Depuis quelques années déjà, des économistes se sont tournés vers l’analyse des institutions pour mieux comprendre les ressorts du développement. On sait que certaines institutions sont meilleures que d’autres pour atteindre une société de prospérité. Partant, on peut être tenté d’importer « par le haut », des institutions apparemment efficaces d’une société riche vers une société pauvre, de manière à initier le développement dans cette dernière. La recette est-elle si simple ?
Les institutions, dans l’acception anglosaxonne du terme, sont les règles du jeu social censées permettre la coordination des décisions des acteurs sociaux. Elles peuvent être informelles (normes tacites, tabous) ou formelles (droit codifié). En fonction de leur qualité, elles peuvent ou non favoriser le développement par les incitations qu’elles fournissent à l’échange, à l’entreprise, moteurs du développement. La confiance est par exemple une institution informelle qui joue un rôle facilitateur dans les échanges économiques, comme l’ont bien analysé Alain Peyrefitte ou Francis Fukuyama. Les droits de propriété clairs, formels, permettent de responsabiliser et de donner les incitations propices au développement. Cette idée a été fort bien développée de Ludwig von Mises à Hernando De Soto. S’il est assez facile de poser un diagnostic sur les carences institutionnelles d’une société, il est bien plus difficile d’échafauder une stratégie de changement institutionnel par le biais d’un « transplant institutionnel », et ce, pour plusieurs raisons. Le premier danger est de transplanter une « façade » institutionnelle, une sorte de boîte vide : c’est le cas de l’exportation de la démocratie occidentale en Afrique par exemple. C’est essentiellement le système électoral qui a été exporté. Mais la démocratie ne se résume bien évidemment pas aux élections. Le deuxième danger est d’oublier un peu rapidement que des arrangements institutionnels répondent à des besoins des communautés, besoins qui euxmêmes dépendent en grande partie du niveau de développement. Si les institutions doivent permettre de réduire les coûts de transaction et de coordination pour maximiser la division du travail et l'échange dans la société, il faut aussi se rappeler que les arrangements institutionnels sont coûteux. En fonction du niveau de développement, les communautés peuvent se « payer » tel ou tel type d’arrangement institutionnel.
Le prêt à porter institutionnel n’existe pas
Pour illustrer ce propos, il serait tout aussi ridicule d’imposer à tout le monde l’achat de la Trabant, que celui d’une Mercedes Kompressor : nous n’avons pas tous les mêmes besoins en termes de voiture. C’est le même problème avec les institutions. Par exemple, l’imposition d’un système formel très coûteux d’enregistrement de la propriété, dans des zones reculées de l’Ouganda aux terres abondantes, s’est récemment heurté à cette réalité. Le prêt-à-porter institutionnel n’existe pas : la propriété est universelle, pas ses modalités.Le troisième danger est celui de l’absence de complémentarité entre les institutions nouvellement importées et les institutions locales. Cet argument rejoint le précédent. Comme pour une greffe humaine ou botanique, le transplant risque de générer un rejet. Une des explications du rejet se trouve dans la compatibilité de la nouvelle institution avec les institutions informelles locales : les normes ou conventions issues de l’expérience locale et qui conditionnent les rapports dans la communauté. La privatisation des années quatre-vingt dix en Russie et en Pologne par exemple, a donné lieu à un échec dans un cas, une réussite dans l’autre. La différence résidait dans le fait que les polonais n’avaient jamais vraiment renoncé à l’entreprise privée, car elle n’avait pas été totalement brisée durant la période communiste, ce qui n’était pas le cas en Russie. Les mentalités et habitudes polonaises manifestaient ainsi une certaine disposition en faveur de la privatisation. Un état de droit avec une justice effective constitue de même une institution fondamentale pour accueillir une économie de marché. Le vide institutionnel russe à cet égard n’a donné lieu qu’à une lutte de pouvoirs kleptocrates. Le quatrième danger est d’oublier d’informer les populations locales sur les buts et les méthodes de la réforme institutionnelle et d’oublier de récupérer leur feedback avant et, bien sûr, après la réforme. L’implication des populations concernées est en effet cruciale pour la réussite de la réforme. La réforme de 1998 du foncier rural en Côte d’Ivoire, visant à une formalisation des titres de propriété, s’est pour l’instant essentiellement concentrée sur l’information au public : le changement institutionnel requiert du temps. Enfin, toute réforme institutionnelle implique une redistribution des cartes et de nombreux intérêts et pouvoirs verront leurs positions altérées. Il faut donc anticiper l’impact de cette redistribution et prévoir des stratégies de négociations voire de compensation et de limitation, de manière à éviter que la réforme institutionnelle échoue ou soit vidée de son contenu par des intérêts coalisés. Les bureaucrates, notamment dans certains pays d’Afrique, représentent une catégorie qui a utilisé les institutions importées (la bureaucratie administrative « à la française ») pour asseoir ses privilèges, mais finalement étouffer le développement. Pour ceux qui veulent voir triompher les institutions de la prospérité qui ont permis à une bonne partie du monde de suivre le chemin du développement, la leçon principale est donc celle de l’humilité. Critiques légitimes du « constructivisme » économique socialiste, ils n’en viennent pas moins à embrasser très souvent le « constructivisme institutionnel ». Reconnaissance de la nécessaire diversité et du rôle de l’expérimentation, compréhension de la logique évolutionniste des institutions, voilà des garde-fous contre la tendance à croire en une - nouvelle - recette magique pour le développement. Pour réussir, le changement institutionnel peut être « incité », rarement imposé.
Source : www.umondelibre.org