Article publié le 2008-09-26 par Jean Piel Actualité
Obama-McCain, De quoi les Africains peuvent-ils s’attendre d’eux ? [09/2008]
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Barack Obama et John McCain affirment s’intéresser davantage que leurs prédécesseurs aux pays du Sud et à l’Afrique en particulier. Que le candidat démocrate ait un père kenyan suscite un certain espoir sur le continent. Mais en politique étrangère, les discours des deux prétendants à la Maison Blanche restent dominés par le Proche-Orient et la lutte contre le terrorisme.

Si les sondages en sa faveur se tassent aux Etats-Unis, la popularité de Barack Obama n’en est pas moins planétaire, et elle est encore plus forte en Afrique du fait de l’origine kenyane de son père. Les T-shirts à l’effigie du candidat démocrate se vendent d’Abidjan à Nairobi en passant par Johannesburg. «Sa candidature et son succès sont une révolution», estime le président sénégalais, Abdoulaye Wade. «Il m’a dit bonjour en luo, musawa, sans le moindre accent», savoure le premier ministre kenyan, Raila Odinga. Néanmoins, la blogosphère africaine n’est pas moins enthousiaste.
«Le rêve de Martin Luther-King se réalise enfin (…) Obama est une fierté pour l’Afrique (…) Avec Obama, c’est la certitude que l’Afrique sera inscrite au calendrier mondial. Non pas comme objet de charité mais en tant qu’entité dont les revendications pour un monde plus juste seront prises en compte», tels sont quelques uns des messages qu’on peut lire sur la Toile. D’autres blogueurs sont plus critiques : «Obama est Noir, pas Africain; la différence est de taille. Ne l’attendons pas comme le Messie ; il défendra les intérêts des Etats-Unis, pas ceux de l’Afrique». Et certains de rappeler qu’en Afrique, il serait peu probable qu’un opposant à la nationalité d’origine mixte puisse réussir une telle carrière. Reste que sa grand-mère, Sarah Hussein Onyango Obama, reçoit les journalistes du monde entier dans son village de Nyangoma-Kogelo. 

 

Obama : un intérêt plus grand pour l’Afrique

Barack Obama ne veut cependant pas se présenter comme un candidat communautariste et il reste prudent sur la question raciale, sujet sensible s’il en est aux Etats-Unis. Il a d’ailleurs écrit sur le malaise de certains Afro-Américains face à l’Afrique : «les Noirs américains ont toujours eu une relation ambiguë à l’Afrique. Aujourd’hui, nous portons des vêtements Kente, célébrons les Kwanza et collons des posters de Nelson Mandela sur nos murs. Mais quand nous voyageons en Afrique et découvrons que tout n’est pas beau et brillant, nous en revenons souvent profondément déçus».
Du fait de son âge, de ses origines métis, de son enfance en Indonésie, de ses idées, de son discours universaliste, Barack Obama semble plus sensible aux problèmes économiques et sociaux des pays du Sud. Vis-à-vis du continent africain, il a promis que, s’il était élu à la Maison-Blanche, Washington s’intéresserait davantage à cette partie du monde, en y ouvrant notamment de nouvelles ambassades. De même est-il favorable à ce que l’Afrique du Sud devienne membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu. Il entend stopper le génocide au Darfour, et rappelle son appui aux sénateurs Brownback et Reid qui ont élaboré le projet de loi sur le financement des forces de maintien de la paix de l’Union africaine. Il exige aussi un renforcement des sanctions contre le Soudan. Citant l’exemple congolais, il se dit favorable à une présence accrue des casques bleus sur le continent. «Les Etats-Unis doivent dépasser leur stratégie minimaliste pour l’Afrique», a-t-il déclaré lors d’un meeting à Chicago.
Au-delà du seul cas africain, Barack Obama porte plus d’attention que son adversaire républicain à la problématique de la faim et de la misère dans le monde. Il entend doubler l’aide des Etats-Unis au développement pour la porter à 50 milliards de dollars : «je sais que la politique d’assistance n’est pas populaire, mais si je suis élu, je défendrai l’aide au développement, notamment vers l’Afrique, comme notre meilleur investissement pour promouvoir la sécurité globale de l’humanité». Dans son souci du développement durable, le sénateur démocrate de l’Illinois défend des arguments moraux, mais aussi stratégiques. La sécurité des Etats-Unis passe par un monde plus juste, empêchant les fondamentalistes de s’appuyer sur le désespoir des plus pauvres. C’est pourquoi, attaché à une diplomatie des alliances, Barack Obama voudrait investir du Maroc à l’Afghanistan dans des réseaux de coopération afin d’améliorer les hôpitaux, les écoles, la vie associative, la presse, les droits des femmes, l’industrie et le commerce..., à l’instar de ce qui a été fait dans les anciens pays communistes à la chute du mur de Berlin.
McCain : attentif aux risques d’extrémisme

John McCain n’est pas absent du débat sur le sort des pays du Sud. Le candidat républicain a annoncé sa volonté d’accorder  une place significative à la coopération et au développement. Il n’a cependant ni précisé ni chiffré ses projets. Mais à l’en croire,  il faut lutter contre la pauvreté, le sida et toutes ces terribles conditions qui favorisent le mécontentement et poussent les plus désespérés vers l’islamisme. Concernant l’Afrique, John McCain se félicite de la présence d’une base militaire américaine à Djibouti. Selon lui, le continent pourrait facilement devenir le terrain d’entraînement privilégié d’Al-Qaeda. Mais il va au-delà: «L’Afrique est en train de changer. Des foyers de tensions s’éteignent, d’autres se rallument. La famine existe, mais des pays connaissent un développement encourageant. La Chine est aussi de plus en plus présente. Les Etats-Unis doivent donc repenser l’ensemble de leur politique en direction de l’Afrique», a-t-il déclaré au cours de sa campagne.
Il cite le Zimbabwe comme l’un des pays où serait intervenue la Ligue des démocraties qu’il préconise, cette organisation regroupant les pays démocratiques et intervenant en cas d’empêchement des Nations unies. S’il veut se démarquer de George Bush dont la politique étrangère est considérée comme un désastre, John McCain rappelle néanmoins que, sous ses deux mandats, les Etats-Unis ont renforcé leur aide à l’Afrique, notamment pour la lutte contre le sida et contre le paludisme, mais aussi au niveau économique avec le programme AGOA (African Growth and Opportunity Act, une loi d’aide aux réformes économiques sur le continent) qui a permis d’augmenter de 115 % les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Afrique depuis 2006.

 

Le développement de l’Afrique: un objectif lointain pour les deux candidats

Qu’il s’agisse de John McCain, le Républicain martial, ancien militaire et adepte de la manière forte, ou de Barack Obama, le démocrate moins féru d’idéologie et plus ouvert sur le monde, dans l’un ou l’autre cas, il ne faut pas se bercer d’illusions : l’Afrique et le développement ne font pas partie de leurs priorités. Dans leurs discours de politique étrangère, tous deux parlent surtout de l’Irak, de l’Iran, du conflit israélo-palestinien et de la lutte contre le terrorisme. Ce qui ne signifie pas que la politique envers l’Afrique n’évoluera pas après l’élection présidentielle du 4 novembre. Mais comme le souligne dans Le Monde le professeur de Sciences politiques, Bertrand Badie :
«Vu le contexte économique difficile que connaissent les Etats-Unis et la nécessité de maintenir les budgets militaires à un niveau élevé, il n’est pas sûr qu’on trouvera les moyens nécessaires aux ambitieux projets de développement. L’Afrique risque de demeurer, encore pour un moment, le champ de manœuvre politique et militaire des puissances, davantage que le laboratoire expérimental d’une nouvelle politique de développement». Quant à l’élargissement du Conseil de sécurité de l’Onu, on peut promettre ce qu’on veut : la réforme sera extrêmement difficile à mettre en œuvre.
Même si Barack Obama se défie de tout communautarisme, l’élection d’un Noir à la tête de la première puissance mondiale aurait partout des conséquences importantes. C’est du moins ce que pense Justin Vaisse, chercheur à la Brookings Institution : «Il ne faut pas sousestimer la force du message que cela adresserait au monde, et aussi au Tiers Monde. Un message pour l’Amérique elle-même, un symbole de progrès contre ses vieux démons de l’esclavage et de la ségrégation. Un symbole que le rêve américain est encore vivant et que l’oligarchie n’a pas toujours le dernier mot. Un message ensuite sur le rapport de l’Amérique au monde : élire un homme né au milieu du Pacifique, d’un père kenyan et qui a passé plusieurs années de sa jeunesse dans le pays à majorité musulmane le plus peuplé de la planète, envoie un signal que quelque chose a changé ; que l’Amérique ressemble davantage au reste du monde et qu’elle est donc mieux à même de le comprendre ».