Article publié le 2008-11-09 par Par Emmanuel Martin et Youcef Maouchi. Avec la collaboration de www.UnMondeLibre.org
Afrique
Algérie, un virage risqué [11/2008]
Le 26 juillet dernier le Président
Abdelaziz Bouteflika expliquait devant
des élus locaux qu’il avait fait des choix
économiques, selon lui, erronés par le
passé. Alors que des réformes ont été
entreprises depuis une dizaine d’années
pour ouvrir le pays, voilà que le pouvoir
veut faire machine arrière et revenir à un
nationalisme économique. Il pointe du
doigt les investisseurs étrangers qui ne
créeraient pas d’emploi et de richesses
localement.
Il est certain que dans de nombreux pays
le message populiste de recentrage sur
la patrie fait généralement recette aux
élections – et ces dernières approchent
en Algérie. Il est aussi certain que l’on
peut comprendre la déception quand
les effets de certaines réformes se font
attendre. Enfin, il est vrai que le climat
actuel de crise financière pourrait faire
pencher en faveur de ce revirement.
Pour autant, les mesures de refermeture
prises par le pouvoir algérien
sont fondées sur une double erreur
d’analyse.
Des mesures
de nationalisme
économique
La loi de finances 2009 adoptée
en conseil des ministres le 31 août
comprend des mesures qui constituent
un virage important. C’est d’abord
l’instrument de la fiscalité qui est utilisé
à des fins de patriotisme économique.
D’une part, les bénéfices transférables
des sociétés algériennes dont les
maisons mères résident à l’étranger
seront imposés dès 2009 à 15%.
D’autre part, les non-résidents devront
s’acquitter d’un prélèvement – on parle
d’un taux de 20% - sur leurs plus-values
de cession. Il s’agit de circonscrire
le montant des bénéfices rapatriés
à l’étranger par des entreprises
étrangères - un montant jugé trop élevé
par le pouvoir (7 milliards de dollars en
2007).
Ensuite, les activités des étrangers
en Algérie seront soumises à plus de
contraintes. Il y a d’abord l’introduction
d’un droit de préemption en cas de
cession d’entreprises de droit algérien
entre investisseurs étrangers. Ensuite,
les nouvelles entreprises intégrant des
capitaux étrangers devront désormais
être détenues majoritairement par des
investisseurs Algériens. Au nom de la
lutte contre la spéculation immobilière,
il ne sera plus possible pour des
investisseurs étrangers d’acquérir
du foncier, seules des concessions
renouvelables seront accordées.
Enfin, le 8 septembre, bien que se
déclarant « favorable à l’ouverture
aux banques étrangères », le
Président Bouteflika a introduit une
mesure de dirigisme bancaire sélectif
en annonçant que les banques
étrangères devraient désormais «
réserver une partie de leur
portefeuille au financement réel
de l’investissement et non pas à
se limiter à l’accompagnement
du commerce extérieur ou à
la promotion des crédits à la
consommation ».
Une double erreur
d’analyse
Si le pouvoir cherche à adopter une
stratégie à la russe, il commet une
double erreur. Premièrement, une erreur
de diagnostic. En effet, il ne faut pas se
tromper de cause : ce ne sont pas les
réformes d’ouverture qui sont un échec.
Le problème est en réalité que ces
réformes n’ont pas encore été poussées
assez loin dans le sens du respect de
l’état de droit et de la promotion d’un
climat vraiment propice aux affaires.
Le classement du pays dans divers
indicateurs montre bien que l’Algérie
a encore un long chemin à parcourir :
92ème sur 180 dans le dernier rapport
de Transparency International sur la
corruption ; 132ème sur 180 (avant
ces nouvelles mesures) dans le dernier
rapport de facilitation des affaires de
la Banque Mondiale (Doing Business)
; 124ème sur 141 (pour 2006) pour
l’indicateur de liberté économique
du Fraser Institute. Il est alors assez
logique que l’investissement étranger
ne soit pour l’instant pas « créateur
d’emploi et de richesses pour
les Algériens ». En effet, pour
attirer les « bons » investissements
étrangers, des investissements bien plus
diversifiés qu’ils ne le sont aujourd’hui,
il faudrait assainir plus encore le cadre
institutionnel économique.
De ce point de vue, le remède préconisé
par le pouvoir est le contraire de ce qu’il
faut faire. Faire fuir les investisseurs
étrangers n’a jamais été une stratégie
durable pour le développement. En
effet, l’affaiblissement du droit de
propriété pour les étrangers en Algérie
est une désincitation très forte à une
implantation sûre et pérenne dans le
pays. Il aura pour effet pervers de rendre
les investissements étrangers encore
plus volatils et court-termistes que ce
que le pouvoir ne le déplore aujourd’hui.
Ensuite, empêcher les étrangers d’être
majoritaires dans les entreprises
suppose que l’investissement privé
algérien prendra le relais, ce qui
constitue une hypothèse très optimiste.
Par ailleurs, alourdir la fiscalité des
investisseurs étrangers aura des effets
désincitatifs. L’argument brandi par
certains économistes, selon lequel la
taxe sur les super-profits pétroliers en
2006 n’a pas eu d’incidence sur les
investisseurs, ne peut pas être appliqué
à d’autres types d’investissements.
En effet, le pétrole est un cas
particulier puisque le choix du lieu
d’investissement pétrolier est contraint
par l’emplacement géographique de
la ressource, ce qui n’est pas le cas
d’autres investissements.
Ce retour vers un nationalisme
économique empêchera la diversification
des investissements en Algérie. La
croissance de l’économie basée sur
les exportations d’hydrocarbures qui
génèrent des réserves importantes de
devises donne l’illusion de « pouvoir
choisir ses partenaires ».
Mais cette stratégie de re-fermeture
risque d’accroître la dépendance de
l’économie algérienne à son pétrole et
à son gaz, de l’enfermer durablement
dans la malédiction des ressources
naturelles (98% des exportations en
2007) et de compromettre ainsi son
développement durable.