Outre la musique, le reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly demeure un homme très engagé dans le domaine social. Conscient que le continent africain symbolise l’avenir dans plusieurs domaines, il s’est engagé, à travers le projet “Un concert, une école”, à contribuer à l’éducation des enfants du continent.
Quel est l’objectif de la semaine africaine que vous organisez à Paris, du 13 au 18 juin prochains ?
L’objectif principal, c’est de parler de l’Afrique sous tous les angles. Un continent qui bouge, qui est riche en matières premières, mais dont la population est encore majoritairement très pauvre. Je veux montrer que tout ce qui se passe là-bas en ce moment, après 400 ans d’esclavage, plus les années de colonisation, c’est un processus normal de développement et de démocratisation. Ce sera aussi l’occasion de lancer un appel à la jeunesse africaine, et en particulier à la diaspora en Occident. Car personne ne viendra changer l’Afrique à sa place.
Choisir de lancer cet appel depuis la France, ce n’est pas anodin...
Bien sûr, car les politiques d’immigration entre l’Afrique et la France ne sont pas équitables. L’été dernier par exemple, je n’ai pas pu obtenir de visas pour mon fils et mon neveu, alors qu’ils étaient venus en France deux ans plus tôt. On m’a expliqué que ce n’était plus possible à Bamako, qu’il fallait aller à Abidjan car leurs passeports sont ivoiriens... De faux prétextes.
Le fait qu’on refuse un visa à une personnalité comme vous, c’est symbolique, non ?
Bien sûr. Si on fait des difficultés à un artiste comme moi, alors à l’échelle d’un Ivoirien ou d’un Malien moyen, c’est impossible ! Le consul de France à Bamako, où je vis, était auparavant en poste au Sénégal. Là-bas, les gens sont descendus dans la rue pour le faire partir. J’ai envisagé de faire la même chose, j’ai fait signer des pétitions. Et puis j’ai renoncé car je me suis dit que le gouvernement français risquait d’utiliser mon cas pour faire un exemple, au moment où le Front National lui reproche de ne pas être assez dur.
Vous parlez de tout ça avec un certain calme. C’est l’esprit pacifiste du reggae ?
Les gens comme moi sont dans l’obligation de montrer l’exemple à la jeunesse africaine. Si je ne fais pas plus de bruit, c’est aussi parce que je crois qu’un jour, c’est l’Afrique qui refusera les visas aux Occidentaux. Regardez comme vous êtes heureux lorsque vous voyez le soleil. Il se trouve que dans beaucoup de pays africains, il fait beau toute l’année ! Et puis regardez : ici, il est presque devenu impossible de construire. En Afrique, il y a de la place, tout reste à faire. Pour le prix d’un studio à Paris dans le XVIe arrondissement, vous pouvez avoir une villa à Bamako. Et pour le prix d’un duplex dans les beaux quartiers, vous avez un immeuble entier à Abidjan ! L’Afrique, c’est le continent de l’avenir.
Quel est le principal obstacle à son développement aujourd’hui ?
Si nous ne connaissons pas les mêmes mouvements de révolte qu’en Egypte et en Tunisie, c’est parce que la majorité des populations d’Afrique noire ne sont pas alphabétisées. Lorsque les peuples sont éduqués, ils comprennent qu’ils doivent être unis pour combattre la mauvaise gouvernance. Ce vent qui souffle en Afrique du Nord, je pense qu’il soufflera sur l’Afrique noire dans quinze ou vingt ans. Car pour l’instant, c’est la division qui règne.
C’est dans cette optique que vous avez crée l’opération “Un concert, une école”, qui finance des établissements scolaires à travers l’Afrique ?
Lorsqu’on va à l’école avec un enfant d’une ethnie différente, on réalise qu’il n’y a que le langage qui nous sépare. Vous savez, moi aussi j’ai été dans cette ignorance-là. Lors des premières élections en Côte d’Ivoire, dans les années 80, je pensais qu’il fallait voter pour celui qui avait le plus d’argent. Après avoir étudié, après avoir voyagé, j’ai compris : si un candidat n’a pas de programme, ses billets de banque ne servent à rien.