Article publié le 2008-08-09 par Eugène Bakama Bope Actualité
Jean Pierre Bemba : «Premier gros poisson» pour la CPI ? [07-08/2008]
...

Le 9 mars 2007 à Kinshasa, le président de la banque mondialePaul Wolfowitz et le Commissaire Européen Louis Michel reçus par JP Bemba

< >

La Cour pénale internationale (CPI) peut-elle poursuivre les plus hauts responsables des crimes les plus graves du droit international et ce , qu’elle soit leur qualité officielle ? Selon l’article 27 du Statut de Rome de la CPI, la cour est habilitée à le faire. Mais qu’en est-il dans la pratique ?

Si l’on prend le cas de la République Démocratique du Congo (RDC) et de l’Ouganda, les groupes rebelles figurent parmi les premiers mis en accusation par la CPI pour les crimes de guerre et contre l’humanité. D’un côté, Thomas Lubanga, Germain Katanga , Matthieu Ngudjolo, Bosco Ntanganda et maintenant Jean Pierre Bemba (président du MLC et sénateur congolais) . De l’autre côté, Joseph Kony et trois des hauts commandants sont toujours sous le coup de mandats d’arrêt internationaux.Il y a lieu de se demander si la CPI peut vraiment mettre fin à l’impunité des plus hauts responsables des crimes graves ?En Belgique, Jean Pierre Bemba, ancien chef militaire et président du « mouvement pour la libération du Congo » MLC, converti en homme politique, ancien vice président de la RDC et puis sénateur contre qui la CPI avait lancé un mandat d’arrêt international le 16 mai mais tenu secret pour empêcher une fuite éventuelle, a été arrêté par les autorités belges le 24 mai 2008 à son domicile dans la banlieue de Bruxelles.Il serait, selon la cour, pénalement responsable de quatre chefs de crimes de guerre et de deux crimes contre l’humanité commis sur le territoire de la République Centrafricaine pendant la période allant du 25 octobre 2002 au 15 mars 2003.

Qui dirigeait réellement les troupes du MLC ?

Son arrestation mérite d’être salué parce que les troupes du MLC dont il était le président et commandant en chef sont accusées d’avoir commis plusieurs crimes (viol, torture, meurtre, pillage systématique, ) en République Centrafricaine et même en République Démocratique du Congo( Mambasa, Ituri)Le nombre élevé de viols commis par les troupes du MLC avec une brutalité sans nom est une caractéristique particulière de cette affaire. « Bemba avait déjà commis de tels crimes en RDC, il fallait l’arrêter » a déclaré le procureur Luis Moreno-Ocampo.La question n’est pas de savoir si Bemba avait donné l’ordre pour les crimes mais la question est s’il savait ce que ses troupes faisaient et s’il avait la possibilité d’arrêter la perpétration de ces crimes cruels et atroces ? Qu’a t-il fait ? N’était-il pas irresponsable pénalement comme d’aucuns pensent par le fait que ses combattants étaient sous la responsabilité du président Ange Pattassé et de ses Généraux ?Ces questions très délicates nous amène à réfléchir sur les problèmes de la participation criminelle et ses implications. En effet, on devient responsable, co-auteur ou complice dans la réalisation d’un crime par le seul fait d’être retenue dans le schéma de la participation criminelle mais à des degrés différents.

Qui sont alors les vrais coupables ?

Jusqu’à présent aucun élément ne permet de prouver la participation directe de Jean Pierre Bemba à la commission des crimes graves. Néanmoins, il serait pénalement responsable sur base de l’article 28 du statut de la CPI des crimes commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectif.

Par ailleurs, le représentant du MLC –Belgique a reconnu dans une interview à la télévision belge que « Bemba peut être considéré comme responsable moralement mais pas coupable parce que dit-il les coupables sont là et ils sont connus faisant allusion à Patassé, toujours en exil au Togo et ses généraux. Tout en reconnaissant les exactions commises par certains combattants du MLC, il fait état que ces derniers ont été sanctionnés à l’époque par le mouvement MLC.

Le statut de Rome est clair , la responsabilité du supérieur hiérarchique est engagée à partir du moment qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les troupes sous son commandement ont commis des actes qui rentrent dans la définition des crimes de la compétence de la Cour et que le supérieur était investi d’une autorité de droit ou de fait pour prendre les décisions sur le plan politique que militaire. C’est qui est le cas de Jean pierre Bemba.

Se prononçant sur la légalité du mandat d’arrêt international délivré par la Cour pénale internationale et sur la demande de remise en liberté de Bemba, la chambre du conseil de Bruxelles a décidé de le garder en détention et estime que les règles de droit qui permettent à la CPI de demander l’arrestation d’un suspect ont été respectées.

Pourtant, les avocats de Bemba fustige la détention de leur client estimant qu’ « elle n’est pas justifiée, car celui-ci n’a pas l’intention de se soustraire à la justice » et que la Belgique n’a pas respecté le droit pour Bemba d’être assisté par son conseil lors de l’interrogatoire.

Il est certes vrai que l’interrogatoire d’un suspect ne peut avoir lieu qu’en présence de son conseil à moins que le suspect n’ait renoncé volontairement à son droit à l’assistance d’un avocat y compris celui de se voir attribuer d’office un défenseur.

L’on peut se demander si Bemba avait renoncé lui même à son droit d’être assisté par un avocat ? Qu’à cela ne tienne, il avait le droit de garder silence ou d’exiger préalablement la présence de son conseil. Cependant ces avocats qui ont fait appel de cette décision ont le droit d’intenter une action en justice contre la Belgique pour non respect du droit à la défense mais en ce qui concerne la remise en liberté, il appartient à la Cour pénale internationale de décider sur la demande de mise en liberté provisoire.

La chambre du conseil belge s’est limitée à examiner la légalité du mandat d’arrêt international délivré par la CPI. On se trouve devant deux juridictions différentes : le juge belge donne effet au mandat d’arrêt international alors que le juge international traitera le fond de l’affaire. Bemba est un suspect jusqu’à la confirmation de l’acte d’accusation par la chambre préliminaire, moment à partir du quel il est accusé et peut solliciter une remise en liberté provisoire. Il jouit donc, de la présomption d’innocence même si la médiatisation de l’affaire peut conduire à une certaine présomption de culpabilité.

Rappelons que l’arrestation imprévisible de Bemba a eu l’effet d’un séisme au sein de la classe politique congolaise. Elle comporte des conséquences politiques au Congo et en RCA.

Nul n’ignore en république démocratique du Congo que Bemba était le principal adversaire du président Joseph Kabila lors des élections de 2006. Cette arrestation vient de le précipiter dans son statut précaire d’une part sur le plan national par l’action en justice initiée par le parquet général de la République et d’autre part, la menace de retrait de sa qualité de sénateur suite à ses nombreuses absences.

Pour certains observateurs internationaux, l’on se trouve dans une situation où l’opposition politique face à Joseph Kabila est affaiblie. Et la CPI va être perçue à Kinshasa comme ayant encore « renforcé » le pouvoir de Kabila et avoir fait un « gros cadeau » à ce dernier.

Il est vrai que le déficit d’information sur le travail de la CPI et la portée de ses actions amène les communs des congolais à porter des mauvais jugements sur cette juridiction internationale.

La preuve, on entend à tort ou à raison des propos et des arguments portant sur l’immunité de Bemba, la politisation de l’affaire, la trahison de la Belgique, la politique de « deux poids, deux mesures » ; jusqu’à dire que les Belges auraient sacrifié Bemba en le livrant à la CPI pour normaliser les relations diplomatiques tendues avec Kinshasa.

Pour dire vrai, la CPI a agi en toute indépendance, loin de toute influence extérieure de quelque nature que ce soit. L’immunité parlementaire de Bemba ne joue pas pour les crimes pour lesquels il est poursuivi. En outre, bien que la justice internationale peut paraître discriminatoire ou parfois inégalitaire, cette critique s’applique aussi pour la justice nationale qui est aussi discriminatoire dans les poursuites.

Dans tous les cas, la CPI ne pourra pas poursuivre tout le monde. Mais l’on peut comprendre la révolte des Congolais qui pensent que la Cour aurait dû lancer au même moment un mandat international en l’encontre de l’ancien président Patassé en exil au Togo. Mais cela relève du pouvoir discrétionnaire du procureur.

Bemba a juste eu la malchance de perdre les élections et de fuir le pays. En effet, la levée des immunités devient plus compliquée si la personne accusée des crimes graves est un chef d’Etat ou de gouvernement , car il n’y a pas une autorité qui pourrait renoncer aux immunités et cela risque de mettre en danger le bon fonctionnement d’un Etat. De même, l’asile politique n’est plus une garantie pour les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves. Le retour de Bemba au Congo aurait peut être compliqué son arrestation et sa remise à la Cour. Il y aurait eu risque qu’il se retire dans les forêts du Congo comme Ntanganda ou Nkunda.

En République Centrafricaine, certaines personnes impliquées dans les crimes qu’auraient commis les troupes du MLC pourront être disqualifi é au prochain dialogue politique. Il s’agit notamment d’Ange Félix Patassé et de son camp.

En ce qui concerne l’impact de l’action de la justice internationale sur le processus de paix à l’Est du Congo, il faut dire que l’arrestation de Bemba, conforte selon certaines personnes les autres seigneurs de guerre (comme Nkunda, etc.) à continuer la guerre de peur d’être poursuivi après les négociations de paix ou le désarmement. Nous ne partageons pas ce point de vue parce que nous pensons que Nkunda comme les autres seigneurs de guerre répondront tôt ou tard de leurs crimes devant la justice nationale ou internationale. Comme qui dirait « nos actes nous suivent toujours ». Cette arrestation contribue à la promotion d’une justice préventive.

Nous ne pouvons nous empêcher quelque soit les failles rencontrées ici et là par la CPI notamment par son absence de célérité de saluer le combat contre l’impunité. Désormais, plus jamais un acte ne restera impuni.

S’agissant des victimes, il sied de signaler que la CPI se soucie manifestement de donner en droit une place aux victimes des infractions qui sont de sa compétence. Ce souci apparaît dans la protection qui leur est accordée, dans la participation à la procédure et dans les possibilités d’obtenir réparation. L’arrestation de Bemba a été largement saluée par les communautés de victimes, les praticiens du droit et les ONG. Ces dernières ont regretté que les victimes congolaises de Mambasa en Ituri ne soient pas concernées par cette arrestation. Il n’est pas impossible que le procureur étende l’acte d’accusation aux actes commis par les troupes de Bemba à Mambasa (en Ituri, RDC) en Novembre 2002.

A qui le tour ?

C’est la question qui se pose. En effet, tous les regards se tournent vers Lomé (Togo) et Tripoli où se trouvent actuellement l’ancien président Ange Pattasé et Abdoulaye Miskine. Alors qu’en RDC où certains hauts cadres du MLC se retrouvent éparpillés dans les institutions actuelles sans oublier Nkunda, Ruberwa, Onosumba, Mbusa Nyamuisi, Kamitatu, qui sont pointés du doigt.

Le procureur l’a déjà dit. Il s’agit du premier mandat d’arrêt en Centrafrique et ce ne sera pas le seul. D’autres présumés responsables sont dans la ligne de mire de la CPI mais la Cour se garde d’en dire davantage.

Pourtant, que ce soit du côté des victimes ou du côté des défenseurs des droits de l’homme, on affi rme que le prochain sur la liste devrait être l’ancien président Ange Félix Pattassé. « Cela n’aurait pas de sens d’impliquer l’un sans l’autre », affirme une source proche du dossier. C’est Ange Félix Pattasé qui a fait venir les combattants du MLC, et cela le rend co-auteur ou complice des crimes dont est accusé Jean Pierre Bemba.

En effet, Patassé était, selon l’article 21 de la constitution de la RCA, le chef supérieur des Armées. Comme tel, il était le supérieur hiérarchique des forces armées sous son contrôle.
Rien n’a été fait par le président Patassé pour empêcher les crimes de Guerre d’être commis.

Quoi qu’il en soit, le procureur de la CPI ne poursuivra pas tout le monde mais seulement les principaux responsables des exactions.

Bemba : « gros poisson »

A quoi servirait la Cour pénale internationale si elle ne pouvait pas être en mesure de frapper fort et plus haut ? La question commençait à tourmenter les esprits tant que les résultats étaient minces au regard des espoirs suscités lors de sa création.

Dans notre réflexion portant sur « CPI : justice des gros ou petits poissons ?» de Novembre 2007, nous avions indiqué que la tournure que prendra l’enquête sur la situation en République Centrafricaine permettra de savoir dans quelle direction la Cour se dirigera.

Aujourd’hui, la Cour à travers la coopération des Etats parties à son statut, nous a démontrée qu’elle pouvait frapper fort et plus haut et par conséquent, couper le cordon ombilical pour s’affranchir des ambiguïtés de sa création.

L’ex vice président Bemba est sans doute le premier « gros poisson » arrêté dans le cadre de la situation en République Centrafricaine. Il est fort probable que son arrestation ouvre la voie à une série d’autres, vue les implications.

Cependant, d’aucuns pensent que le coup d’éclat aurait été intéressant si Bemba était arrêté pendant qu’il était animateur des institutions ou vice président. Aujourd’hui, il est fragilisé à la fois sur ces immunités et sur sa qualité de sénateur. Il était devenu l’ombre de lui même.

Nous pensons pour notre part que la position de « gros poisson » ne se définit pas au moment de l’arrestation mais plutôt au moment de la commission des crimes. Ce n’est pas sa position actuelle qui change sa responsabilité dans la commission des crimes. Avec l’arrestation de Bemba, les juges de la Haye tiennent enfin un accusé de poids.

Le défi majeur pour la CPI est de continuer à poursuivre les principaux responsables des exactions qui se trouvent au pouvoir. Ainsi, la pratique infirmera ou confirmera les différents regards qu’il est possible de porter sur cette Cour pénale internationale.