Article publié le 2012-07-04 par Entretien réalisé par Hilaire HUBERT Culture
Christophe Donna - le photographe de la beauté féminine, « Je suis plus attaché à l’image de la femme qu’à la valeur de ce qu'elles portent » [06/2012]
CHRISTOPHE DONNA © MURIEL FRANCESCHE

Tout en lui respire la simplicité, l'assurance du professionnel qui a l'expérience. Christophe Donna transcende les tops en les rendant "FEMME-FEMME"… A travers cet entretien, l’homme décrypte la photo sous tous ses contours.

Le nouvel Afrique (LNA) : Vous avez 41 ans. A quel âge avez-vous tenu votre premier appareil photo ?

Christophe Donna (C.D.) : J’ai eu mon tout premier boitier à 9 ans mais c’était plus proche du jouet que du véritable appareil photo. Vers 13 ans, on m’en a offert un autre un peu plus sophistiqué qui restait toutefois très modeste. Les quelques paramètres à ma disposition m’ont permis de découvrir la magie de la photographie. Enfin, pour être honnête, je devrais plutôt parler de la magie des «accidents photographiques » car ces générations de caméras étaient bien loin des petits bijoux technologiques que l’on peut offrir à nos enfants aujourd’hui. Les seules informations d’expositions que je possédais étaient les indications très sommaires qu’il y avait dans les boîtes en carton des pellicules. Autant dire qu’il fallait s’armer de patience pour sortir une belle image ; c’est aussi ce qui rendait la photo si passionnante.

LNA : Vous êtes connu en tant que photographe de mode, de beauté et accessoire de luxe. Pourquoi avoir pris ces directions ?

C.D. : Enfant, j’ai passé beaucoup de temps auprès de mon grand-père qui était tailleur pour la maison Chloé et Mr Lagerfeld. Je pense que c’est dans son atelier qu’est né mon goût pour la mode. Pourquoi ne pas avoir suivi la photographie plutôt que son chemin, me demanderez- vous ?… Pour faire bref, je suis plus attaché à l’image de la femme qu’à la valeur de ce qu’elles portent. Je n’aurais pas pu envisager mon travail de photographe autrement qu’en cherchant à les rendre encore plus belles à travers mon objectif. La Beauté est une discipline qui me passionne. Elle est à mi-chemin entre mon expérience de photographe de nature morte et de photographe de mode. Les plans cadrés permettent de jouer avec d’autres outils que le textile. Les cosmétiques, la coiffure, la joaillerie sont des terrains de jeux sans limite…

LNA : Vous avez la réputation d'être un spécialiste des photos léchées où la lumière et la sophistication du mannequin ont un rôle très important. Vous aimez le glamour ?

C.D. : J’ai eu la chance, dans mon parcours, d’assister un grand photographe de nature morte pendant 6 ans. Je crois ne pas mentir si j’affirme que c’est l’une des disciplines les plus techniques de la photographie. Cela demande une rigueur, une minutie, une maîtrise de la lumière et un sens de la composition assez prononcés. L’influence de cette expérience sur mes images est incontestable. Si vous définissez le Glamour par des termes tels que la sensualité, l’élégance et tous les arguments de séduction dont disposent les femmes…, oui, bien sur, j’aime l’exploiter. C’est ce qui rend l’image aussi poignante.

LNA : Vous travaillez entre autres avec le grand magazine Vogue France en faisant des photos d'accessoires pour eux. Quand a débuté cette collaboration ?

C.D. : Travailler pour le Vogue France a été une fabuleuse expérience. J’ai collaboré avec eux au moment où Fabien Barron détenait la direction artistique du magazine. Son assistant, Joseph, m’a proposé de les dépanner car il leur faillait en urgence des packshots pour illustrer un sujet « beauté ». Les mois suivant je produisais des photos d’accessoires pleines pages…

LNA : Quelle est votre approche de la photo de beauté ?

C.D. : J’aime traiter ce sujet à la manière du clair obscur. Le corps ou le visage sortent délicatement de l’ombre sans en dévoiler la totalité. C’est mystérieux comme lumière, j’adore.

LNA : Il y a beauté et beauté. Quels sont les critères pour le choix d'un mannequin dans le cadre d’une campagne de publicité pour une marque de bijoux ?

C.D. : La décision du choix du mannequin pour une campagne ne nous appartient pas. C’est le client ou l’agence de pub qui décide qui représentera la marque. Un mannequin, un Top, une actrice, ce sont des choix stratégiques purement commerciaux.

LNA : La réussite d'une image est aussi le travail de votre équipe. Maquilleuse, coiffeur, assistant etc. Avez-vous votre équipe type ?

C.D. : Bien entendu, je ne suis pas le seul acteur… J’ai avec moi toute une équipe pour parvenir à ce résultat. Je me suis entouré de personnes en qui j’ai entière confiance (coiffeurs, maquilleuses, stylistes,…). Sur une prise de vue on est en moyenne 6 à 8 personnes.

LNA : Quels sont les critères pris en compte pour décider du thème d'une prise de vue pour une collection printemps-été ?

C.D. : Je vais souvent m’inspirer des collections et des tendances du moment pour en tirer des thématiques. Finalement ce sont les créateurs qui orchestrent tout. Nous piochons, çà et là, de la mode, des accessoires et des bijoux pour construire nos séries. Pour le printemps et l’été, il y a des thèmes récurrents. Mais au final, le mot d’ordre c’est pétillant, fraîcheur, solaire. Le but est de faire rêver.

LNA : La mode a des critères de beauté qui sont souvent en contradiction avec ceux du commun des mortels. Pourquoi ?

C.D. : Les critères de beauté évoluent en permanence. Si on fait une petite rétrospective de l’utilisation de l’image de la femme dans l’art, il y a 24000 ans la Venus de Willendort (petite sculpture représentant la déesse de la fertilité) avait des formes extrêmement généreuses. Sans suivre une chronologie rigoureuse, si on s’intéresse ensuite au travail du peintre Ingres ou de ses contemporains Delacroix et Manet, les femmes étaient représentées rondes. Aujourd’hui la tendance s’est inversée en affichant des silhouettes plus fines que la moyenne. Dans la mode, le choix des mannequins squelettiques d’1m80 appartient, sans aucun doute, aux créateurs des grandes maisons de couture. Est-ce pour des raisons esthétiques ? Probablement. Je ne crois pas qu’ils choisissent ces femmes pour glorifier leur allure décharnée, mais simplement pour mettre en valeur leurs créations. Un défilé ou une série de mode dans un magazine n’est pas un hymne à la femme mais une vitrine des dernières créations de haute couture, de prêt à porter ou d’accessoires de mode.

LNA : Aujourd'hui, 60% des fillettes de neuf ans déclarent ne pas se sentir bien comme elles sont. 53% des écolières ne sont pas satisfaites de leurs corps et ce pourcentage passe à 78% à 18 ans. 76% des femmes trouvent plus important de perdre 10 à 15kg que d'avoir du succès dans leur métier. 7 femmes sur dix souffrent en voyant un top model. Il y a 20 ans, la plupart des mannequins pesaient 8% de moins que la femme moyenne, aujourd'hui ce pourcentage s'élève à 23%. 81% des femmes adultes veulent maigrir. La mode dicte ou pas ?

C.D. : Cela pourrait faire un super sujet au Bac de philosophie ! C’est un phénomène de société très inquiétant. Et encore plus chez l’enfant et les jeunes adolescentes. Mais doit-on pour autant juger la mode coupable de ces troubles comportementaux ? Je ne suis pas certain d’être la bonne personne pour y répondre, mais j’ai à la maison un échantillon très représentatif avec les 2 femmes de ma vie : mon épouse et ma fille de 17 ans… D’ailleurs qui n’a pas entendu sa soeur, sa fille, sa mère, sa femme se plaindre de la forme de son nez, de la taille des bonnets de son soutiengorge, de ses mensurations… La femme adulte, consommatrice, est actrice du principe d’offre et de demande. Fait-elle des régimes avant l’été sous l’influence des magazines féminins qui la noient sous des dizaines de nouvelles solutions pour perdre du poids ? Ou bien les magazines traitent-ils des régimes alimentaires avant l’été parce que les femmes sont friandes de ces formules magiques en espérant rentrer dans leurs nouveaux maillots de bain ? Nous sommes avant tout victimes de notre système de consommation. Alors doit-on faire le procès de la mode pour justifier notre mode de vie, ou admettre que nous sommes en partie responsable en créant la demande…?

LNA : En France plus de 40% des femmes affichent une taille supérieure à 42 mais les boutiques vendent le plus souvent des tailles plus petites. Vous, en tant que photographe, accepteriez-vous de photographier une femme ronde ?

C.D. : Bien sûr, et ça m’arrive! Je suis photographe et il n’y a aucun paramètre dans ma caméra qui m’interdise de prendre un personnage qui soit au-dessus d’une taille 36 ! La semaine dernière, j’ai fait une série de photos avec un mannequin qui avouait assumer ses rondeurs et se sentir mieux dans son 42 que quand elle passait son temps à épier sa balance… Carpe diem ! Les mentalités changent. Regardez la prestation de Beth Ditto dans le défilé de Jean-Paul Gautier… Aujourd’hui, la majeure partie des marques prennent des actrices comme égéries et elles sont loin des mensurations des mannequins de podiums. Un photographe de mode…, je devrais même ajouter qu’un photographe qui travaille «pour la mode», est avant tout un portraitiste. Son quotidien n’est pas exclusivement restreint à shooter des filles élancées dans des robes haute couture. Prenez les livres des grands noms de la photographie de mode comme Avedon, Bourdin, Newton (etc.) et constatez ce qu’on retient d’eux. Ce n’est pas une robe Dior ou un tailleur Channel, mais un sublime portrait de Marilyn Monroe, de Lady Di, de Catherine Deneuve ou d’une illustre inconnue.

LNA : Autrefois la peau blanche était un critère de beauté qui était aussi associé à un statut social élevé. H&M vient de sortir une publicité de maillots de bain été 2012 qui fait polémique. Les managers ont dû présenter des excuses et expliquer qu'ils voulaient présenter leur collection été et non inciter les femmes à contracter un cancer de la peau. La couleur de la peau a-t-elle toujours une grande importance pour les annonceurs ?

C.D. : Je suis agacé par toutes ces polémiques… Et je rejoins le publicitaire Jacques Séguéla quand il suggère d’arrêter d’accuser la Pub de tous les maux. On ne pourrait pas se contenter de dire : «C’est vraiment une belle image !!!» ou «je n’aime pas cette photo» ? Tout est sujet à controverse et ça devient difficile de n’offusquer personne dans notre travail. Hier c’était un mouvement féministe, aujourd’hui la cause du cancer de la peau, et demain ? Il est bien entendu qu’il y a des limites à ne pas franchir, mais ne pourrionsnous pas prendre les choses avec un peu plus de légèreté ? Je ne sais pas quelle importance peut revêtir la couleur de la peau pour les annonceurs, mais de mon point de vue, la couleur de la peau, comme d’autres critères physiques, sert un concept. Ce sont des éléments sur lesquels on va s’appuyer pour construire une image ou raconter une histoire. Rappelez-vous de Benetton et de ses campagnes coup de poing… On en parle encore. Notre but dans le cas d’une campagne d’affichage est d’attirer l’attention et de captiver un acheteur potentiel sur un bref regard, car c’est de ça qu’il s’agit. Les photographes doivent donc produire des images percutantes.

LNA : La beauté de la femme noire et métisse fait rêver beaucoup d'hommes car elles incarnent une sensualité à fleur de peau, un grand charme, un corps ferme avec une belle peau, un regard de félin, des lèvres charnues et une coiffure souvent sophistiquée. Beauté noire, métisse ou blanche. Faites-vous la différence ?

C.D. : J’ai très rarement eu l’occasion de travailler avec des femmes de couleur noire ou même métisses mais c’est aussi valable pour la communauté asiatique, indienne et autre. La plupart des commandes que je reçois de mes clients ciblent une population européenne. En revanche, je travaille en ce moment sur un projet artistique qui traite des notions de la beauté dans notre société et je suis amené à collaborer avec des femmes d’origines diverses et, très sincèrement, je ne fais aucune différence.

LNA : Quel est le top model noire ou métisse numéro 1 aujourd'hui, et pourquoi est-elle la numéro 1 ?

C.D. : Je ne sais pas qui est à proprement parler la numéro 1, mais l’une des plus belles est probablement Rose Cordero. Cette superbe dominicaine à fait la couverture du Vogue Italie, Vogue Paris et du W, et a défilé pour les plus grands. Pourquoi elle occupe le devant de la scène ? Je crois qu’il faudra le lui demander dans un de vos prochaines interviews.

LNA : Quel est la tendance coiffure printemps-été 2012 ?

C.D. : Il y a plusieurs tendances mais celle qui fait fureur est la frange.

LNA : Coiffure courte, mi-longue ou longue. Audelà de la tendance, quel est le premier choix d'un client sur la longueur d'une coiffure ?

C.D. : Le premier choix d'un client ne se porte pas sur la tendance d'une coiffure, mais sur le style de la campagne, par rapport à son image, au message qu'il veut faire passer, à la cible visée et à la collection qu'il montrera dans la campagne.

LNA : Monsieur Christophe Donna, quels sont vos propres critères en matière de beauté féminine ?

C.D. : Je n’ai pas de critères de beauté… Je ne crois pas qu’on puisse vraiment parler de critères de beauté puisque la beauté elle-même est indéfinissable. C’est une notion subjective. Mon travail consiste à déceler ce qui fait la particularité de chacun des modèles avec qui je collabore… On ne connaît jamais vraiment à l’avance l’issue d’une séance photo. Il m’arrive parfois de tourner une matinée entière à chercher ce qui va me séduire chez telle ou telle mannequin. C’est la diversité qui fait aussi la richesse de notre travail.

Site web : www.christophedonna.com