Article publié le 2010-03-10 par Par Erika Claessens
Culture
Diouma Dieng Diakhaté, Une fashionista africaine de renommée mondiale [02/2010]
Depuis trente ans, elle est à la barre d’une entreprise de mode en plein essor. Partout son nom fait rêver. En Europe mais aussi sur le continent africain. Diouma Dieng Diakhaté, c’est tout un concept.
Pour les uns, c’est une pionnière, pour d’autres, une autorité. D’autres encore la qualifient de
fashionista. Et tout récemment, on a même dit d’elle qu’elle est une bienfaitrice effrénée. Diouma Dieng Diakhaté, diva de la mode, dessine des tenues de gala pour des chefs d’état et des célébrités des quatre coins du monde. Elle ne mâche pas ses mots: « Si vous voulez réussir à l’international, il faut payer de votre personne. Ceux qui n’ont pas de cervelle n’arrivent à rien. »
Là-bas, les conflits font rage. L’aide internationale est insuffisante. On assassine, on viole à tour de bras. A cause des pénuries alimentaires et de la surpopulation, des millions de personnes meurent de faim. Toutes les plaies dont souffre le continent africain nous parviennent avec la régularité d’un métronome. Et elles nous font à chaque fois l’effet d’une gifle. Pourtant l’Occident aime l’Afrique. Un continent qui pour nous évoque les savanes baignées de soleil, le roulement exotique des tam-tams et les musiciens aux muscles saillants et au sourire Pepsodent. Ces clichés irréductibles sur l’Afrique lui collent à la peau. Pourtant,
là-bas – peut-être d’ailleurs plus qu’ici –, les gens prennent leur sort en mains. Ils croient en leurs capacités et travaillent à leur avenir. Et en matière d’ambition, la femme africaine pourrait en remontrer à beaucoup. Les mamas africaines n’ont pas peur. Elles ont les pieds bien sur terre.
C’est aussi le cas de Diouma Dieng Diakhaté. Madame Dieng a appris – et elle apprend toujours – à son peuple l’art de la broderie et de la coquetterie. Il faut dire qu’au Sénégal, les machines à coudre ont toujours occupé une place de choix. En Afrique de l’Ouest, le
commerce de textiles haut de gamme fait recette depuis des siècles. De tous temps, les tissus wax flamboyants, les caftans et les boubous brodés ont toujours été portés fièrement lors des fêtes traditionnelles et des cérémonies religieuses. Les jeunes femmes n’ont pas peur de combiner études et boulot. Elles n’hésitent pas à traverser les frontières des pays voisins avec leurs marchandises. Malgré la récession et les crises politiques, le commerce de tissu y
prospère comme nulle part ailleurs. Les Sénégalais aiment la mode et adorent parader. Ce n’est pas sans raison qu’on les appelle les Italiens d’Afrique. Mais alors qu’autrefois,
les métiers de la couture étaient plutôt réservés aux jeunes peu instruits, le succès de l’atelier de Madame Dieng a servi de déclic à de nombreuses jeunes femmes. Une carrière de top model ou de styliste, c’est leur American dream, un rêve à portée de la main.
Diouma Dieng est autodidacte. Elle a grandi dans une famille où il n’était pas toujours facile de joindre les deux bouts. Mais ses parents ont voulu qu’elle aille à l’école et décroche un diplôme. Diouma s’est bagarrée et elle l’a eu, son diplôme. Pour elle, c’était la seule façon de trouver un boulot et de mettre un peu de beurre dans les épinards. Dès qu’elle avait un peu de temps libre, elle cousait et piquait. Enfant déjà, elle adorait la mode, les robes élégantes
et les tenues coquettes. Dans le garage de la maison paternelle, elle dessine ses patrons et confectionne ses modèles à la machine. Car ses parents n’avaient pas les moyens de lui offrir
les vêtements dont elle rêvait. Elle réalisait donc ses propres tenues. Régulièrement, les voisins, les passants se demandaient quel était ce vrombissement qu’ils entendaient derrière les portes du garage. Personne n’imaginait alors que la fière Diouma était en train de
tracer à la craie blanche les jalons de sa carrière internationale de styliste. L’argent que ses réalisations rapportaient, elle le donnait à son père. Dès la fin de ses études secondaires, elle posa sa candidature à l’ambassade de la République Démocratique du Congo. Ensuite, elle préféra devenir hôtesse de l’air pour la compagnie Air Afrique. Mais cet épisode fut de courte durée. Elle devint alors secrétaire de direction dans une entreprise de l’aéroport où elle resta treize ans.
« La beauté, le talent et la force intérieure de la princesse Diana, de Liz Taylor et de Mère Teresa m’ont encouragée à créer de belles choses. »Après sa journée de travail et pendant les week-ends, elle continuait de coudre des toilettes pour sa famille, ses amis et ses connaissances. Les commandes devenaient de plus en plus nombreuses et elle décida alors de se lancer comme styliste à temps plein. Diouma Dieng donne aujourd’hui du travail à plus de personnes que l’Etat sénégalais. Elle espère que sa fille Eva lui succédera à l’atelier Shalimar. Dieng a reçu plusieurs prix et médailles et elle porte le titre honorifique d’Ambassadrice de la Mode africaine. Elle investit une grande partie des bénéfices dans la construction d’hôpitaux et d’écoles en Afrique. Elle suit personnellement les jeunes filles qui rêvent de faire carrière dans l’univers de la mode. Elle les accompagne dans leurs projets et, pour les plus ambitieuses, elle finance des formations et des ateliers spécialisés.
Interview
Un cadeau de Dieu# Le fait que vous ayez grandi dans une famille peu aisée a-t-il accéléré votre carrière?
Diouma Dieng Diakhaté « J’ai grandi dans une famille d’origine modeste à Rufisque,
une petite ville près de la capitale du Sénégal, Dakar. Mon père était polygame. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir une jeunesse difficile. Mon père m’adorait. Il prenait toujours ma défense. Ma mère était une femme très dévouée. Elle a merveilleusement assuré notre éducation. J’ai également pu aller à l’école. Mais j’ai toujours été débrouillarde et je voulais
coûte que coûte aider mes parents. J’aimais assez tenir l’échoppe de ma mère au marché lorsqu’elle était absente. J’en profitais pour confectionner bracelets et colliers avec les perles que j’enfilais. Je les vendais et je donnais ensuite l’argent à mon père. Le fait que j’aimais la mode et la coquetterie a bien sûr eu une influence sur ma vie par la suite. J’ai toujours eu la sensation d’être une styliste dans l’âme. J’ai toujours fabriqué mes vêtements, je donnais régulièrement des conseils de mode à mes amies. Rien d’étonnant dès lors que je sois devenue designer. Je suis autodidacte. Je considère que mon talent de créatrice est un don de Dieu. »
# Vous vous souvenez du moment précis où les choses se sont vraiment emballées?
DDD « On raconte parfois que j’ai connu mon premier succès lors d’un défilé, mais ce n’est pas exact. Mon premier succès date d’un moment très précis en 1981. J’avais été invitée au mariage d’une personne de ma famille au Mali. Je portais une des mes créations. C’était un boubou en bazin brodé de fil jaune. Je suis rentrée à la maison avec une soixantaine de coupons de tissu et des commandes pour plus d’un million de francs CFA. Grâce aux
acomptes que j’avais touchés, j’ai pu m’acheter deux vielles machines à coudre que j’ai installées dans mon garage. L’atelier Shalimar était né. »
# Aux débuts de Shalimar, vous avez combiné plusieurs boulots. Comment y arriviez-vous?
DDD « Je n’ai jamais eu deux boulots en même temps. Mais après mes journées de travail, je cousais dans le garage. Cette époque n’était pas facile. Je courais à droite et à gauche car je ne voulais laisser passer aucune opportunité. Entretemps, j’avais fondé une famille et je devais tout gérer. Heureusement, mon mari était très compréhensif et il me soutenait à cent pour cent. J’étais ambitieuse et j’avais choisi de tout mener de front. C’est grâce à l’appui de mon
mari que j’ai tenu bon. »
# Votre expérience de secrétaire de direction vous a-t-elle aidée dans votre carrière de styliste?
DDD « Le travail de secrétariat est basé sur l’aspect relationnel, sur le contact humain. Il faut toujours faire preuve de courtoisie, de diplomatie. Il faut être disponible et organisée. Ce sont des qualités qui viennent à point dans tous les métiers. Mais pour une styliste, c’est une fameuse valeur ajoutée. Dans ce métier, avoir un bon contact avec les clients est indispensable. Pour faire une carrière internationale, il est essentiel d’être à l’aise sur le plan culturel. Si on n’a que la beauté, sans l’intelligence, on ne va nulle part. »
# Lorsque vous créez vos tenues, quelles sont vos sources d’inspiration?
DDD « Je n’ai pas d’idoles. Ce sont les femmes qui m’inspirent. La princesse Diana, Liz Taylor et Mère Teresa m’ont influencée. Leur beauté, leur talent et leur force intérieure m’ont encouragée à créer de belles choses. »
Ambassadrice de la mode africaine# Quelle est la recette du succès pour un empire financier tel que le vôtre?
DDD « Il m’a fallu en tout premier lieu un petit investissement – deux machines à coudre – et un crédit bancaire. Mais il m’a aussi fallu la volonté, la force de travail, la persévérance et une bonne dose de confiance en moi. L’univers de la mode est une jungle où l’on vend du rêve. Le
rêve de la beauté. Il faut le courage d’y pénétrer mais aussi beaucoup d’enthousiasme. Il faut consentir des sacrifices. Il n’y a pas de recette magique pour accéder au succès. Il faut y croire, travailler dur et, de temps en temps, faire des compromis. Enfin, il faut avoir une excellente organisation et un mari compréhensif. »
# Quel effet cela vous fait-il d’être nommée l’Ambassadrice de la Mode africaine?
DDD « Je suis fière de ce titre! Que ce soit sur le plan professionnel ou sur le plan privé, j’ai atteint le sommet. C’est très gratifiant. Je considère également mon parcours comme une mission que j’ai remplie pour mon pays et pour le continent africain. C’est un réel plaisir d’habiller de belles personnes, des célébrités pour la plupart, de faire ainsi voyager mes créations partout dans le monde et de savoir qu’elles sont appréciées. Les nombreuses distinctions qui m’ont été décernées sont la preuve de ma réussite. C’est aussi la force qui m’a toujours poussée vers l’avant. Vous savez, nous, les Africains, nous devons continuellement
faire nos preuves. Pourtant, je suis restée la même dans le fond, même si j’ai gardé l’une ou l’autre cicatrice. Cela nous aide à forger notre caractère. »
# Vous investissez beaucoup dans les jeunes africains et dans les projets humanitaires. Qu’est-ce qui vous a poussée à faire cela?
DDD « J’ai toujours rêvé de fonder des écoles et des maternités partout en Afrique et au Sénégal en particulier. C’est pour cette raison que j’ai créé ma fondation. Je veux contribuer à développer les équipements sociaux en Afrique. Dans des pays comme le Congo ou la Sierra Leone, la situation est désespérante. Je souhaite que tout le monde vive en paix. Dans ma religion, l’Islam, la richesse dont nous disposons ne nous appartient pas. Nous devons la partager avec les autres et c’est d’ailleurs dans ma nature. Grâce à mon succès, je suis en mesure de le faire. Je peux aider les autres. J’y réussis chaque jour de mieux en mieux.
Cela m’apporte une grande sérénité. »