Article publié le 2012-02-29 par Par Oasis Kodila Tedika / Unmondelibre.org Politique
Liberia - Bilan d’Ellen Johnson-Sirleaf [01/2012]

Beaucoup ont contesté l’attribution du Nobel de la paix à Ellen Johnson Sirleaf, Présidente du Libéria. D’autres y ont vu une «intrusion occidentale» pour la faire passer en force comme Présidente. Au-delà du discours contestataire ou politicien, quel bilan peut-on dresser de son premier passage à la tête de ce pays à l’histoire chargée ?

Pour répondre à cette question, observons rapidement quatre compartiments clés de la société. Du reste, ce bref bilan mettra aussi en exergue quelques défis pour la Présidente réélue en novembre 2011.

1. Sécurité et souveraineté des droits

A son arrivée au pouvoir, Ellen Johnson Sirleaf hérite d’un pays en transition encore très mal coté en termes d’état de droit. Le graphique cidessous retrace l’évolution de la sécurité et de la souveraineté des droits, selon l’indice de la Fondation Ibrahim. Globalement, la tendance est positive. En fait, c’est depuis le départ du président Taylor que les choses ont commencé à s’améliorer. Quand elle est arrivée au pouvoir, Ellen Johnson Sirleaf trouvait un pays qui venait de gagner en trois ans 9 points sur cet indice. Et de 2006 à 2010, elle a fait gagner au pays 13,7 points.

Du fait que cet indice reste inférieur à 50, il est clair que, dans ce pays, la sécurité et la souveraineté des droits ne sont pas encore acquises en dépit des progrès réalisés. En effet, le processus judiciaire constitue un chantier où il reste encore à faire, en raison des interférences ou des pressions de groupes d’intérêt. La reddition des comptes des responsables publics n’a vraiment connu un changement qu’en 2009, selon l’indice de The Economist. La corruption au sein du gouvernement et chez les responsables publics n’est pas encore éradiquée, en dépit d’une forte volonté de changement qui se traduit entre autres par la poursuite des abus du pouvoir. En dépit de l’amélioration de la sécurité nationale, la sécurité individuelle s’est dégradée alors qu’elle avait connu un changement remarquable au début du mandat de la Présidente Johnson-Sirleaf.

2. Participation et droits de l’homme

Sous le mandat d’Ellen Johnson-Sirleaf, la participation libérienne à la vie politique s’est nettement améliorée. La libéralisation politique a été donc au rendez-vous, concédant plus de droits. Il y a davantage de représentativité féminine, bien que celle-ci reste insuffisante. Cependant, le respect des droits de l’homme s’est affaibli. De même, la liberté d’expression reste toujours dans le vert, mais a diminué par rapport aux deux premières années de sa prise du pouvoir. Enfin, la liberté d’association et de réunion a rencontré de sérieux problèmes.

3. Développement économique

L’économie a continué de se redresser de manière sensible. Les indicateurs macroéconomiques ont présenté des signes d’amélioration. La croissance a flirté avec les 10% avant la grande crise de 2008. L’inflation a été gérée, tandis que le taux de change s’est amélioré. La gestion des finances publiques a été relativement positive, car le gouvernement a pris des mesures appropriées, avec l’appui du FMI pour la fiscalité principalement. Le solde budgétaire a été amélioré, à la suite de l’augmentation du ratio des recettes sur les dépenses. L’amélioration relative de la politique budgétaire s’explique donc par le renforcement de l’efficacité opérationnelle des institutions de recouvrement des recettes. Il faut cependant aussi souligner que les dépenses ont été contrôlées. La gestion de la dette a été remarquable.

Sous le mandat de Ellen Johnson-Sirleaf, les institutions financières sont devenues plus fiables. Le pays a connu la levée des sanctions sur les exportations de diamant et de bois. Et l’économie a connu une très légère diversification. Les secteurs miniers et manufacturiers ont progressé, malgré leur sous-exploitation. Ainsi donc, les exportations ont connu une évolution positive, en dépit du déficit commercial. Sur l’environnement des entreprises, élément indispensable au progrès d’une nation, l’Indice ad hoc de la Fondation Ibrahim attribue en 2010 la note de 34 sur 100. Vu sous cet angle, le défi est donc très important. Il faut néanmoins reconnaitre un certain changement : en 2006, le pays recevait la note de 22. Les infrastructures traditionnelles constituent une réelle difficulté. Aucun progrès significatif n’a été réalisé pour l’accès à l’électricité. Idem pour les réseaux routiers et ferroviaires, et le transport aérien. Néanmoins, pour la couverture numérique et l’accès à la téléphonie, on a constaté des changements positifs.

4. Développement humain

De manière générale, la santé a connu une évolution positive : les mortalités maternelles et infantiles ont reculé. Sous le mandat d’Ellen Johnson-Sirleaf, le traitement par antirétroviraux a progressé dans les couches sociales. En 2006, l’espérance de vie à la naissance était de 71,9 ; elle s’est légèrement améliorée (72,6 en 2009). Aucune action efficace n’a été réellement lancée pour permettre l’accès aux sanitaires et à l’eau potable. Aujourd’hui, moins d’enfants libériens qu’il y a cinq ans achèvent l’école primaire .Néanmoins, la qualité de l’enseignement s’est améliorée.
Sur le graphique ci-après, on constate une évolution positive de l’indice global du développement humain de la Fondation Ibrahim du Libéria. Avec Ellen Johnson-Sirleaf, le Libéria a gagné 7,9 points entre 2006 et 2010. Mais là encore, comme dans le premier graphique, l’indice est inférieur à 50. En des termes différents, beaucoup reste à faire comme le paragraphe précédent l’a démontré en partie.

Conclusion

A voir le comportement de plusieurs indices, le bilan d’Ellen Johnson-Sirleaf nous paraît relativement positif. Elle a fait de son pays le leader en termes d’amélioration de la gouvernance en Afrique, selon l’indice de la gouvernance de la Fondation Ibrahim. Mais la question qui reste posée est celle qui est suggérée par l’utilisation de l’adverbe « relativement ». Pouvaitelle faire plus ? Les Libériens ont sans doute tranché : choisir le candidat de l’opposition pour remplacer cette économiste aurait signifié sans doute qu’elle n’avait pas su exploiter toutes les options et marges de manoeuvre à sa disposition. Malheureusement, l’opposition a arrêté la course avant les récentes élections, sous prétexte de fraude. Se pose donc le problème de la légitimité, mais aussi celui du bilan d’Ellen Johnson-Sirleaf. A-t-elle fait mieux au regard des attentes libériennes ? Quasi impossible à dire quand vous êtes la seule candidate.