«Le Royaume du Maroc est aujourd’hui le second investisseur en Afrique»
Le Maroc se positionne petit à petit comme un modèle de réussite économique en Afrique. Samir Addahre, l’Ambassadeur du Maroc en Belgique et au Grand Duché de Luxembourg en est conscient. A 47 ans, marié et père de 2 enfants, ce diplomate chevronné n’a pas sa langue dans la poche lorsqu’il s’agit de parler économie, politique et diplomatie. Entretien.
Le Nouvel Afrique (LNA) : Excellence M. l’Ambassadeur, dites- nous brièvement ce qu’a été votre parcours.
Samir Addahre (S.A) : Après avoir obtenu un Baccalauréat en Sciences Économiques à Bordeaux, j’ai été admis à l’Ecole Nationale d’Administration, option diplomatique, avant d’obtenir un DES à l’Université de Montpellier. J’ai intégré le Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération en 1989, en tant que Secrétaire des Affaires Étrangères. Entre 1990 et 1996, j’ai exercé la fonction de Premier Secrétaire à l’Ambassade du Maroc à Bruxelles, chargé des relations économiques Maroc-CEE.
De 1996 à 2003, j’ai été nommé d’abord Conseiller Technique au Cabinet du Ministre des Affaires Étrangères, puis Chargé d’Études au même Cabinet. En 2003, j’ai été nommé Consul Général du Royaume du Maroc à Bordeaux, jusqu’en 2008, année où Sa Majesté le Roi Mohammed VI m’avait nommé Ambassadeur à Bruxelles.
J’ai 47 ans, je suis marié et père de 2 enfants.
LNA : Quelle est la politique économique du Maroc sur le plan international ?
S.A : Dès son indépendance, le Maroc a fait un choix singulier et clair, celui du libéralisme et de l’économie de marché, et ce contrairement à l’essentiel des pays de la région à l’époque. L’initiative privée a toujours été encouragée dans tous les domaines et, grâce à ses multiples atouts, à ses femmes et à ses hommes, le Maroc, qui ne possède pas de ressources pétrolières ni gazières, a pu réaliser des avancées importantes dans le processus de développement et de modernisation de son économie.
Le Maroc est fier aujourd’hui de sa position sur l’échiquier international, il réussit, malgré la crise économique mondiale, à attirer des investisseurs de diverses régions du monde. Les opportunités économiques au Maroc font de lui un partenaire solide, que ce soit vis-à-vis de l’Union européenne ou d’un certain nombre de pays avec lesquels des accords de libre-échange sont opérationnels, l’Union européenne bien sûr, mais également les États-Unis d’Amérique, la Turquie, plusieurs pays arabes et bientôt le Canada, le Mexique et le Mercosur. L’Afrique ne fait pas exception, puisque le Maroc est lié par des accords de partenariat et de coopération pluridimensionnels avec la plupart des pays africains.
LNA : Quelle est la politique de développement initiée par le Maroc pour accélérer sa croissance ?
S.A : La stratégie du Maroc est avant tout axée sur des politiques économiques sages et clairvoyantes, des fondamentaux macro-économiques stables, une croissance économique régulière bon an mal an. En outre, nous avons franchi un pas ces douze dernières années grâce à la vision et l’ambition portée par Sa Majesté le Roi qui s’est déclinée à travers tout d’abord un diagnostic sans concessions sur les réalités du pays sur les plans politique, économique, social et en termes de développement humain, pour ensuite mettre en oeuvre des stratégies sectorielles sur les 20 prochaines années qui permettront au Maroc de combler ses déficits sociaux, restructurer son économie et la moderniser, afin de lui permettre de poursuivre son émergence économique, qu’il est en passe de réussir malgré les difficultés économiques internationales.
Au niveau économique, les secteurs dits traditionnels (agriculture, pêche, tourisme, textiles, phosphates…) sont en pleine restructuration. Mais d’autres secteurs à forte valeur ajoutée où le Maroc présente des avantages concurrentiels ont été ciblés come porteurs de croissance économique pour les années à venir. Il s’agit de ce que l’on appelle aujourd’hui les «nouveaux métiers mondiaux du Maroc». Il s’agit de l’industrie automobile, l’aéronautique, l’offshoring, l’électronique, les plates-formes logistiques, les énergies renouvelables, les textiles et cuir, ainsi que l’agro-industrie.
LNA : En matière d’énergies renouvelables, le Maroc a construit un parc éolien qui semble être le plus grand d’Afrique. Quels sont les objectifs visés par la construction de ce parc éolien ?
S.A : Le choix de recourir aux énergies renouvelables est un choix stratégique. Le Maroc fait partie des rares pays à associer développement et environnement. En oeuvrant à la réduction de sa dépendance énergétique, le Maroc a choisi de développer des énergies propres. La position géographique du Maroc, qui possède plus de 3500 km de façade maritime, et la diversité de ses reliefs font que le vent souffle en permanence et que le soleil brille une grande partie de l’année, donc autant de potentiels naturels sur lesquels nous avons décidé judicieusement de capitaliser. Ce sont les raisons pour lesquelles, comme vous l’avez souligné, le Maroc a mis en place son Projet Marocain Intégré d’Énergies solaire et éolienne, qui devrait porter la production d’énergies propres à 2000 MW à l’horizon 2020.
LNA : Quelle est la politique générale du Maroc en matière d’énergies renouvelables ?
S.A : Comme je l’ai mentionné, le Maroc accorde une priorité au développement des énergies renouvelables et au développement durable en général. Il a mis en oeuvre le Projet Marocain de l'Énergie Solaire, qui vise la production, à l’horizon 2020, de 2000 MW, sur 5 sites répartis sur tout le territoire national. Cette production couvrira à cette échéance près de 42% des besoins du Maroc en électricité et nous permettra même à terme d’en exporter vers les pays voisins comme l’Espagne. Pour atteindre ces objectifs, le Maroc a créé une agence dédiée à la mise en oeuvre de cette stratégie : «MASEN» (Moroccan Agency for Solar Energy). Ce projet unique au monde a été lancé en 2010 par Sa majesté le Roi Mohammed VI. Le premier parc solaire à Ouarzazate sera opérationnel en 2015, avec une production annuelle de 500MW.
LNA : Depuis quelques temps, des voix s’élèvent contre votre pays pour lui reprocher d’être raciste. Que répondez-vous à ces allégations ?
S.A : La notion même de racisme ne fait partie ni de notre culture, ni de notre identité. Comment peut-on imaginer qu’un pays pluriel, profondément africain, amazigh, arabo-musulman, avec des affluents judaïques peut être raciste ? Ces différentes composantes de la culture et de l’identité marocaines font de lui, au contraire, l’un des pays les plus tolérants au monde, appelant tout le temps au dialogue des civilisations et à l’entente entre les peuples. Vis-à-vis des ressortissants d’origine subsaharienne, il n’y a aucun comportement raciste de la part des Marocains, bien au contraire, beaucoup sont aujourd’hui légalement résidents au Maroc, y travaillent, s’y sont très souvent mariés avec des Marocaines et leurs enfants sont aujourd’hui Marocains. Maintenant, il faut néanmoins avoir à l’esprit que le Maroc fait face à un flux migratoire de plus en plus important de jeunes subsahariens qui tentent de rejoindre la rive nord de la Méditerranée à la recherche légitime de meilleures conditions de vie. Le Maroc, dans ce contexte, ne peut malheureusement compter que sur ses modestes moyens pour faire face à cette problématique, face à une Europe qui se dresse comme une forteresse contre l’immigration, sans accorder à ses principaux partenaires, ainsi qu’aux pays émetteurs, les moyens de faire face à ce phénomène, y compris pour ce qui est des projets de co-développement afin de contribuer à créer les conditions économiques, sociales et de dignité permettant de fixer ces populations dans leur pays d’origine. La situation actuellement est extrêmement difficile, exacerbée par une crise économique et sociale sévère. Comme le disait si justement Michel Rocard, d’autant plus qu’il est connu pour être un homme de coeur «Le Maroc ne peut accueillir seul et sans moyens toute la misère du monde». Surtout que le Maroc, qui n’était qu’un pays de transit, est clairement devenu une terre d’accueil pour ces immigrés qui viennent légitimement rechercher des meilleures conditions de vie. Mais l’ampleur du phénomène, le contexte de crise internationale, doit interpeller les grandes puissances internationales afin qu’elles tiennent les engagements pris vis-à-vis de notre continent, mais qui n’ont jusqu’ici pas été suivis d’effets, sachant que le Royaume du Maroc est aujourd’hui le second investisseur en Afrique, juste après l’Afrique du Sud, sans parler des centaines de bourses accordées chaque année aux jeunes étudiants africains qui viennent poursuivre leurs études supérieures dans nos écoles et nos universités.
LNA : Combien d’étrangers vivent sur le territoire chérifien ?
S.A : Selon le dernier recensement de 2004, près de 52 000 étrangers seraient résidents de manière permanente, mais le dernier recensement date déjà d’il y a quelques années. Un nouveau recensement est en cours de préparation, et démontrera que ce nombre est très largement dépassé aujourd’hui. En plus de nos frères africains qui s’installent de plus en plus au Maroc, il faut relever la présence de plus en plus importante d’employés de sociétés étrangères installés au Maroc et du nombre croissant de retraités européens qui choisissent notre pays pour y couler une retraite paisible, tout en jouissant de sa proximité avec l’Europe.
LNA : Quelle est l’opinion du Maroc par rapport à la crise qui secoue le Mali et certains pays africains ?
S.A : Dès l’éclatement de la crise malienne, le Maroc a condamné le coup d’État et a exprimé son soutien à l’intégrité territoriale du Mali ainsi qu’aux différents efforts pour la résolution de cette crise. Toutefois, le Maroc s’oppose à toute forme d’intervention militaire au Mali. Il appelle et oeuvre en vue d’une solution politique à la crise malienne. En plus de l'aide humanitaire qu'il fournit au Mali, le Maroc a également soutenu dès le départ les efforts de la Communauté Économique des États De l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) visant à trouver une issue pacifique à la crise malienne, qui au-delà de son aspect politique, revêt une dimension sécuritaire d’une extrême sensibilité pour toute la région du Maghreb et du Sahel.
LNA : Que pense le Maroc de l’Union Africaine qui vient d’avoir une nouvelle présidente ?
S.A : Dès son accession à l’indépendance, le Maroc n’a épargné aucun effort pour soutenir les pays africains frères dans leur lutte pour la libération du colonialisme. Il a été en outre, comme vous le savez, membre fondateur de l’Organisation de l’Unité Africaine.
Cependant, lorsque l’OUA a admis en son sein, dans des conditions manoeuvrières orchestrées par la présidence de l’époque, une pseudo entité dénommée « rasd », et ce en violation flagrante de la légalité internationale et de la charte de l’organisation, le Maroc a décidé légitimement de se retirer de cette organisation en 1984, profondément blessé par cette injustice historique commise à son encontre. Il est inadmissible pour le Maroc de siéger au sein de cette organisation que nous respectons profondément aux côtés d’une entité fantoche, qui ne jouit d’aucun attribut ou d’élément constitutif d’un État tels que reconnus par le droit international, et de surcroît n’étant reconnue ni par l’ONU ni par aucune autre organisation internationale.
Plusieurs pays africains amis ont vivement exprimé, et en toutes occasions, leur volonté de voir le Maroc revenir au sein de l'Union Africaine, qu’il revienne dans son environnement naturel, retour justifié par la légitimité historique du Royaume dans la construction de l’unité africaine et au regard de son implication prépondérante en Afrique, dans les domaines politique, de maintien de la paix, économique, culturel, cultuel et humain. Toutefois, le Maroc exprime sa disposition à réintégrer cette institution une fois les conditions sont réunies. J’émets sincèrement et du fond du coeur que cette erreur, cette injustice flagrante puisse être réparée au plus vite afin que le Royaume du Maroc retrouve au plus vite sa place auprès de ses frères africains.
Cela étant dit, le fait que le Maroc soit absent de l’Union Africaine, a renforcé irrémédiablement, et encore plus que par le passé, sa volonté d’implication dans son continent à tous les niveaux Les faits, les actions, l’engagement profond du Royaume du Maroc aujourd’hui en Afrique, démontrent plus que n’importe quel discours la volonté farouche de mon pays de se tenir aux côtés de ses frères afin d’assurer progrès, prospérité, respect et démocratie à notre très cher continent qui regorge de ressources humaines compétentes et de potentialités naturelles exceptionnelles.