Article publié le 2011-01-10 par Par Mijean Rochus et Kenza Garba Opinion
Pie Tshibanda « Observer comment font les autres, est ma force » [08/2010]
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Pie Tshibanda, Congolais d’origine, est conteur d’histoires, écrivain, humoriste, et bien d’autres choses. Mais il est aussi un «nouveau» belge qu’on écoute et qu’on entend, un voyageur qui a sillonné la francophonie du fond de notre Wallonie à Ouagadougou, en passant par Québec, Cotonou, Paris, Avignon, Kinshasa, avec comme magnifique bagage son livre «Un Fou Noir au Pays des Blancs».

Le Nouvel Afrique est parti à la rencontre de Pie. Qui est cet homme et qu’est-ce qui fait de lui ce qu’il représente? Que pense-t-il de la Belgique? Son opinion a-t-elle évolué après quinze ans passés en Belgique?

Pie Tshibanda Wamwela Bujitu est né au Congo, à Kolwezi, en Novembre 1951. Il est ancien élève des Pères de Scheut. Pie a fait des humanités pédagogiques à Tielen Saint Jacques et à Kasansa et a obtenu une licence en psychologie à l’Université de Kisangani. En 1994, il a demandé l’asile politique en Belgique. Le séjour obtenu, Pie a commencé par être le coordinateur de l’école des devoirs «Le court pouce de Court-Saint-Etienne». Aujourd’hui, il est psychologue et sexologue, écrivain, mais surtout conteur. Il est président de Rayon de soleil, une association sans but lucratif qui s’occupe d’un centre de formation en faveur des jeunes défavorisés en RD Congo.

Le Nouvel Afrique: Est-ce que vous êtes toujours le même Pie qu’à votre arrivée en Belgique?
Pie Tshibanda: Quand je suis arrivé à Zaventem, je n’étais pas encore le Pie Tsibanda que je suis aujourd’hui. J’avais une image théorique de la Belgique, celle des Belges que j’avais côtoyés dans mon pays: le père directeur, un homme sévère, mes professeurs, avec qui on faisait du sport après les cours, les religieuses qui nous soignaient quand on était malade. J’avais aussi cette image idéalisée que l’on se fait à partir des images vues à la télévision. Mais dès l’aéroport, on découvre une autre Belgique, on voit des gens qui nous posent des questions du genre: «D’où venezvous? Qu’est-ce que vous venez faire chez nous? N’oubliez pas de rentrer chez vous». On est choqué de cet accueil froid, on découvre une autre Belgique, mais moi j’ai tout de suite dit aux Belges: «Je ne suis pas venu les mains vides, j’apporte ma petite valise, contenant mes richesses culturelles, mon intelligence et mes aptitudes». J’ai déballé ma valise en commençant par aller frapper à la porte des gens de mon village, pour faire connaissance et leur dire qu’ils allaient désormais compter avec moi. Je suis allé frapper aux portes pour me présenter et faire connaissance. Un proverbe de chez nous dit: «Lorsque tu vas à l’étranger, ne danse pas le premier, regarde d’abord les autres danser avant de danser à ton tour». Ceci veut dire: tu observes d’abord comment tes hôtes font et tu essaies de faire comme eux. Ma force à moi, c’est de savoir mélanger les deux cultures.

LNA: N’est-il pas difficile de mettre cela en pratique?
PT: Prenons l’exemple de l’éducation des enfants. J’ai remarqué que les gens d’ici, laissent faire leurs enfants. Moi, quand je vois un enfant qui n’a pas de respect pour son ainé, je lui dis de changer d’attitude. Dans notre éducation, nous avons un tel respect pour l’ainé qu’on ne donne pas tellement la parole aux jeunes. Les aînés peuvent en profiter et abuser, c’est ainsi que nous avons des dictateurs qui règnent sur un peuple corvéable. Ici vous donnez la parole à l’enfant, il sera démocrate mais il ne faut pas non plus en faire un roi. Nous sommes à l’extrême et vous à l’autre extrême. Il faut un juste milieu, c’est là que mon attitude différente vient enrichir la vôtre et vice-versa. Sur le plan professionnel, en Belgique j’ai commencé comme coordinateur de l’école des devoirs à Court-Saint-Etienne où j’avais déballé mes bagages. J’ai utilisé mes contes pour éduquer les enfants, je les ai aidés dans leurs études. J’affirme qu’il faut savoir aller vers les gens. Un jour, j’ai reçu un appel téléphonique de Paris qui me demandait si je ne pouvais pas accepter de répondre aux questions des auditeurs sur la radio Africa N°1. J’ai accepté, ils sont venus installer un codec et depuis quatre ans, les auditeurs peuvent me suivre sur 107.5fm. Pour moi, c’est un moyen de rester connecté à l’Afrique et de partager mes idées avec les citoyens du monde.

LNA: Vous êtes aussi psychologue et sexologue?
PT: Ma formation en tant que psychologue et sexologue fait que je peux répondre aux questions des auditeurs avec un oeil professionnel. Il n’y a pas de sujets tabous dans mes conversations avec les auditeurs. Nous parlons avec respect et dignité. Je peux aussi répondre aux questions individuelles par internet. La question de l’éjaculation précoce est souvent posée par les hommes, celle de l’absence d’orgasme, par les femmes. Les uns et les autres me demandent comment harmoniser les relations dans le couple et aussi comment éduquer les enfants. En Afrique, les grands parents parlaient de toutes ces questions avec leurs petits enfants mais aujourd’hui, les grands parents sont restés au village et les jeunes sont livrés à eux-mêmes. Où trouver la bonne information sur les questions en rapport avec la sexualité? À l’école, auprès des amis, dans les magazines pornographiques, les films sur internet... Sur ce terrain, je peux jouer un rôle.

LNA: Même en scène vous êtes en interaction avec votre public.
PT: Sur scène, Je suis entier. Cela signifie que ma formation de psychologue et de spécialiste en sciences de famille et sexualité transparaît dans mes propos. Un jour une spectatrice a déclaré dans la salle: «Au lieu d’aller voir un Psy, il faut aller voir jouer Pie Tshibanda». Certains de mes spectateurs apprécient que je revienne à des valeurs humaines profondes, valeurs que j’essaie de transmettre à mes enfants, malgré l’influence du milieu. Le spectateur a l’impression de se retrouver devant son enfant et il se sent inspiré par rapport à la manière dont il faut s’y prendre pour l’accompagner dans la vie. En choisissant comme titre de mon spectacle «Je ne suis pas sorcier», j’ai envie de dire au public que je ne suis pas un extraterrestre, ce que je fais, vous pouvez le réussir aussi. «Un fou noir au pays des blancs» c’est pour dire qu’il faut avoir le courage de nager à contre courant, même si pour cela certains vont dire que vous êtes fou.

LNA: C’est aussi le contact avec l’Europe qui a changé votre personne?
PT: Quand on arrive en Europe, on se retrouve au bas de l’échelle. On voit l’Européen dans son rôle du donateur et on comprend mieux ce proverbe qui dit: «La main qui donne est toujours au dessus de celle qui reçoit». Mais au fond de moi je me disais que celui qui me donne ne fait que me prêter, qu’un jour viendrait où je renverrais l’ascenseur. Maintenant, j’ai la parole, je partage ce que j’ai et les gens me reconnaissent. De mon statut actuel, je peux voir les choses autrement. Quand on change de position, on peut dire que c’est comme avec une camera, les images prennent plus de relief si elles sont perçues de différents angles de vue. J’ai un oeil plus critique et j’arrive à comprendre pourquoi, dans certaines circonstances, quelqu’un peut se replier sur lui-même et donner l’impression d’être raciste alors qu’au fond il ne l’est pas. La Belgique, je la vois comme un pays de paradoxes: on parle de séparation en même temps qu’on a une vocation internationale! Les querelles et les difficultés, on les voit dans le monde entier. La Belgique a toujours su s’en tirer sans casses, c’est le fameux compromis à la belge. Il faut s’appuyer sur ses points forts plutôt que de vouloir se séparer. L’union fait la force, c’est la devise des belges, non?

LNA: Vous aviez donc une mission en arrivant, vous vouliez vraiment être la voix des sans voix, avez-vous l’impression d’avoir réussi?
PT: Il y a toujours moyen de faire mieux mais je pense tout de même avoir fait mon possible. Ma province m’a élu citoyen d’honneur du Brabant Wallon, j’ai reçu la médaille d’officier de l’Ordre Léopold II, ‘le Talent d’Ebène’, le prix du théâtre à Ittre, c’est dire que ce que je fais est quand même apprécié. Je voudrais tout de même signaler que le chemin a été parsemé d’embûches, j’ai connu des difficultés, d’abord pour trouver un logement, ensuite pour réussir mon regroupement familial, pour trouver du travail et même pour braver le public en tant qu’objecteur des consciences. Il m’est arrivé d’avoir envie de pleurer même si en même temps je sèche les larmes des autres. Le résultat est positif, c’est cela qu’il faut retenir.

LNA: Vous avez fêté l’Indépendance du Congo au mois de juin?
PT: Je n’avais pas envie de faire la fête. Notre hymne national dit: «Nous bâtirons un pays plus beau qu’avant dans la paix». Est-ce qu’on a un pays plus beau qu’avant? Est-ce qu’on a la paix? Je vois des échecs et une responsabilité partagée entre Congolais, Belges et le reste du monde occidental. Le Congolais a eu un dictateur devant lequel il s’est agenouillé, la Belgique a quitté le Congo sans laisser derrière elle une élite capable de prendre le relais, le monde capitaliste a continué à nous exploiter en même temps qu’il nous impose des chefs qui disent ne rien devoir au peuple congolais. Et le chaos perdure. Faut-il fêter ou méditer? Je fais partie des Congolais qui se posent la question, et je me demande si les Occidentaux de la Belgique ne devraient pas se remettre en question eux aussi. Si on est incapable de bâtir un plus beau pays qu’avant, ce n’est pas seulement de notre faute. Les occidentaux doivent renoncer à l’idée de vouloir balkaniser le Congo et surtout de s’enrichir sur le dos des pauvres.