Article publié le 2008-11-09 par Par Aimé-Francis AMOUGOU. Santé
Cameroun - La recherche scientifique refuse de s’enrhumer [11/2008]
...
Malgré de réels obstacles à une bonne et franche collaboration, chercheurs et décideurs restent convaincus que, pour une optimisation des résultats de la recherche scientifique, ils doivent résolument travailler main dans la main, pour le mieux-être des populations, sans exclusive. Voici quelques clichés de ce qui se fait au Cameroun au sein du couple chercheurs-décideurs qui bénéficie des « facilités » offertes par la recherche dite opérationnelle.

« On fait, on attend ». Ces propos du Dr Nnanga Nga E., lors d’une entrevue menée le 1er septembre dernier dans son laboratoire de l’Institut de recherche médicale et d’études des plantes médicinales (Impm), à Yaoundé, démontrent, à souhait, l’état de la collaboration entre chercheurs et ceux qui, au bout de la chaîne, doivent prendre des décisions. Objectif : faire bénéficier aux populations, sans exclusives, des fruits de la recherche scientifique. En langage plus exhaustif, notre interlocuteur décrit ainsi la situation du chercheur dans sa relation ave le décideur : « Nous faisons des recherches et mettons les résultats de nos travaux en laboratoire à la disposition des décideurs, et nous attendons… ».

Ainsi caricaturée, la position du chercheur au Cameroun semble bien faire figure de « parent pauvre » dans la chaîne de l’effort national visant l’amélioration des conditions de vie des populations. « A chaque coup, nous sommes freinés par l’attente, généralement longue, des autorisations nécessaires », poursuit le chercheur. Et comme pour étayer ses dires, il n’hésite pas s’appuyer sur deux exemples concrets. « Nous avons, ces dernières années, mis au point la pommade Casmyc, qui est un antifongique, sous la base d’extraits végétaux de Senna alata », argumente-t-il. Idem, poursuit-il, de la pommade antibactérienne à base d’extrait végétal de Tabernae montana crassa. « Après avoir transmis nos résultats, accompagnés d’un dossier administratif, financier et technique, nous demeurons en attente d’autorisation », tranche-t-il.

Et pourtant, malgré les regrets qui semblent nouer sa gorge, le Dr Nnanga Nga E. se souvient bien des cas concrets qui ont fait, à leur temps, la fierté de l’Impm, il y a quelques années. « Nous avons pourtant, au terme d’un processus de recherche et de décisions judicieuses prises, fabriqué et vendu du paracétamol, de l’amodiaquine, de l’artéginate, du mitromidazole… que nous avons mis, à très bas prix, à la disposition des consommateurs ». Le hic est plutôt venu de la société chargée de la distribution qui n’a pas toujours honoré ses factures envers l’unité de production qu’est l’Impm.

Entre le marteau et l’enclume

Face aux arguments développés par les chercheurs, la ligne de défense des décideurs politiques semble bien tenue. « Au fait, au regard des travaux académiques et de laboratoire, seuls les médecins devraient être qualifiés de chercheurs », soutient le Dr Pierre Ongolo-Zogo, chef de l’unité de radiologie à l’Hôpital central de Yaoundé. Le médecin s’appuie sur son expérience acquise au fil des ans, comme enseignant à la Faculté de médecine et de Sciences biomédicales de l’Université de Yaoundé I, et comme le directeur qu’il fut au ministère de la Santé publique (Minsanté) où il a principalement occupé les fonctions de chef de la Division de la Recherche opérationnelle.
De cette situation du Minsanté, le Dr Pierre Ongolo-Zogo a eu à « traiter » les relations entre chercheurs scientifiques et décideurs politiques. La recherche opérationnelle étant entendue comme « science de décision ou de management » qui se pose comme une discipline dont l’objet est d’aider les gestionnaires à prendre des décisions en utilisant les méthodes scientifiques adaptées. Dans ce contexte, il s’agit de la promotion pure et simple de l’utilisation des résultats de la recherche scientifique dans la prise de décision, processus engagé depuis quelques années déjà au Cameroun, à travers le projet « Evidence to Policy Network » (EvipNet), avec l’appui de l’organisation mondiale de la santé (Oms).

Une foultitude d’exemples plus que concrets

Mettant main dans la main chercheurs et décideurs, la recherche opérationnelle a déjà permis au Cameroun de prendre des décisions salutaires pour les hommes et femmes vivant dans ce pays. Et, à ce sujet, les exemples sont légion. On cite, avec une certaine ferté, le changement de la politique nationale du traitement du paludisme (malaria) du fait de la découverte de nombreuses résistances au traitement à base de chloroquine. Toujours en ce qui concerne cette maladie hautement mortelle, les autorités sanitaires nationales ont, sur la base des travaux de recherche du Pr. Rose Leke, décidé depuis 2002 que le paludisme devait être considéré comme maladie grave chez la femme enceinte et traité par la quinine injectable. Le Pr. Leke a, en effet, démontré que le parasite responsable du paludisme (le plasmodium) était présent dans le placenta de la femme enceinte, même si, dans le sang circulant, il n’y avait pas de parasite.

Les exemples n’épargnent pas le comportement envers une maladie comme le Sida. En effet, dans le dépistage, les résultats de la recherche ont montré qu’il y avait des réticences des populations à faire des tests dans les formations sanitaires. Il a donc été décidé l’expérimentation des unités mobiles qui ont su amené les tests du Vih/Sida vers les populations. Ce qui a produit des résultats encourageants. Et aujourd’hui, chaque province au Cameroun a son unité mobile et l’on a multiplié par 100 le nombre des populations qui se sont soumises aux tests et démystifié la maladie. A ce fait, il faut ajouter que c’est par l’apport des chercheurs que les coûts des trithérapies pour les malades du sida ont considérablement évolué vers la gratuité, faisant ainsi tomber la barrière financière qui bloquait jusque-là les efforts de traitement des hommes, des femmes et des enfants vivant avec le virus. Dans la prise en charge des fistules obstétricales, après une étude sociologique basée sur les complications des accouchements, il a été décidé de conduire ces interventions chirurgicales de façon gratuite. La raison en était que les populations victimes de cette maladie étaient des plus démunies, abandonnées, souvent victimes des mariages précoces, ou encore des accouchements retardés pour cause de manque de ressources financières et matérielles. E sont aussi les résultats de la recherche qui ont permis de choisir la gratuité de la moustiquaire imprégnée pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans. Et enfin, dans la lutte contre l’hypertension artérielle et le diabète, le Cameroun a tiré grand avantage des travaux de recherche du Pr. Mbanya au sein de son Ong dénommée « Health of Population in Transition » (HoPiT), entre 2003 et 2006.

Des exemples sont donc nombreux et ont permis au Cameroun d’adopter des plans de lutte plus performants. D’un côté, la recherche, malgré le manque de financement, est bien réelle. La question de la vulgarisation des résultats tient donc de ‘organisation fonctionnelle des structures de recherche comme l’Impm. L’Institut, il faut le dire, est placé sous la tutelle du ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation (Minresi). Chercheurs et décideurs souhaiteraient qu’il soit plutôt rattaché au Minsanté, ou alors au Minresi et au Minsanté tout à la fois. L’efficacité serait sûrement mieux garantie. Voilà qui explique le dédain des chercheurs par rapport aux manageurs et autres décideurs politiques. Malgré cela, la recherche refuse de s’enrhumer, même si elle reste dans les tubes à essai des laboratoires et attendent des bonnes décisions pour devenir populaires.