Article publié le 2009-10-08 par Daouda Emile OUEDRAOGO / LNA Actualité
Tertius Zongo : Premier ministre du Burkina Faso [10/2009] [11/2009]
Enfants d’une école à Ouagadougou
Tertius Zongo
Premier ministre du Burkina Faso
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«La vie chère n’est pas l’effet d’un gouvernement qui dort»
Plus de deux ans après sa prise de fonction, le Premier ministre, Tertius Zongo est au four et au moulin, pour redorer le blason du Burkina Faso, sur les plans de la bonne gouvernance tant économique que politique. A travers cet entretien, Tertius Zongo parle de son bilan, de la vie chère, des marchés publics, de la réduction du train de vie de l’Etat, de la lutte contre la corruption, de la crise des enseignants-chercheurs à l’université de Ouagadougou… Comme à son habitude, dans un langage de vérité.

Le Nouvel Afrique (LNA) : Excellence M. le Premier ministre, lors de votre prise de fonction, vous avez placé votre mission sous le signe de la moralisation de la vie publique. Un an et demi après, quel bilan faites-vous de cet objectif que vous vous étiez assigné?
Tertius Zongo (T.Z) : Le point le plus important dans toute action que l’on mène est la pertinence de l’action. Il faut d’abord se poser la question de la pertinence de l’action pour le gouvernement, en tant qu’exemple que l’on veut donner. Ensuite, la pertinence de l’action en termes d’impact sur la vie des populations. Aujourd’hui, les questions de gouvernance sont des questions centrales et prioritaires. Tant que l’environnement de la gouvernance n’est pas mieux assaini, quel que soit les autres actions que vous allez mener, vous ne pourrez pas avoir de résultats efficaces. La bonne gouvernance est une aspiration profonde de tout le peuple. Il n’y a personne qui veut vivre dans un environnement de mauvaise gouvernance. Les populations veulent que chaque fois qu’elles ont besoin d’un service ou d’une action, que cela se passe dans un environnement de transparence. Par conséquent, en premier lieu, la moralisation de la vie publique est un besoin élémentaire. En second, il s’agit d’aller avec tout le monde. Et cela passe par la communication, la sensibilisation. On ne peut mobiliser des gens que sur la base de leurs intérêts, dit-on. Il faut que les gens sachent les objectifs que vous poursuivez. Il faut qu’ils puissent faire la différence entre ce que l’on doit faire et, ce que l’on ne doit pas faire. C’est une marche de longue haleine et, je puis avouer que la maillonnaise est en train de prendre. Nous restons confiants.

LNA : La reconversion des mentalités suppose une démarche pédagogique de votre part. Quelle est la votre ?
T.Z : La démarche pédagogique consiste d’abord, à orienter tout le monde vers le même objectif. Il faut changer les mentalités. Il faut montrer qu’on peut faire autrement. Et, faire autrement, c’est emmener d’abord les gens à se convaincre que, ce qui parait être devenu la norme, n’est qu’une déviation et non la normale. Aujourd’hui, sur le plan institutionnel, l’Etat s’organise pour mettre en place des structures qui veillent à la sensibilisation mais aussi, sanctionnent lorsqu’il y a des déviations. Il s’agit de faire en sorte que les gens sachent que ce qui est dit est fait. Si cela n’est pas fait, l’on doit savoir pourquoi cela n’a pas été fait. Naturellement, il est évident que tout le monde ne va pas au même rythme. Certains sentiront que les choses avancent. D’autres, hésitants, pessimistes, diront «attendons de voir car, on est sûr que cela n’ira pas plus loin que ce que nous avons vu». Mais l’essentiel est que, de plus en plus, de nombreuses voix s’élèvent pour dire qu’on y croit, que cela est possible et que nous pouvons le faire.

LNA : La réduction du train de vie de l’Etat est pour vous une priorité. Cette diminution a-t-elle été bien accueillie par les ministres?
T.Z : Ce sont des questions que nous discutons entre nous. La vérité est que chacun peut se plaindre dans son for intérieur. Mais, il est toujours bon de faire bien avec peu. L’évolution du monde commande de faire ainsi. Au niveau des pays africains, nous devons comprendre que lorsque nous voulons des résultats, le seul indicateur de mesure du résultat, est de faire la part des choses entre ce qui a été éjecté comme moyens et, ce qui a été gagné en retour comme bénéfice. Faire mieux avec peu, crée plus de richesse et de facto, l’on peut partager cette richesse. Un gouvernement est chargé de conduire un programme politique. Il est le bras armé pour la mise en œuvre du programme politique du chef de l’Etat. Le gouvernement, étant conscient que celui qui l’a formé, a promis un meilleur avenir aux populations, doit montrer le bon exemple.

LNA : Concrètement, quels sont les domaines dans lesquels ont été constatés la diminution du train de vie de l’Etat ?
T.Z : les aspects sont multiples. Les véhicules de l’Etat étaient utilisés a tort et à travers. Aujourd’hui, je pense qu’aucun ministre, aucun fonctionnaire de l’Etat, personne ne peut s’amuser à utiliser les véhicules de l’Etat, en dehors des heures de service. En outre, les gens distribuaient les bons de carburant à tour de bras. Ils vont même dans les stations services pour monnayer les bons d’essence contre de l’argent. Cela n’est plus possible. Les cartes magnétiques ont été établies à la place des bons d’essence. En un trimestre, les bénéfices engrangés par rapport à l’utilisation rationnelle du carburant sont énormes. Prenons l’exemple du Premier ministère. Au mois de novembre de l’année dernière, j’ai dû voir le ministre des finances pour réclamer une rallonge de carburant. Cette année, avec la même dotation, et après 6 mois d’application de la mesure, en fin décembre, après avoir fait le point, j’ai une économie de 26 millions de F CFA de carburant. Donc, le point sera fait au niveau des différents ministères et, nous allons publier les économies réalisées sur le carburant. Cela suscite des grincements de dents mais, il faut qu’on le fasse. Dans cette lancée, les domaines du téléphone, de l’électricité et de l’eau ont été touchés. Nous avons des factures de téléphone de 500 000 F CFA et même de plus d’un million sur certains postes de téléphone. Nous avons d’abord résilié les lignes de téléphones de tous ceux qui sont à des postes qui n’en ont pas besoin. En lieu et place, il faut mettre un montant de crédit en prépayer. Cette année, nous avons résilié des centaines de lignes cellulaires.

--- Suite de l'interview LNA 14 [11/2009] ---

« L’absence de contrôle est souvent la porte ouverte aux dérives »


Cela fait plus de deux ans que le Premier ministre Tertius Zongo est aux commandes aux commandes au Burkina Faso. Dans le numéro précédent de LNA, il brossait la situation économique de son pays. Nous vous proposons la suite et la fin de cet entretien où l’homme sans langue de bois prône la bonne gouvernance à tous les niveaux pour faire du Burkina Faso un pays émergent.


Le Nouvel Afrique (LNA) : Quelles ont été les retombées de la réduction du train de vie de l’Etat au niveau de l’eau et de l’électricité en 2008?
Tertius Zongo (T.Z) : En 2008, les dépenses de fonctionnement de l’Etat (eau, électricité, téléphone, carburant sans les salaires), s’élevaient à 100 milliards 700 millions de F CFA. En 2009, nous avons prévu 100 milliards 400 millions, moins que 2008 et nous savons que nous allons terminer 2009 avec des économies.

LNA : Dans cette quête d’une bonne moralité pour l’administration publique, il y a la lutte contre la corruption et depuis peu, il a été institué l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat (ASCE). Face au lobbying économique et politique qui se confonde souvent, cette structure a-t-elle les moyens de réussir sa mission ?
T.Z : Sur le plan institutionnel, lorsqu’on veut avoir un environnement de bonne gouvernance, il faut mettre en place des structures, auxquelles on donne les moyens de réussir leurs missions. Par conséquent, nous avons dit à la haute autorité que lorsqu’elle opère un contrôle, elle est maître de la procédure jusqu’au bout. Elle a le droit d’envoyer directement ses rapports à la justice et de les publier. Elle est indépendante et on lui donne les moyens de travailler. Naturellement, l’autorité supérieure ne peut pas faire le travail à elle seule. Il faut, déjà au niveau des ministères, trouver le schéma manquant. C’est-à-dire, faire le contrôle dans les ministères. Car, c’est souvent l’absence de contrôle qui est la porte ouverte aux dérives. Aujourd’hui, nous avons des inspections techniques dans les ministères. Mais, leur fonctionnement est problématique. En 2010, on va sentir sur le terrain, le travail fait par l’Autorité de contrôle de l’Etat.

LNA : Doit-on s’entendre à des actions d’éclat puisqu’on a toujours l’impression que ce sont les petites gens qui seront inquiétés?
T.Z : L’Autorité supérieure a un numéro vert. Les questions de bonne gouvernance, de corruption, ne peuvent pas être résolues que par le gouvernement. Les structures mises en place sont un cadre auquel on peut se référer. Mais, c’est un travail de tous les citoyens. Si quelqu’un aperçoit un ministre faisant quelque chose que l’on ne doit pas faire, que l’on appelle l’Autorité afin qu’elle y jette un coup d’œil. Et, on verra si le ministre ne sera pas poursuivi ! En revanche, lorsqu’on constate les manquements du ministre et qu’on n’avise pas l’Autorité, ce ministre continuera à faire ce qu’il veut. Donc, nous comptons sur tout le monde pour la réussite des missions de l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat. Par-dessus tout, je souhaite que nous inscrivions la démarche dans la durée. Cette démarche permettra à chacun de savoir qu’un jour ou l’autre, ce que vous faite en cachette et qui n’est pas admis, sera découvert.

LNA : Excellence, on remarque que le Burkina Faso est un pays en chantier. Cependant, l’Etat tarde souvent à payer les entrepreneurs. Quelles mesures compter vous prendre pour que l’Etat devienne un «bon payeur» ?
T.Z : Avant que l’Etat soit un bon payeur, nous devons prendre des mesures pour que les entrepreneurs farfelus, les «apprentis-sorciers», qui ne savent pas faire le travail et qui se retrouvent avec des marchés, ne soient pas là où ils sont.En outre, il faut chercher à savoir ce que faire, pour que les fonctionnaires qui examinent les dossiers d’appels d’offres, au lieu de mettre l’accent sur celui qui peut exécuter correctement le marché, ne jette leur dévolu que sur celui qui peut lui donner de l’argent. Les marchés doivent revenir à ceux qui ont les capacités de les exécuter. A cet effet, une nouvelle réglementation des marchés publics a été adoptée. Nous sommes en train de mettre en place l’autorité de régulation. Un tiers des gendarmes des marchés publics provient de la société civile. Un autre tiers est du secteur privé et le dernier tiers provient de l’Etat. Je peux vous garantir qu’en 2009, tous les points de la nouvelle réglementation seront appliqués. Des gens vont se retrouver en prison et des entrepreneurs vont être radiés. Une fois que cela est fait, nous aurons sous la main des professionnels. Les professionnels savent que toute profession à des risques. Payer tard n’est pas un problème. Mais, payer tard des gens qui ne sont pas là pour faire le travail pose problème. Il est bien vrai que quelquefois, les paiements prennent du temps. Nous travaillons à trouver le juste niveau. Il faut que nous arrivions à maîtriser d’abord les acteurs pour éviter les complaisances à tous les niveaux. Il y va même de l’intérêt de l’Etat car, travailler avec de vrais professionnels permettra à l’Etat de mieux gérer sa trésorerie. Le dialogue est fait avec nos opérateurs. Je puis vous assurer, comparaison n’est pas raison, qu’aujourd’hui dans l’espace UEMOA, le Burkina Faso est le pays qui exécute le plus vite, non seulement les travaux mais aussi, paye vite ceux qui ont des arriérés.

LNA : Quelles mesures comptez-vous prendre pour lutter contre le grand banditisme en 2009 et par la même occasion, quels sont vos vœux ?
T.Z : L’insécurité est un domaine où, on pointe du doigt le gouvernement. La sécurité relève de nous tous. Il faut que l’on se convainque d’une chose : la sécurité est l’œuvre de tous. On ne peut mettre des agents de forces de l’ordre devant chaque concession, à tous les carrefours. Cela n’est pas possible. Il faut la participation de chaque citoyen et, cela est en train de faire ces effets. Et, mon souhait est qu’en 2010, les burkinabé comprennent que personne ne peut assurer leur sécurité à leur place. Chaque burkinabé doit comprendre que sa propre sécurité commence par celle des autres. Mon vœu, et cela n’est pas pour les burkinabé seulement, est que chacun puisse croire en ce qu’il fait. Si vous ne croyiez pas en ce que vous faites, vous avez signé votre défaite par avance. Malheureusement, nous avons tous ce défaut, qui nous fait croire que quelqu’un viendra régler nos problèmes à notre place. L’homme est le premier remède de ses problèmes. Tant chacun de nous ne vas pas intérioriser cela, tout ce qu’on lui donne comme élément pour lui permettre de réussir, ne lui permettra pas de réussir puisqu’il ne sera pas convaincu de réussir. Donc, je souhaite que nous ayons la santé, la foi en l’avenir et que nous nous disions toujours que demain sera meilleur à aujourd’hui.