Article publié le 2010-04-20 par Tebi Joachim Able, philosophe, théoricien de la Palabre africaine
Opinion
Que l’homme d’argent est différent de l’homme riche [03/2010]
Pièce d’or du Sultan MAHMUD II
© Jerry Woody
Dans mon article de LNA 15 du mois de décembre intitulé: «L’erreur de Weber», je me demande si la justice et la paix ne forment pas un seul couple. Pourtant, c’est souvent que l’on oublie cette vérité au profit des intérêts partisans comme a eu à le faire le philosophe et célèbre économiste allemand, Max Weber, qui estime qu’il est plus judicieux que l’on confie le pouvoir politique à un prétendant déjà riche. Dans ce qui suit, je suggère que l’homme d’argent est différent de l’homme riche. Suivez-moi dans mon discours. Tebi Joachim Able, philosophe, théoricien de la Palabre africaineLa vraie richesse matérielle fait référence à une tradition laborieuse et à une véritable culture d’entreprise, au sens de l’épargne et à son développement. Dans un contexte moderne, elle est liée à l’économie de marché qui doit être le véritable garant de l’essor économique.La politique ne doit pas être réservée exclusivement à ceux-là qui seraient assis sur des coffres-forts; d’autant que l’homme d’argent est différent de l’homme riche. Si la vraie richesse matérielle est portée par l’idéal de solidarité et de fraternité, l’économie de marché ne peut être que souhaitable d’autant plus qu’elle donne l’occasion à l’homme de présenter les meilleurs fruits de son esprit que le marché rend visible. Et c’est avec l’économie de marché que le partage devient effectif. Dans ces conditions, le coût des échanges doit seulement être regardé comme anecdotique, si l’intention des uns n’est pas d’asservir les autres afin d’abuser d’eux.
L’homme d’argent ramasse rapidement, l’homme riche amasse lentementLa vraie richesse est appelée à durer dans le temps et à résister à l’épreuve du temps. Le contraire est à définir seulement comme une course à l’argent, comme un gain, comme du racket. Et c’est justement pour cette raison que je dis toujours ceci: «l’homme d’argent qui amasse rapidement est différent de l’homme riche qui amasse lentement.» L’homme d’argent tient un butin, l’homme riche détient un trésor. Celui qui court pour amasser rapidement ne permet rien à personne d’autre. Celui qui marche pour amasser lentement, laisse le temps aux autres de profiter, eux aussi, du temps et de l’espace économique. Voici ce que j’appellerais la vérité différentielle, celle qui fonde la bonne économie sociale et politique. Elle est fondamentale. Si le butin appartient à son pirate, le trésor appartient à l’humanité. C’est ce que les historiens de l’art ont compris avec raison et qui justifie le concept de ‘patrimoine de l’humanité’ au sujet des œuvres architecturales et autres. Entendu qu’il tient déjà un butin qui devrait en principe lui suffire, il ne faut jamais porter un homme d’argent au pouvoir. Vous n’arriverez pas à faire l’inventaire de son avoir parce qu’en cas de contrôle, s’appuyant sur sa mauvaise foi, il risque de se moquer de vous en arguant qu’il n’avait pas attendu le pouvoir pour vivre dans l’opulence. Or si vous votez pour un homme qui vous ressemble et qui vit la même condition que vous, à la fin de son mandat, vous pouvez facilement évaluer les biens qu’il aura acquis avec votre concours. Et puis, il est plus logique de laisser un des vôtres défendre vos intérêts au lieu de fournir les armes de votre propre destruction à votre adversaire.
Le pauvre existe individuellement, certes, mais le riche n’existe pasL’homme d’argent est incontestablement votre adversaire parce qu’il vous pille. Et on n’est pas forcément bon gouvernant parce que l’on dispose d’immenses coffres forts. Détrompez-vous par ailleurs: l’opinion internationale n’est pas favorable à un pays parce qu’il est gouverné par un homme d’argent, mais plutôt pour ce que le pays vaut en lui-même; grâce au travail de tous ses habitants. La coopération internationale ne travaille pas avec des individus, mais avec des Etats; avec l’ensemble des citoyens qui produisent les richesses. Et la richesse est effectivement un patrimoine commun à l’humanité. C’est bien pour cela que le pauvre existe individuellement, certes, mais que le riche n’existe pas. Si le riche n’existe pas, alors le pauvre ne devrait pas exister non plus parce qu’on reconnaît l’un par rapport à l’autre; pourrait-on se dire. Je répondrais à cette question en disant qu’en réalité, le bâtisseur de trésor n’atteint son objectif qu’avec l’effort de toute la société. Prenons l’exemple d’un édifice en construction: chaque matin, nous voyons à l’œuvre le maçon, le plombier, le menuisier, le balayeur, l’électricien ou le peintre. Et le travail ne sera jamais achevé sans le concours des uns et des autres. Eh bien! De cette même manière, le trésor ne s’amasse qu’avec le concours de tous. Et dans le fonctionnement de l’entreprise, il faut que l’ouvrier accepte de se lever avant le petit jour pour aller à son poste; que la standardiste accepte de recueillir messages et commandes, que le comptable soit bien regardant sur les chiffres et que le veilleur de nuit accepte de garder les usines. Pendant ce temps, le premier initiateur du projet économique pourrait s’adonner aux voyages, aux jeux et à la distraction dans les casinos, s’adonner aux différentes sortes de pipes et au tabac, sans presque jamais se mêler à la tâche sur les lieux des activités. Et justement c’est ainsi que les choses se passent dans la plupart des cas.
Les mérites de la société laborieuseEt ce n’est pas tout. Le pompier devra toujours se tenir prêt à intervenir dans les locaux de l’activité en question. Les services fiscaux apportent continuellement leur concours en rappelant au ‘premier initiateur’ ses devoirs dont l’accomplissement lui permet d’avancer tout doucement. S’il avance donc tout doucement, comment arriverait-il à passer devant les autres acteurs de la société, si ceux-ci lui refusaient leur collaboration, leur soutien et leur aide? Voilà pourquoi je dis que le riche, en tant que tel, n’existe pas. Car ne devient riche que celui qui travaille et c’est la société qui devient riche dans le cadre bien précis de l’enrichissement par le travail; avec à sa tête, un animateur de la vie économique que vous appelez ‘patron’. Ici, ‘patron’ ne veut rien dire d’autre que premier initiateur de projets économiques. Mais l’entreprise qu’il aura bâtie grâce à l’effort de la société appartient à la société.
Que rien n’appartienne particulièrement à l’hommeEn réalité, rien n’appartient en propre à l’homme; pas même sa vie dont il ne saura jamais pourquoi elle se retrouve en lui. Autrement, il pourrait décider d’y mettre fin à tout instant, ce qui n’est souvent pas le cas. On me dira que l’homme a le choix du suicide. Or le suicide n’est justement pas un choix, mais un acte de désespoir. C’est un acte qui s’impose à l’homme en deuxième lieu, après le choix de la vie, après l’appel à la vie. L’homme vit seulement la vie, mais il sait que celle-ci ne lui appartient pas. Si sa vie dont il pouvait légitimement se prévaloir ne lui appartient pas, je ne vois pas ce qui peut lui rester en propre.
Le chef d’entreprise sait très bien qu’il n’est pas l’inventeur de la monnaie qui fait sa force; qu’il n’est pas le créateur des hommes qui produisent sa richesse; du jour et de la nuit qui rythment sa production; de l’espace physique sur lequel est implantée son unité de production et le fait de dépenser un sous pour l’acquérir ne change rien à cette vérité. Cela lui donne seulement un droit d’occupation ou de jouissance, mais il n’est en rien le propriétaire de tout ce qu’il découvre dans la nature à la naissance ou de tout ce qu’il ne peut emporter avec lui dans sa tombe. Voilà qui devrait donc adoucir les appétits de l’homme. S’agissant toujours de l’entrepreneur, s’il est juste de reconnaître son esprit d’entreprise, sa grande capacité à prendre des risques et sa volonté d’assurer la survie et l’avenir économique de son pays; s’il est utile de lui accorder la considération et l’honneur qui lui reviennent, il faut également insister en disant que rien ne lui appartient en propre: en réalité, tout revient à la société laborieuse.
Pour l’avènement d’une vraie justice distributiveJe veux donc dire que, dans ces conditions, tout gain doit être redistribué équitablement, dans la mesure du possible. Je suis pour cette politique de redistribution des biens sociaux. Et en Afrique, fils de paysans comme nous sommes tous pour l’instant, le peu que nous avons, doit être redistribué à tous, dans la dignité et la loyauté. Plus qu’une empoignade Gauche-Droite qui pourrait paraître nécessaire à certains parce qu’elle permet, peut-être, aux acteurs de la vie politique de mieux se positionner, il est davantage question de partage et de justice distributive: c’est ce qu’on appelle la justice sociale.