La zone de la rivière Lukenie, le Kasaï Oriental, du Bandundu et la province équatoriale du Congo demeure l’une des régions les moins développées de la République Démocratique du Congo. Jean-Jacques Mampaka, de nationalité congolaise, journaliste-chasseur d’images, et Marc Hoogsteyns, reporter photographe belge, ont entrepris la traversée du fleuve à bord d’un kayak. Marc Hoogsteyns parle avec enthousiasme de son voyage à travers le fin fond du Congo, de la population, de leurs espoirs et de leur existence.
«Jean-Jacques et moi avons travaillé pendant des années dans la région des Grands Lacs africains, couvrant les nouvelles et les événements en cours», dit Marc Hoogsteyns. «Nous avons été témoins du génocide rwandais, plus de 30 ans de régime de Mobutu au Congo, les guerres de l’AFDL et la guerre actuelle dans l’est du pays. Mais cette partie de l’Afrique, la zone de la rivière Lukenie, le Kasaï Oriental, du Bandundu et la province équatoriale, demeure encore un point noir pour la plupart des médias internationaux et les organismes d’aide internationaux. Ces dernières ont tendance à concentrer l’attention sur l’est du Congo et les problèmes politiques à Kinshasa. Cela laisse le reste de la région, où la plupart des Congolais vivent, à découvert.»
Donner de l’attention
Marc et son collègue Jean-Jacques trouvaient que les personnes vivant dans ces zones inconnues avaient également besoin d’attention ou d’aide. Parce que la zone de la rivière Lukenie, Kasaï Oriental, du Bandundu et la province équatoriale du Congo demeure l’une des régions les moins développées de la République Démocratique du Congo. «Depuis plusieurs années déjà, la vie publique et économique est à l’arrêt dans cette partie du pays qui a été complètement coupée du reste du pays à cause du mauvais état des infrastructures routières et des rivières. Leurs seuls moyens de communication encore existants ne sont plus dragués depuis plusieurs années», poursuit Marc Hoogsteyns.
En utilisant un kayak comme outil de transport, Marc et Jean-Jacques étaient prêts à passer plusieurs mois avec la population de la région concernée. Ils ont enregistré tout ce qu’ils ont vu et ont publié leurs conclusions pendant leur voyage, par moyen d’un blog sur internet. «Les personnesdanscettepartieduCongoontbesoin de notre aide et nos résultats peuvent contribuer à une meilleure compréhension de leurs problèmes », estime Marc.
Le blog pour informer le monde entier
Marc et Jean-Jacques ont rédigé pendant leur voyage un blog, nommé ‘bobongo’. Un ‘bobongo’ est une danse de la mythique tribu congolaise ‘Ekonda’, une tribu vivant dans les forêts Congolaises ‘coeur des ténèbres’. Une partie de la tribu ‘Ekonda’ est constituée de pygmées Batwa et l’autre partie de Bantous. Ces gens ont été capables de survivre aux pires parmi les pires dans le passé par eux-mêmes en se concentrant sur le milieu dans lequel ils vivent: la forêt tropicale. «Au cours de la danse ‘bobongo’ des Ekonda, ces derniers appellent les esprits des ancêtres pour demander conseils sur la façon d’affronter l’avenir et de faire face aux problèmes. Ce rituel peut être facilement utilisé comme symbole pour la quête à la survie des Congolais face aux difficultés et au maintien de la joie de vivre. C’est pour cela que nous n’avons pas hésité à appeler notre carnet de jour ‘bobongo’. Jour par jour nous avons noté nos observations en anglais, français et néerlandais sur ordinateur ou sur pa38pier. Quand les conditions le permettaient, nous avons envoyé les récits par téléphone satellite à notre webmaster en Belgique. Nous avons travaillé dans des circonstances très primitive et souvent sans électricité. Il n’y avait pas de routes dans la région et pas non plus de moyens de transport, de liaisons téléphoniques, de l’eau potable et d’électricité. C’est ce qui a rendu le projet très coûteux aussi. Heureusement nous avons eu un soutien financier de certains partenaires, comme Air Kasaï et le groupe presse ‘Le Potentiel’. »
Un peuple extrêmement hospitalier et ouvert Quand Marc et Jean-Jacques arrivaient dans un village, après avoir pagayé en kayak toute la journée,ils rencontraient des gens extrêmement hospitaliers. Marc raconte qu’il a pagayé 1800 kilomètres, 50 à 60 kilomètres par jour, c’est-à-dire 8 à 10 heures par jour. «J’essayais de trouver ou bien un bivouac de pêcheurs où l’on pouvait dormir, ou bien d’accoster dans un petit village. Lesgensétaienttrèshospitaliersettrèsouverts. J’étais surpris de leur gentillesse, pourtant ils ne me connaissaient pas. Ils étaient bien sûr très surpris de me voir arriver parce que, dans ces villages-là, ils n’ont plus vu de Blancs depuis 20 ou 30 ans. Cela m’est arrivé que tout le village a fui parce qu’ils étaient tellement surpris de voir un Blanc.» Ils se sont donc embarqués au départ de Lodja, dans le Sankuru, à bord d’un kayak rouge, par-courant 1800 km sur la rivière Lukenie, à travers le parc de la Salonga, qui s’étend sur 36.000 km2 de forêt tropicale. C’est là que le World Wildlife Fund (WWF) s’attache à recenser lesanimaux (91 poissons appartenant à 21 espèces différentes, une population de 5 à 7000 Bonobos, ces singes que l’on ne retrouve qu’au Congo), à former les gardiens du parc, à rendre les populations locales plus sensibles à la nécessité de protéger l’une des dernières forêts vierges du monde.
Lisez avec nous dans leur carnet de jour.
« Comme prévu, nous nous embarquons au port de la cotonnière, à Lodja. Ayant plus de poids que moi, Marc embarque le premier dans le kayak et plus léger, je prends place le der nier. Plus expérimenté, Marc prend les com mandes de l’embarcation, c’est à dire pagayer et pédaler en même temps pour donner une bonne direction à l’embarcation. Selon les car tes hydrographiques, la sinuosité de la rivière n’est pas très expliquée. Il faut évidement na viguer pour s’en rendre compte. » « Les premiers moments sont bons. C’est notre première navigation sur cette rivière et nous pagayons sans guide. Il faudra s’habituer 39 à l’appellation ‘bifure’ dans notre texte. Cela signifie simplement virage ou courbe. Après quatre bifures, nous croisons les premiers arbres qui tombent dans la rivière. Nous échappons à ce premier obstacle. Comme la rivière est encore étroite par endroit, le courant est assez fort et il faut de la maîtrise et du courage pour affronter ce dernier. Maîtrise et courage sont les vertus qu’il faut pour naviguer sur la Lukenie, quand on est novice et pour un habitué, le courage suffit. » «Lodja. C’est une ville, disons bourgade, traversée par la route nationale numéro 3 dans un piteux état. Le fait de diviser la bourgade en deux parties a donné naissance à deux quartiers: le quartier catholique et le quartier protestant. Appelé à devenir probablement la capitale du Sankuru, Lodja n’est désservi qu’une seule fois par semaine, le vendredi, par deux vols. Un cargo et un passager. Ce qui explique l’ambiance folle que nous avons vécue lors de notre arrivée. Bourgade complètement enclavée.»
«Après la pluie à Lodja, vaut mieux rester chez soi que tenter de sortir. L’artère principale devient une rivière et pour circuler mieux vaut avoir des palmes aux pieds ou alors devenir grenouille.»
« Heureusement, certains cherchent à travers des micros projets à sortir le Sankuru, en général, et Lodja, en particulier, des ornières. Nous pouvons parler de ce citoyen Belge d’origine congolaise et fils du terroir, qui se bat pour la réhabilitation de la concession de la cotonnière, afin d’y installer des structures pouvant amener la population à se remettre au travail de la terre, à la scolarisation des enfants des anciens travailleurs qui s’étaient détournés du droit chemin et de s’occuper des filles et femmes victimes de viol lors de la rébellion. Le pont sur la rivière Lukenie, sur la nationale numero 3, doit sa remise à neuf grâce au courage de Pierre Albert, originaire du coin. Un autre qui tient à sauver l’image de Lodja, c’est l’honorable Adolphe Onosumba avec son ONG dénomée Etoile du Sankuru. Cette année sa rizière a produit 1 500 kilos de riz. A son actif il faut ajouter une palmeraie et des surfaces servant à la production de semences améliorées pour les agriculteurs locaux. La vie s’arrête à Lodja avec la tombée de la nuit. Plus d’activité après 19 heures. C’est comme si Lodja diurne est différente de Lodja nocture. Et pourtant nous sommes dans ce qui fut naguère le coeur de l’économie du Sankuru et par extension le centre de la RDC. »
« Me voilà seul au village . C’est à cet instant je vais vivre l’hospitalité tant vantée du congolais. Que dis-je? Hospitalité dans le Congo profond et oublié . Non contents de nous offrir leur toit , voilà que ces femmes et hommes de Okelenge vont se plier en quatre pour me demander qu’est-ce-que je dois manger. Ne pouvant abuser de leur bonté, aucune demande spéciale, tout est bon puisqu’eux-mêmes mangent ce qu’il sont à portée de main.»
« Maintenant nous savons que la rivière aussi calme et sans problème d’apparence, n’est pas facile. Nous pagayons pendant 45 minutes lorsqu’apparaît un premier port, ce qui est considéré comme tel par les riverains. Nous sommes à Dibongo Okelenge. Un village qui n’est pas loin de la rivière, situé à au moins 15 km de la bourgade de Lodja. Selon les habitants du coin, pour atteindre la cité, entendons Lodja, ils marchent pendant 2 heures. Marc vivra le calvaire avant d’atteindre la cité (Lodja). Un village qui a une population estimée à 600 âmes. Il a une école primaire qui est fréquentée par 170 élèves mais située au village Bohema à 2 km de marche. Une forte affluence dans la classe de première (63 élèves) et faible en classe de sixième (13 élèves). Une fois l’école primaire terminée, il faut aller s’inscrire à la cité. Ce qui pousse certains parents à demander à des membres de famille qui habitent la cité, d’héberger les leurs. Un village à vocation agricole, qui s’est tourné vers la pêche à cause des difficultés d’écoulement des produits agricoles. Le moyen de transport est la marche à pied. Les vélos et motos ont difficile d’atteindre le village à cause du manque d’une voie tracée et de petit pont pouvant joindre les villages. Le centre de santé est à 1 km du village. »
Jean-Jacques Mampaka: journaliste congolais, reporter d’images. Il a travaillé dans plusieurs pays tels que le Tchad, le Congo-Brazzaville et la République centrafricaine, couvrant les différents récits. En tant que indépendant, il a travaillé pour plusieurs médias congolais et internationaux, tels que RFO, ITN, plusieurs stations de télévision japonaises et congolaises et des journaux tels que ‘Le Potentiel’. Jean-Jacques est aussi un expert de football et il sait comment utiliser une caméra vidéo. Il travaille actuellement comme journaliste pour le groupe de presse ‘Le Potentiel’ au Congo. Aujourd’hui, Jean-Jacques, réalise des reportages portant principalement sur les thèmes environnementaux du groupe de presse ‘Le Potentiel’.
Marc Hoogsteyns: ce journaliste belge a couvert la plupart des récents conflits en cours dans la région des Grands Lacs au Congo. Il a été témoin du génocide rwandais et il a tourné plusieurs ‘exclusivités’ pour les grandes agences, telles que Reuters et WTN, pendant les guerres au Congo. Son documentaire ‘Kongomani’ a été montré sur les écrans de télévision du monde entier. En tant que journaliste, Marc a travaillé dans le monde entier, mais après le génocide rwandais, il a surtout porté son attention sur l’Afrique des Grands Lacs. Aujourd’hui, il travaille sur une série d’articles et de reportages télévisés sur la déforestation du bassin du fleuve Congo.
A F D L : L’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo
Heart of Darkness Revisited,
Marc Hoogsteyns,
2010, p 208, Editions Lannoo,
I S B N : 9 7 8 9 0 2 0 9 8 7 3 9 3,
19, 95 €