A l’orée du cinquantenaire de l’indépendance du Congo, particularisé par le séjour à Kinshasa dès le vingt-neuf juin du Roi Albert, des courants centrifuges agitent le landerneau belge et les cercles qu’ils décrivent semblent englober depuis longtemps l’envol des relations belgo-congolaises vers un partenariat équilibré.
Le clivage flamand-wallon
La polémique qui est née depuis l’annonce de la visite du Roi Albert II au Congo sous prétexte, pour les uns, que celle-ci constituerait une caution à la mauvaise gouvernance avérée de l’Etat congolais et pour les autres, qu’il serait une grave erreur de manquer, de la part de la Belgique, un rendez-vous historique, donne la mesure du challenge auquel sont confrontés les deux pays dans un futur proche.
Au-delà d’une relation passionnelle, dont l’évolution a échappé aux féroces appétits des colons et autres dirigeants en métropole sans oublier le contexte international dans lequel la Belgique apparaît comme tributaire de sa colonie congolaise, il y a également le fait de la naissance et de l’existence de la Belgique elle-même Nation. Les belges sont des braves gens industrieux et munis d’une capacité d’adaptabilité peu commune. Ils damment le pion à leurs voisins en matière d’ouverture d’esprit tourné vers le progrès. N’en déplaise à ceux parmi leurs lointains cousins qui cultivent l’ironie au point de se gausser du propos célèbre de Jules César dans ‘Les commentaires des guerres de Gaule’: «De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves».
Ceci dit, ils ne sont pas sans défauts. Le plus significatif est qu’ils sont querelleurs, un peu butés. Ces traits de caractère expliquent probablement qu’ils ont vécu longtemps dispersés sur des petites étendues et qu’ils ont eu à se retrouver groupés sous des suzérains étrangers. Le localisme est cette doctrine qui aurait pu leur être attribuée.
En 1908, lorsque le Roi Léopold II cède «son bien personnel» à la Belgique, le Congo sera des années durant, le théâtre des effluves d’un atavisme socio-éthnique qui met aux prises des identités exclusives évoluant sous le même drapeau: les Wallons latins et les Flamands germaniques.
Même si Anicet Mobe (chercheur en sciences sociales à Paris) a écrit dans ‘Le Monde diplomatique’ de janvier 2008 que «le Congo n’a occupé qu’une place assez marginale sur la scène politique intérieure belge, sauf lors de la reprise de la colonie personnelle du Roi Léopold II par l’Etat, pendant les deux guerres mondiales et la décolonisation en 1960», les divisions qui agitaient la Belgique (la guerre scolaire) et les questions linguistiques ont été exportées dans les années 1950 vers la colonie; du moins leur impact a été très important. Notamment l’interruption brutale dans le programme des études secondaires au Congo dès 1958 du cours de néerlandais à l’arrivée à la tête du ministère des colonies d’un politique wallon.
La décolonisation est venue compléter un clivage wallon-flamand dont le Congo servait, au fil des crises de nerfs entre dirigeants belges et congolais (zaïrois), d’exutoire sans remonter au déluge. On signalera, en passant, que sous Mobutu, l’amitié affichée entre le Président zaïrois et Sa Majesté le Roi Baudouin, n’a pas empêché que les leaders politiques flamands et leurs thuriféraires surfent sur les désordres de régime pour faire la nique aux responsables francophones qui tenaient à la ligne diplomatique classique et pour réorienter, contre tout bon sens, les flux des capitaux vers les Indes néerlandaises apparemment pour une simple proximité linguistique.
En ce qui concerne la situation actuelle, les choses sont en l’état. Et l’envoyée spéciale de l’hebdomadaire ‘Jeune Afrique’ à Kinshasa décrit avec raison le face à face un peu surréaliste entre mouvance francophone et mouvance néerlandaise dans leurs positions respectives «Le Congo fait la politique belge».
Traditionnellement, les socialistes flamands prennent position contre le régime de Joseph Kabila. Ils dénoncent entre autres les viols par l’armée, la situation humanitaire pitoyable à l’est du pays et la corruption. Leur conclusion: aider le Congo (premier destinataire de l’aide belge), c’est dilapider les ressources de la Flandre qui génère la majorité du PIB belge (57% environ contre 23% pour la Wallonie et 20% pour la région de Bruxelles Capitale). Le Congo creuse aussi la faille entre flamands et wallons (francophones). Quand les premiers sont intransigeants, les seconds sont bienveillants.
«...Lorsque les trois communautés belges ont obtenu le droit d’ouvrir des représentations diplomatiques distinctes, après une longue réforme institutionnelle entamée en 1970, les wallons ont ouvert leur première «délégation», l’équivalent d’une ambassade à Kinshasa».
Pour un droit d’ingérence
Parmi tous les sujets à conflit qui ont émaillé les relations sinueuses entre le Congo et la Belgique, il y a eu le fameux «devoir ou droit d’ingérence» d’abord énoncé par le médecin Bernard Kouchner à l’époque de son engagement humanitaire et qui pouvait déjà prendre son envol sauf que l’échec de l’opération «HOPE» des États-Unis en Somalie est venu lui briser les ailes. Puis est venu «le droit de regard», annoncé par Monsieur Karel De Gucht, alors Ministre belge des Affaires Étrangères.
Celui-ci en corrige même l’énoncé justifiant sa position par un propos qui en a hérissé plus d’un: «lorsqu’on aide quelqu’un, on a de ce fait un droit de regard sur lui». Le Congo a reçu, en effet, 122 millions d’euros d’aide de la Belgique en 2008 mais celle-ci était de 155 millions en 2007. Pourtant, le Ministre est seulement à demi couvert et une réflexion sur la validité d’une pensée qui utilise la force (argent donné à quelqu’un) contre le droit (la capacité dont dispose un individu à s’autodiriger) n’est pas nécessaire. D’aucuns lui trouvent déjà un mobile qui fait remonter à la surface quelques poncifs. Selon Marianne Meunier de ‘Jeune Afrique’: «En parlant du Congo, le personnel politique se ménage des retombées médiatiques. C’est d’ailleurs l’une des raisons aux provocations de Karel De Gucht. Elles lui ont valu de jolis scores dans les sondages».
Une cooperation entre adultes
Depuis 1908, les visites des souverains belges se suivent mais ne se ressemblent pas. Il y a sans doute celles intervenues pendant la colonisation marquées par un contexte qui les plaçait dans la droite file de simples «tours du propriétaire» comme l’indique l’ énumération qui suit: le Roi Albert Ier en 1928, le Roi Baudouin en 1955 et le Roi Léopold III en 1957 en qualité de Chef du Gouvernement.
Les périples royaux post-coloniaux commencés en juin 1960 ont chacun leur particularité. Celui de 1960 est comme la décolonisation assez banale. Certains symboles nous donnent à réfléchir mais les signes ne trompent pas. C’est ainsi que le Roi Baudouin, que le gouvernement belge a envoyé un peu trop rapidement à trancher sur le vif alors que la situation au Congo Belge exigeait un certain recul, n’avait pas non plus une vision nette des rapports futurs entre la Métropole et son ancienne colonie.
Sinon son discours n’aurait pas eu ce parfum d’amertume comme si le Roi concédait à regret ce qui aurait pu se réaliser selon ses propres dires «en plein accord et amitié avec la Belgique». L’hommage appuyé à son ancêtre Léopold II, le paternalisme suintant des passages où il recommande aux congolais «de ne pas se débarrasser des institutions ou formes d’ organisations leur laissées s’ils ne sont pas sûrs d’avoir à les remplacer».
Sous le Maréchal Mobutu, les voyages du Roi Baudouin en 1970 et 1985 avaient plus un caractère protocolaire. Dans l’intermède, on notera la présence du Prince Albert, l’actuel Roi, à l’inauguration du premier barrage d’INGA en 1972.
A la vue de ce qui précède, on ne peut que souhaiter que les rapports entre la Belgique et le Congo échappent aux pesanteurs malsaines du passé et qu’ils entrent dans une ère de maturité au bénéfice des deux peuples.