La justice et la paix ne forment-elles pas un seul couple ? Pourtant, c’est souvent que l’on oublie cette vérité au profit des intérêts partisans comme a eu à le faire le philosophe et célèbre économiste allemand, Max Weber qui estime qu’il est plus judicieux que l’on confie le pouvoir politique à un prétendant déjà riche. Son argument est que la tentation de puiser dans les caisses de l’Etat serait moins grande, dans cette situation. Le philosophe allemand recommande donc que ‘‘dans des conditions normales’’, l’homme politique soit ‘‘économiquement indépendant des revenus que l’activité politique pourrait lui procurer’’. Weber souhaite également que l’homme politique possède par lui-même, ‘‘une fortune personnelle’’ ou occupe ‘‘une situation sociale privée’’ d’où il pourrait tirer des revenus suffisants…
Même s’il me semble que Max Weber ait commis une erreur dans l’élaboration de sa thèse, je me sens incapable de porter la contradiction à ce grand savant et je ne le ferai pas. Je tiens seulement à faire observer que ‘‘fortune’’ et ‘‘revenus suffisants’’ ne recouvrent que des notions purement subjectives. On constatera qu’aujourd’hui, en Allemagne comme en France, par exemple, l’on n’a pas besoin de fortune spécifique pour faire de la politique parce qu’elle est faite, financée et contrôlée par le peuple.
«Vanité des vanités tout est vanité»
En Afrique, par contre, avec un revenu mensuel de cinq cent mille dollars, par exemple, auxquels s’ajoutent les innombrables caisses noires, le politicien africain conduit des actions désastreuses; alors qu’avec vingt mille dollars mensuels comme revenus, un homme politique consciencieux, arriverait à initier des projets de développement économique et social exemplaires. J’en conclus par là que, même si Weber ne saurait avoir tort, faire de la politique ne devrait forcément pas être une affaire de cagnotte dorée. Et en ce qui nous concerne, la raison en est toute simple: non seulement il n’y a pas d’argent à gaspiller en Afrique, mais quelle que soit l’étendue de sa surface financière personnelle, le politicien africain n’arrivera jamais à pallier l’absence des caisses d’épargne populaires, si la population refuse de se prendre en charge elle-même. Enfin, pour ses besoins personnels, rien n’oblige le politicien africain, à se couvrir de luxe dans ce désert africain sans pain et sans eau. Si vous encouragez donc l’idée selon laquelle ne devraient faire de la politique que seulement les nantis, vous disqualifiez et vous-mêmes et vos enfants; parce que vous finirez par nourrir des complexes inutiles, ce qu’il faut combattre.
L’argent est certes le nerf de tout combat, selon la remarque populaire, mais le combat politique lié à l’émancipation des mentalités, reste avant tout un combat d’idées et non une affaire de fortune.
Si vous gagnez ce combat-là, il se trouvera toujours, de par le monde, des défenseurs de la liberté des peuples qui viendront, par la suite, à votre secours, avec l’argent dont vous aurez besoin. En réalité, on ne demande pas à l’homme politique de se reposer sur le pouvoir de l’argent, mais de servir honnêtement ses concitoyens. A ce titre, l’expérience de Qoheleth, le plus grand philosophe Juif -de Spinoza, Marx, Durkeim, Freud à Bergson et tous les autres… - devrait nous donner à réfléchir. A propos de cette agitation liée à l’argent et à la richesse matérielle dans l’exercice du pouvoir, on apprend, en effet, avec son apophtègme que ‘‘vanitas vanitatum et omnia vanitas’’.
A quoi sert-il à l’homme de travailler pour accumuler des biens, et j’ajouterais : d’exploiter, de spolier son frère, s’il s’agit de léguer ensuit le fruit de son labeur à un héritier inconscient qui le rendrait en fumée aussitôt ? Interroge le philosophe. Plus que toute autre chose, c’est donc la liberté que l’homme doit laisser en héritage à la société. Cela, Albert Lutuli, Myriame Makeba et tous leurs compagnons de lutte l’ont bien compris, et grâce à la force de l’âme, ils ont réussi à terrasser l’apartheid au visage odieux, sans aucun centime en poche.
De combien de milliards disposait Mandela ? En outre, quelle était la couleur des devises avec lesquelles Gandhi a remporté ses victoires ? Le combat de l’avènement démocratique est une affaire d’engagement et de détermination. Le combat de la politique économique et social reste un combat de tous les citoyens du monde; parce que le monde dépend du monde et le monde n’a qu’un seul nom. Si vous continuez malgré tout, à croire que l’homme politique doit disposer de fortune personnelle, s’il n’en a pas sur lui-même, il prendra la vôtre pour faire bonne figure. Mais le temps de lui demander des comptes, il sera déjà trop tard...
Le plus grand danger lié à cette idée tout aussi rédhibitoire que discriminatoire de Weber qui fait l’apologie de l’injustice, c’est que l’homme politique risque de confier sa capacité de prise de décisions et ses responsabilités, à d’autres. Mais je ne crois pas que ceux qui décident une certaine partie de la politique africaine, depuis l’étranger, le font parce que nous sommes pauvres. C’est souvent parce que nous n’affichons pas des choix bien déterminés et bien clairs. C’est aussi parce que nous ne rendons souvent pas compte et de façon impeccable à la communauté internationale et à nos partenaires, des dossiers sensibles liés au pouvoir, à l’argent et la jouissance qu’il entraîne. Comment veux-tu être pris au sérieux par ton interlocuteur qui, sachant qu’il t’avait prêté cinq sous, constate qu’il en manque déjà quatre et qu’aucun des plans dressés au préalable, n’a été commencé ? Si tu t’obstines à ne pas te remettre en cause, tu obliges malheureusement ton pourvoyeur à décider pour toi, à te dicter ses orientations et à te prendre par la main pour te mener selon sa sensibilité. Tu auras perdu non parce que tu es pauvre, mais parce que tu es malhonnête.Et pour en revenir à Weber, je dirais que pour ce que je viens d’affirmer par rapport aux assertions de l’Allemand, son opinion n’est pas déterminante. Il l’a suggérée parce qu’il a sans doute vécu dans une Allemagne relativement prospère et énormément lotie, toujours bien lotie par rapport à l’Afrique au plan financier; probablement. Max Weber sait parfaitement que bien que nécessaire,
La fortune ou l’argent ne crée pas les conditions suffisantes pour faire de la politique, comme je viens de l’expliquer. L’argent ne vous empêchera pas d’être rustre, arrogant, escroc, dealer, proxénète, criminel…etc, si au départ, vous êtes taré. Vous le resterez dans votre état de fortuné. Or si vous entretenez des intentions reconnues louables par vos concitoyens, votre indigence ne devient qu’un accident à leurs yeux.
La vision de Weber fait du champ politique un domaine réservé. Et dans ces conditions, il se montre moins démocrate que l’Athénien Thucydide qui dit que : ‘‘si l’on se distingue en quelque domaine, le mérite nous fait accéder aux honneurs; la pauvreté ne doit pas avoir pour effet qu’un homme, capable de rendre service à l’Etat, en soit empêché’’. Or dans les conditions actuelles qui prévalent sur le continent, entendons-nous bien, en politique ne peut être riche que celui qui triche; parce que la politique ne prévoit pas d’enrichir ses serviteurs. Alors, il faut tricher au mieux avec les caisses du trésor, ce que le grand nombre ne pourra réussir.
Le pauvre est certes incapable de s’enrichir par le vol, mais pas inapte à servir son pays par le truchement de la politique. Autrement, au lieu que celle-ci soit l’affaire du peuple, elle ne regardera toujours que la seule petite classe des nantis.