Article publié le 2008-05-21 par Edwige Sossah-Laenen Culture
Réflexion La deuxième naissance africaine [05-06/2008]

Edwige Sossah-Laenen

 

 

Le monde traverse une profonde crise de mutation et d'adaptation à la modernité, qui se traduit dans les relations internationales comme au sein des sociétés. D'un côté, le désordre du monde, caractérisé par la crise de gouvernance, le défaut de leadership et surtout par les effets de la mondialisation. De l'autre, la crise des sociétés, dont les raisons sont politiques (perte de confiance et échec), démographiques (urbanisation et immigration), culturelles (nivellement par le bas) et économiques (inadéquation de la formation, délocalisations, inégalités croissantes du capitalisme, etc).

Ces crises se traduisent au pire par des guerres civiles pour des raisons politiques (ex-Yougoslavie, Afghanistan, Côte d'Ivoire, Soudan, RDC,…), ethniques ou religieuses, au mieux par des divorces amiables (Tchéquie, Slovaquie) et le plus souvent par des situations d'instabilité et d'incertitude. Cette situation apparaît très dangereuse si elle devait se perpétuer ou se dégrader. C'est pourquoi il est indispensable de l'analyser, de la comprendre et de la maîtriser.

Tel est l'objet même de la stratégie. Par son étymologie (stratos agein = agir ensemble), elle indique la démarche par laquelle on doit concevoir, préparer et conduire l'action collective. Jusqu'au milieu du 20ème siècle, la grande préoccupation de l'Occident était de faire et de « penser la guerre », qui était sa pratique habituelle de maîtriser la violence inhérente aux hommes et aux peuples. La stratégie a ainsi longtemps été l'art de la guerre, avec ses principes, ses règles et ses acteurs militaires.

La nouvelle stratégie

La situation actuelle est tout autre et oblige à repenser cette logique stratégique. Nous ne sommes plus dans la guerre mais dans une crise dont les caractéristiquessont différentes, voire opposées. En effet, la crise est dangereuse et peutêtre l'antichambre de la guerre. Mais la crise est aussi une façon normale de se construire, une successiond'opportunités. Le Chinois le traduit bien par le mot « wei-ji », qui a le double sens de danger et d'opportunité. C'est dans cette optique que l'Afrique, qui était autrefois perçue comme un continent dangereux, est aujourd'hui et plus que jamais synonyme d'opportunités. Les différentes crises qu'elle a connues et connaît encore l'oblige à s'orienter dans la bonne direction. La stratégie de crise que l'Afrique va devoir construire doit répondre aux questions posées : faciliter cette transition, l'orienter dans la bonne direction et, pour ce faire, en connaître les motifs et les ressorts.

L'Afrique doit réhabiliter les stratèges

Quand il y a crise, cela signifie qu'il faut reconstruire. Mais cette reconstruction ne doit en aucun cas être anarchique. Elle passe par plusieurs phases, dont la première est inévitablement l'analyse de la situation donnée. Puis le projet. Que voulons-nous ? Ce projet suppose une méthode de réflexion et la mise en oeuvre de techniques. De là suit toute une organisation qui va tendre en la matérialisation de ce projet. Par la suite, inévitablement, intervient le passage à l'action.

Si la crise est une « bonne chose » pour toutes les raisons évoquées, elle ne doit en aucun cas durer dans le temps. Je reprendsla même analogie que l'organisme qui est malade. Si un traitement ne lui est pas viteadministré, il y a mort. De même, si la crise s'installe dans la durée, alors elle n'est plus bénéfique car ne stimule plus l'intelligence mais devient de facto l'antichambre du chaos. Il est donc urgent de réhabiliter les stratèges. Car la stratégie en politique est l'art de diriger les sociétés. Elle ne doit pas, par conséquent, être suspecte mais en revanche se doit d'être omniprésente.

C'est ainsi que l'Afrique, qui subit des crises tant politiques qu'économiques, doit comprendre que les différentes crises qu'elle a connues constituent un passage obligé et que son heure a maintenant sonné. Elle a des défis formidables à relever, notamment quant à la crise sur le réchauffement climatique, qui est l'occasion inespérée de redonner du sens au progrès. L'heure est à la mobilisation, à la sensibilisation, à la vulgarisation et à l'éducation. L'Afrique ne portera pas ce lourd fardeau supplémentaire qui est celui de l'irresponsabilité.

Nous avons un devoir de retour : celui de redonner à la terre, notre mère nourricière de nouveaux matériaux capables de la redynamiser. Cette mutation écologique va permettre à l'Afrique de matérialiser son humanité. L'Afrique ne veut plus subir mais veut concevoir. La culture africaine doit être maintenue, car elle est une richesse et un socle fédérateur. Ce qu'il nous faudra changer rapidement, ce sont nos mentalités, ces vêtements taillés sur mesure mais dans lesquels nous ne ressemblons à rien.