est de «transférer» environ 100 milliards de mètres cubes d’eau douce par an de la «cuvette» du fleuve Zaïre vers la zone sahélienne du Tchad et du Niger. Cette idée repose sur la réalité géographique de l’Afrique centrale qui voit dans la ligne de partage des eaux Zaïre-Tchad une barrière naturelle partageant deux énormes bassins hydrographiques : l’un au Nord, où la sécheresse fait des victimes par manque de ressources en eau et l’autre au Sud, où les précipitations sont tellement abondantes qu’elles créent des environnements extraordinairement riches qui présentent souvent, du fait de l’envahissement des forêts, des problèmes contraires en ce qui concerne le développement rationnel d’activités agricoles modernes. Soustraire 100 milliards de mètres cubes d’eau par an - qui pourraient changer la face du désert à quelques centaines de kilomètres plus au Nord - au fleuve Zaïre, le principal fleuve africain et le second de la planète après l’Amazonie pour ce qui est du bassin hydrographique, dont le volume d’eau est estimé, à son embouchure, à environ 1900 milliards de mètres cubes qui transitent chaque année pour se jeter dans l’Océan Atlantique, en «appauvrirait» le débit d’à peine 5%.
Cette «modeste» soustraction d’eau représenterait un débit continu d’environ 3200 mètres cubes par seconde, soit presque le double du débit du Nil au sud d’Assouan. Le bassin du plus grand fleuve africain se présente sous la forme d’un vaste amphithéâtre naturel qui est constitué par une partie centrale - située à moins de 500 m d’altitude par rapport au niveau de la mer - correspondant au cours principal du fleuve et de ses principaux affluents, et par une zone de haut-plateau (d’une altitude de 600 à 1000 m environ) qui entoure la «cuvette» à proprement parler, au Sud, à l’Est et au Nord, presque comme une couronne semi-circulaire. En ce qui concerne la faisabilité technique de l’idée du projet, on envisage la réalisation d’un important canal navigable qui, en parcourant à l’altitude voulue, la couronne Est et Nord du bassin hydrographique du fleuve Zaïre, pourrait intercepter les eaux des extrémités nord-orientales de la «cuvette» pour atteindre, après un parcours d’environ 2400 km en territoire centrafricain, la ligne de partage des eaux Zaïre-Tchad, avant de déverser tout le flux hydrique à la tête du bassin du fleuve Chari, qui est tributaire du lac Tchad. En territoire tchadien, les eaux, qui utiliseraient probablement en partie le lit même du Chari, pourraient être acheminées vers les zones du Tchad et du Niger en voie de désertification, au Nord du lac Tchad. On peut estimer que, dans ces régions sahéliennes, le développement d’une agriculture irriguée de type intensif et semi-intensif pourrait intéresser un territoire de 5 à 7 millions d’hectares (songeons au fait que 40 millions d’Égyptiens vivent sur une zone irriguée de 2,8 millions d’hectares, même si ceux-ci sont très intensément cultivés).
Le secteur du bassin hydrographique de la «cuvette» du Zaïre, intercepté par environ 2400 km de canal artificiel, serait situé à une latitude d’environ 2° Sud et 8° Nord, alors que les eaux recueillies par celui-ci pourraient être utilisées en pleine zone sahélienne, entre le 12e et le 16e degré de latitude Nord, selon les spécialistes de l’eau. Dans sa «chute» vers le Tchad, ce volume de 100 milliards de m³ d’eau par an pourra, avec plusieurs centrales hydroélectriques, produire une énergie estimée à environ 30-35 milliards de kilowatts, soit environ 70% de la production hydroélectrique de l’Italie, soit encore près de 15% de toute sa production en énergie (hydrique, thermique et nucléaire). Une telle quantité d’énergie pourrait modifier radicalement l’aspect des établissements ruraux actuels et stimuler un véritable développement agricole, aussi bien dans la zone prévue, au Nord du lac Tchad, que dans les nouvelles zones de développement, le long du canal navigable, avec deux lignes électriques à haute tension : une d’environ 1300 km de long, qui distribuerait l’énergie vers le Tchad, et l’autre d’environ 2400 km, qui distribuerait de l’énergie électrique le long du canal navigable. Vaste projet que la Transaqua qui permettra d’étendre l’Afrique et d’en faire un continent intégré. En effet, ce projet intègre le vaste réseau des transports internationaux africains.
Rendre le continent accessible
L’idée d’un «transfert hydrique» comme fin en soi, même s’il s’agit d’un volume d’eau supérieur à celui du Nil, bien que suggestive dans le contexte désolé de la sécheresse qui sévit au Sahel, serait encore partielle et déficitaire si elle ne se situait pas dans un plus vaste contexte, qui est celui du réseau des transports internationaux africains : la transafricaine Lagos-Mombasa, dont le projet est en cours, devrait relier, avec un parcours de plus de 6000 km, l’océan Indien à l’océan Atlantique et la transsaharienne Lagos-Alger, pratiquement déjà utilisable, qui représentera, une fois terminée, une liaison rapide entre le golfe de Guinée et la Méditerranée. C’est donc aussi et surtout dans ce contexte des grandes voies de communication internationales que le projet Transaqua doit être considéré : une grande «autoroute» fluviale qui relie les marchés de très grandes «enclaves» de l’Afrique Centrale telles que le Rwanda, le Burundi, la région du Kivu et toute la partie Nord-Est du Zaïre et de la République centrafricaine, avec les centres de consommation d’autres pays de l’Afrique centrale (Nigéria, Niger, Tchad, Cameroun, Kenya et Ouganda) et avec les deux ports océaniques de Lagos et de Mombasa pour les courants commerciaux intercontinentaux. Cette intégration des transports internationaux pourrait être réalisée en correspondance avec le croisement entre le canal et la transafricaine Lagos-Mombasa prévue. Mieux, à cet endroit pourrait être envisagée la réalisation d’un port containers fluvial avec création d’une «zone franche» industrielle. La réalisation d’un centre fluvial-routier de triage de marchandises de ce type à la hauteur, ou à proximité, du passage du canal navigable, de la ligne de partage des eaux Zaïre-Tchad, bénéficierait sans aucun doute d’une énorme quantité d’énergie hydroélectrique productible sur place avec la construction d’une centrale hydroélectrique en tête du bassin du Chari ; celle-ci serait d’ailleurs la première, par ordre topographique, d’une série de centrales envisageables pratiquement jusqu’aux portes de N’Djamena. On pourrait ainsi réaliser en Afrique centrale un port franc à fonctions polyvalentes qui, outre le triage des marchandises en containers, pourrait s’acquitter de l’importante tâche économico-commerciale de transformation - à travers une série d’industries agro-alimentaires, textiles et du bois - de produits agricoles africains provenant de zones de récent développement qui, justement en fonction de la nouvelle voie de communication fluviale et de la future artère routière Lagos-Mombasa, pourraient être disponibles pour des activités agricoles productives.
En particulier, le moyen de transport fluvial économique que représenteraient les 2400 km de canal en territoire zaïrois et centrafricain, constituerait une infrastructure de commercialisation des produits agricoles qui, équipée d’une série de «quais» fluviaux, stimulerait le développement agricole de nombreuses vallées fluviales situées en amont de la voie d’eau et tout au long de son parcours. A long terme, de nombreuses zones du Sahel pourraient être approvisionnées, non seulement en eau et en énergie électrique, mais aussi en céréales, viande, lait, etc., produits en territoire africain, plutôt que de continuer à dépendre des importations coûteuses et précaires d’autres continents.
Réaliser un rêve postcolonial
Le Projet Transaqua, vu sous le seul profil du transfert de ressources hydriques vers les zones semi-désertiques limitrophes du Tchad et du Niger, fait prévoir la création d’une série de zones irriguées sur un territoire d’environ 50 à 70 000 km² (soit environ la superficie du Sud de l’Italie) au cœur du dit «Sahel traditionnel» constitué par huit pays (Cap Vert, Gambie, Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad). Le Projet Transaqua a pour objectif, du point de vue hydrique et énergétique, d’apporter une solution définitive et durable, bien qu’à long terme, aux problèmes de la faim sur 50% du territoire sahélien ; en effet, les deux pays directement bénéficiaires représentent approximativement la moitié de la superficie totale du Sahel et abritent environ 30% de sa population. Considéré dans le contexte des 10 pays de l’Afrique centrale plus ou moins directement intéressés par le réseau de transports fluviaux et terrestres internationaux prévus (Niger, Nigéria, Tchad, Centrafrique, Cameroun, Zaïre, Rwanda, Burundi, Ouganda et Kenya, soit environ 1/4 de tout le continent africain), le Projet Transaqua représente sans aucun doute un élément décidément propulseur pour le réel démarrage - en une seule génération peut-être - du rêve postcolonial africain d’une intégration économique et productive internationale du continent. Or, c’est là une condition sine qua non pour parvenir à une véritable autonomie économique et à l’indépendance politique.
Le rêve de Cheikh Anta Diop pour le développement de l’Afrique
Il faut d’abord, ce qui est essentiel à la réussite de toute initiative, sortir du système d’ajustements structurels du Fonds monétaire international qui détruit la santé, l’éducation, la fonction publique et les infrastructures.
On doit lui substituer la promotion de grands projets infrastructurels. Trois projets-phares sont :
- la création de chemins de fer et de transports à grande vitesse en général, intérieur-intérieur et côte-côte. Il s’agit de sortir du modèle intérieur-côte, organisé le plus souvent pour le pillage des matières premières, et de réunifier les marchés entre les zones intérieures ainsi désenclavées pour la consommation locale ;
- la remise en eau du lac Tchad, «pompe à développement» de l’Afrique centrale. Il a perdu depuis 50 ans plus de 80 % de sa surface, et depuis 500 ans 95 %. Cette remise en eau permettrait, d’une part, d’arrêter l’extension du désert, en organisant à terme un changement climatique, d’autre part, de lancer l’exploitation des terres très riches que ses limons ont créées, à condition de donner aux agriculteurs les moyens de les exploiter sans les épuiser ;
- le développement de la région de la mer Rouge et du Nil, en Égypte et au Soudan, une région qui dispose de vastes ressources et d’un grand potentiel. Pour ces grands projets, des financements internationaux avec des crédits à long terme (20 à 50 ans) et faible taux d’intérêt doivent être prévus, l’idée étant, comme pour le plan Marshall, que le développement engendré par les projets «paie» les crédits (système de «paiements différés»).
Dans le cadre de projets locaux et régionaux, qui n’ont de sens que tractés par les grands projets, le microcrédit devrait être organisé par les États en faveur des plus défavorisés pour court-circuiter les usuriers. L’idée ici est de mettre au travail le plus vite possible, en organisant des passerelles vers les emplois qualifiés au fur et à mesure du développement. Avec une priorité donnée aux enjeux majeurs : eau, école, environnement, santé, en mobilisant en particulier les femmes qui sont au cœur de ces sujets. La consommation intérieure serait ainsi stimulée et pourrait être échangée en recourant aux transports intérieur-intérieur.
Les armées africaines ne doivent plus être des armées de répression ou de maintien d’un ordre politique injuste, mais être impliquées, sur la base de «corps de génie» que nous devons aider à mieux organiser, dans la construction de voies ferrées, ponts, ports, routes, etc.
Nous devons aider l’Afrique à produire des médicaments génériques bon marché, en passant par-dessus les réticences de nos laboratoires pharmaceutiques, pour traiter le sida et toutes les maladies tropicales. Nous devons aussi soutenir la proposition du président sénégalais Abdoulaye Wade en faveur d’une assurance mondiale contre les épidémies internationalement transmises.
La dette des pays appauvris par la politique internationale relayée par des gouvernements corrompus doit être annulée en faveur de leurs peuples.
Un véritable commerce équitable doit être établi, se substituant au libre-échange destructeur. Nous devons, en accord avec les gouvernements et les producteurs africains, ouvrir nos frontières aux produits des agriculteurs et des pêcheurs africains qu’aujourd’hui ils ne peuvent plus exporter.
Ainsi, les conditions seront créées pour que la vie et la dignité des jeunes Africains soient enfin respectées, sans navires et avions de l’Union européenne les empêchant de quitter les côtes d’Afrique, sans risque de mourir par noyade ou sur les barbelés de Ceuta et de Melilla, sans aboutir à des camps de travail européens comme on en a trouvé dans les Pouilles ou dans des logements misérables où eux-mêmes et leurs enfants sont contaminés par le saturnisme.