L’Afrique, lit-on dans la presse, progresse à sa façon et peut regarder l’avenir avec un brin d’optimisme même si la crise aidant le tissu économique africain est comme plombé à la fois par la faiblesse des apports en capitaux frais significatifs des partenaires publics des pays occidentaux et le déficit criant en énergie électrique. A l’échelle de l’Afrique subsaharienne, le fait est probant – « L’électricité compte pour 40 à 80 % dans les déficiences d’infrastructures. Si les médias s’émeuvent qu’un enfant africain sur trois n’achève pas l’école primaire, rares sont ceux qui s’intéressent au fait que plus de trois enfants sur quatre n’ont pas accès au courant. Avec 68 gigawatts (GW, milliards de watts), la capacité de production totale de quarante-huit pays au sud du Sahara atteint à peine celle de l’Espagne. De plus, un quart du parc de production est indisponible. Au final, un Africain n’a la possibilité de consommer en moyenne, que 124 kilowatt heures (KWh) par an. Une énergie suffisante pour allumer une ampoule de 100 watts trois heures par jour. Les entreprises locales signalent que la somme des coupures de courant équivaut en moyenne à cinquante-six jours par an, ce qui leur coûte 5 à 6 % de leurs recettes » Tristan Coloma citant Jean-Michel Sévérino et Olivier Kay (Le temps de l’Afrique) dans « Le monde diplomatique » du mois de février 2011. Une autre affirmation provient du Fonds monétaire Internationale ; Cette institution tirait la sonnette d’alarme : « dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, le défaut d’infrastructures relatives à l’énergie, aux transports, à l’eau, ainsi qu’aux technologies de l’information et de la communication (TIC) amputerait la production de 30 à 60 %. Il induirait également une perte de deux points de croissance » (Le Monde Diplomatique). Le cas de la République Démocratique du Congo mérite à lui seul une couverture particulière ; voilà un pays immense et au risque de verser dans des banalités entendues mille fois alors qu’ici la réalité dépasse depuis très longtemps l’imaginaire le plus fou, ledit pays est un scandale géologique, des ressources hydrologiques considérables se déversent dans un fleuve mythique, un eldorado tropical nommé Congo. Près de son embouchure, il permet même un site énergétique où s’érigent des ouvrages de rétention d’eau dont la puissance totale à terme est deux fois supérieure à celle du barrage des Trois-Gorges en Chine. Et si l’on connait le gigantisme exprimé par cette dernière réalisation, les bras vous en tombent au sujet de la capacité potentielle d’Inga (Province du Bas-Congo R.D.C.).
Paradoxalement l’Etat Congolais est un peu à la traîne aujourd’hui pour des raisons qui tiennent à son histoire (décolonisation ratée, de longues décennies de dictature, guerres et jacqueries de toutes sortes). Elles sont également tributaires des facteurs structurels (une productivité insuffisante encastrée dans la production des matières premières et une industrialisation qui s’arrête à l’agro-alimentaire et les biens d’équipements ; la métallurgie embryonnaire ne peut prendre un essor décisif faute justement d’énergie adéquate). Le degré d’organisation et de complexification de l’administration ne permet pas des rentrées fiscales conséquentes tandis que les traditions, certaines sont régressives telles les propensions au nivellement par le bas et le parasitisme (une perversion de l’idéal de solidarité), bloquent la création d’entreprises privées autochtones hormis celles ressortissant du système clanique ou familial qui ne représentent du reste rien de très significatif. La mobilisation de l’épargne à la fois comme rentrées fiscales bien tenues et la part de la consommation individuelle pour booster la demande intérieure. Beaucoup d’experts en économie n’affirment-ils pas que la maitrise de son développement passe par l’existence d’un grand marché endogène en s’évertuant de soigner sa compétitivité en dehors de toute volonté protectionniste.
Les raisons du sort pitoyable des populations congolaises sont là et n’en sont pas à un paradoxe près. Sans doute, le plus étonnant est encore le décalage entre les possibilités gigantesques en énergie et l’acuité des difficultés graves en électricité tant du point de vue de la desserte au niveau national que des coupures incessantes dans les villes pourtant bien desservies. L’accès à l’eau potable ajoute au drame social qui stupéfait le monde.
N’empêche que en face de cette dimension du sous-développement (il n’y pas que la R.D.C.), la solution ne dépend pas seulement des Africains. Les problèmes sont titanesques mais pas insolubles. Si les transformations qualitatives qui affectent les Etats d’Afrique tant en politique qu’en économie pouvaient rencontrer chez les partenaires traditionnels de l’Afrique une nouvelle perception des relations internationales basée sur les valeurs de solidarité et non seulement de profit, tout serait possible. Heureusement, les temps ont changé et on réalise aujourd’hui que les échanges sud-sud sans se substituer aux rapports entre l’Afrique et ses partenaires traditionnels augurent d’un bon schéma de sortie par rapport aux conditions drastiques imposées aux Etats africains qui lorgnent les financements des projets de type pharaonique tel le barrage d’Inga. Ceci ne veut pas dire que d’autres possibilités d’agir en utilisant le ratio des partenaires capitalistes soient vouées aux gémonies. Toujours dans “Le Monde Diplomatique“ qui cite le cas de la R.D.C. on peut lire : « pour construire Inga III en 2020 et achever la première phase du méga barrage de Grand Inga en 2025 (six GW dans un premier temps, 44 GW prévus), le gouvernement congolais doit mobiliser 22,1 milliards de dollars. M. Thiongo travaille en synergie avec son collègue des mines. Il escompte que les sociétés d’extraction, moyennant l’obtention de concessions, financent la production électrique et son transport jusqu’aux exploitations minières. Et s’il reste quelques mégawatts, vers la population environnante ».
Une autre possibilité : l’intégration régionale
L’intégration régionale bien perçue peut engager d’autres Africains aux côtés des Congolais pour sortir le projet d’INGA de la panade. A condition que les uns et les autres agissent dans un but de complémentarité et de solidarité. Aux Congolais de ne pas tout sacrifier à une démarche frappée au coin d’un nationalisme de mauvais aloi, aux autres Africains, une non prise en compte de la souveraineté de la R.D.C. sur ses biens. A ce sujet il existe bien un précédent que relate “Le Monde Diplomatique“ : un projet était en effet « porté par le consortium Westcor qui réunissait cinq Etats C.R.D.C., Angola, Zambie, Botswana, Afrique du Sud. Finalement le 20 février 2010, à l’initiative de la R.D.C., les ministres de l’énergie du Consortium ont décidé de liquider Westcor. L’accord était effectivement défavorable au Congo, car les Etats signataires devenaient propriétaires de ce barrage au même titre que la R.D.C.
L’idée n’a pas été creusée plus avant. » . Quand on pense que les 44 Gigawatts (44 milliards de watts) ne concernent que le grand Inga alors que le potentiel hydroélectrique du pays dans son ensemble est de 110 GW, il faut dire que l’Afrique a intérêt à s’y mettre. Rien que les 44 GW sont suffisants pour couvrir environ 40% des besoins africains du Caire au Cap de Bonne Espérance.
Qui veut gager que la lumière qui éclairera demain l’Afrique surgira du ventre mou du Continent ? Et ce n’est pas tout. Le Congo est décidément le pays du paradoxe. Lu dans “Le Monde Diplomatique“ de février 2011 « Selon M. Stuart Notholt, un analyste des affaires cité par le magazine Africa Business en février 2009, les potentialités minières de la R.D.C. sont évaluées à 24000 milliards de dollars, l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) cumulé de l’Europe et des Etats-Unis. Mais, victime de toutes les convoitises, le pays ne s’appartient plus. Les combats pour l’accaparement des ressources et l’instabilité politique ont interrompu la maintenance des installations d’Inga et sapé le développement économique. De fait, les caisses sont vides ».
N’empêche qu’à l’échelle de l’Histoire qui sait si ce ne sera pas la R.D.C. disposant de tels atouts pour le moins mirifiques, qui donnera le “la“ au reste du continent africain ?