Depuis quelques années, la longueur des mandats présidentiels en France a été ramenée de 7 à 5 ans. Ce raccourcissement du terme électoral ne change pourtant pas l’esprit des institutions qui correspond à ce que le Général de Gaulle appelait pour son compte (l’ancien président français avait l’habitude de parler de lui à la troisième personne du singulier), une certaine idée de la France. Disons-le, la grandeur de la France tenait à l’empire français pour un tiers, un peu plus au rayonnement de sa culture.
Qu’à cela ne tienne, les Français constituent toujours en Europe un peuple particulier, une exception. C’est que ce peuple est le seul à avoir trucidé son roi et avoir gardé de l’Ancien Régime que ce dernier incarnait les traits essentiels, notamment la place centrale que le Président de la République occupe au sein du pouvoir, rejoignant par ailleurs l’ultra-centralisme de l’État français.
A ce jour, en dehors des monarchies européennes toutes, à quelques exceptions près, constitutionnelles, les républiques sont gouvernées par des majorités issues des rapports de force parlementaires. Les chefs d’État gardent une fonction d’apparat et parfois d’influence.
En France, c’est tout différent. Le Président est, dans l’armature étatique, celui qui décide de tout mais n’en répond pas toujours dans la mesure où, en temps normal, un premier ministre est prévu pour lui servir de fusible.
Il n’est donc pas étonnant, compte tenu de cet esprit français, que tous les cinq ans, les élections présidentielles focalisent l’intérêt de toute une nation qui attend comme d’autres, le couronnement d’un roi. Depuis le 6 mai, le nom du monarque républicain est connu. Il s’agit de Francçois Hollande qui est élu Président de la république avec 51,90% contre Nicolas Sarkozi 48,10%.
C’est une victoire certes courte et qui montre par d’autres côtés le respect de la démocratie par les Français, mais qui n’enlève rien à une tendance de fond qui fait de chaque élu à la présidence de la république une sorte de monarque.
Nous sommes en 1793. La convention nationale, assemblée qui gouverna la France de 1792 à 1795 et créa la première République, condamne à mort le Roi Louis XVI. Le monarque qui est rattrapé dans sa course éperdue vers la frontière extérieure du royaume est assis comme l’âne de Buridan entre deux chaises. Il est coincé entre deux exigences contradictoires – d’une part, le règne de son prédécesseur : Louis XV avait aggravé l’écart entre la Cour royale et le peuple, encore paysan à 80%, écart qui prenait déjà sous le Roi-Soleil (Louis XIV) une tournure dangereuse (les jacqueries ou révoltes paysannes contre les impôts exorbitants récoltés par les fermiers généraux qui appartenaient pour la plupart à la noblesse et et donc n’y étaient pas assujettis, étaient monnaie courante). Les frasques de Louis XV avaient fini par ruiner le capital de la confiance placée dans un système qui survivait au milieu d’un climat social et culturel désormais favorable à un changement de régime. D’autre part, les puissances de la Sainte-Alliance fourbaient leurs armes contre la France dont ils appréhendaient le modèle subversif qui pouvait entrainer chez eux les mêmes débordements. En effet, ce peuple de Paris allumé par les Jacobins dont les plus connus sont Robespierre et Danton dirigent la Convention. Avec eux, Louis XVI est d’autant plus affaibli que son caractère mou et indécis ne lui permet pas de s’adapter à la donne nouvelle qui aurait exigé de lui d’indispensables réformes institutionnelles.
Louis XVI est l’époux de la Reine Marie-Antoinette, une Autrichienne d’origine qui ne lui est pas d’un grand secours, en raison de sa nature frivole. La situation intérieure est contrôlée en réalité par les révolutionnaires aux accointances avérées avec les philosophes des Lumières dont ils se sentent les dignes traducteurs en actes des idées qu’ils poussent à leurs extrêmes. Le Roi ne peut pas non plus entrer en guerre contre l’Autriche à laquelle une rumeur populaire attribuait l’intention d’envahir la France. Il croit trouver la solution dans la fuite. En 1791, deux ans après la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 par les émeutiers parisiens, il quitte son palais accompagné de sa famille mais une dénonciation permet de le localiser à Varennes-en-Argonne, un bourg de la Meuse et de le ramener dans la capitale où il est jugé, condamné à mort et exécuté peu de temps après. On pourrait penser que la révolution française et la République qui a suivi seraient la mesure de toute évolution sociétale, particulièrement du régime politique. Mais non ! En dehors des menaces extérieures, la République proclamée en 1793 dès la disparition de Louis XVI sera confrontée aux insurrections à caractère réactionnaire mais à coloration clairement monarchiste : les Chouans et les Vendéens. Eradiqués, ces mouvements ont laissé toutefois des traces. La République est certes officiellement le régime dont tout le monde se réclame, à l’infime exception des Bourbons à la suite du Comte de Paris. Cependant, une étude ethnologique des Français est à faire. Ces derniers ont consacré depuis la révolution une sorte de parallélisme entre leurs régimes politiques, ne serait-ce qu’à un niveau métaphorique. Après la Convention dont la terreur a été l’âme damnée, le Consulat consacre, après quelques mois de remise en ordre, le césarisme, par allusion à la dictature de Jules César qui, après avoir triomphé du sénat romain, met bas la République et prépare immédiatement l’avènement de l’Empire. De même, Napoléon Bonaparte, jeune officier corse, joue le sauveur de la Patrie après avoir aligné des victoires prestigieuses face aux ennemis de la République (Marengo, Solferino, Wagram, Sébastopol…). Mais il deviendra, dans le même temps Consul et ensuite Empereur. Ce sera l’avènement de Napoléon 1er.
Le Roi est mort, vive le Roi
Le parallélisme se prolonge avec Napoléon III qui fut président de la République de 1848 à 1852, puis Empereur des Français jusqu’à la défaite de la France à Sedan. La République se réinstalle avec des fortunes diverses jusqu’à l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958. Le parlementarisme des IIIe et IVe républiques collait probablement à la psychologie d’un peuple frondeur et friand de fromage au point d’en fabriquer sous 52 labels différents ; de Gaulle n’a-t-il pas dit : « Comment voulez-vous gouverner un pays de 52 marques de fromage ? »
Mais cette nation si malmenée par les bourrasques de l’histoire s’aménage une porte de sortie en ne s’embarrassant pas d’une certaine ambivalence république/monarchie dont la constitution de la Ve République et sa pérennisation est l’exemple éloquent. Mythe fondateur ou expression d’une vision de l’état qui s’incarne dans un homme providentiel qu’est le général de Gaulle, celui-ci symbolise dans l’histoire de France la fonction monarchique, devenant par ce fait même le démiurge appelé à faire renaître la France tel le phénix de ses cendres. Il y est parvenu, de même que ses adversaires résolus, notamment François Mitterrand qui parla une fois de coup d’Etat permanent au sujet du régime de la Ve République mais qui préféra, une fois au pouvoir, la même constitution.
Beaucoup de Français parmi les détracteurs anti-gaullistes oseraient s’attaquer à cette constitution dont on disait qu’elle était taillée à la mesure de l’homme du 18 juin. Le sentiment général aujourd’hui est que la France est une démocratie et non une république bananière. Pourtant, c’est bien une démocratie dans laquelle le Président de la République détient de grands pouvoirs. Cette situation s’avère assez particulière dans le monde occidental (aucun chef d’État des pays occidentaux, y compris les États-Unis, ne présente les mêmes atouts). Le Président français dispose de l’article 16 de la Constitution qui lui confère les pleins pouvoirs en cas de nécessité. Il peut dissoudre les chambres et il bénéficie du privilège de juridiction (le droit de ne pas être jugé pour des fautes commises dans l’exercice de ses fonctions au cours de son mandat …).
A ce jour, pas grand monde ne se préoccupe réellement de changer les règles du jeu. Parmi les politiques comme dans les larges couches de la population, la demande d’une VIe République est assez marginale. Pendant la campagne pour l’élection présidentielle 2012 qui battait son plein aux mois de février et de mars, seul le candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, l’a évoquée de manière assez circonspecte. L’âpreté de la course à l’Elysée se justifie dans ce sens lorsqu’on envisage l’aptitude d’esprit des Français comme un dérivatif à l’angoisse qui les étreint. Après avoir procédé au meurtre du père, ils s’accrochent à un substitut, fût -il un despote éclairé. En effet, le Roi est mort, vive le Roi.