Les Français ont à nouveau rendez-vous avec les urnes pour les municipales des 9 et 16 mars prochains. Seybah Dagoma est tête de liste socialiste pour le premier arrondissement de Paris. Cette jeune avocate d'origine tchadienne se déclare prête à détrôner Jean-François Legaret, le maire de droite sortant, en poste depuis 2000 dans cette circonscription au cœur de la capitale française. Elle expose à Afrik.com son parcours politique et les grandes lignes de son programme.
Afrik.com : Quel a été votre premier contact avec le parti socialiste ?
Seybah Dagoma : Tout s'est fait de manière très simple. Je donnais des cours de soutien scolaire dans l'association France Espoir. Lors de l'une de ses manifestations, j'ai eu l'occasion de rencontrer la municipalité - qui était une municipalité socialiste - notamment Dominique Strauss-Kahn et François Pupponi. De là, nous nous sommes rapprochés. J'ai eu beaucoup de chance parce que j'ai alors vu ce qu'était la gestion d'une municipalité par la gauche.
Qu'est-ce qui vous a séduite ?
- La politique qui était mise en œuvre en faveur de l'égalité réelle, et ce dès la maternelle. Vous avez également les emplois-jeunes, une mesure assez emblématique qui a permis à certaines personnes de mettre un premier pied à l'étrier, d'avoir une première expérience professionnelle et d'être intégrés dans la société.
Les militants socialistes vous ont élue tête de liste avec 58,2% des voix. Aurélien Chevallier, qui briguait cette place, affirme que Bertrand Delanoë a fait pression pour que vous gagniez…
- Je m'inscris en faux. Je suis très attachée à la chronologie. Ma candidature en tant que tête de liste du premier arrondissement a été une démarche personnelle, volontaire, parce que je trouve que beaucoup de choses ne sont pas satisfaisantes. Alain le Garrec a décidé de me soutenir, ainsi que Bertrand Delanoë, que je ne connaissais pas, et les militants. Nous étions plusieurs candidats et les militants ont décidé, au regard de ce que je proposais, que c'était moi la plus à même. Bertrand Delanoë m'a aidée mais ce n'est pas pour cette raison que les militants m'ont choisie. Typiquement, pour la liste du 20e arrondissement, Bertrand Delanoë a dit ce qu'il souhaitait mais les militants en ont décidé autrement.
Françoise Fabre, qui elle aussi se présentait pour la tête de liste, aurait déclaré que vous êtes une parachutée. Que répondez-vous ?
- Déjà, j'habite cet arrondissement, donc je le connais. Et puis le parachutage, c'est quoi ? C'est imposer de manière autoritaire une personne pour assumer telle ou telle fonction. Or, je vous le dis, je réitère mon propos, ce sont les militants qui m'ont désignée. Ce sont eux qui ont décidé, ils n'étaient pas obligés de me choisir. Qu'il y ait des personnes mécontentes, c'est normal. C'est la véritable démocratie, il n'y a pas d'unanimité. En tout état de cause, c'est la majorité qui m'a désignée. Mais sachez que Françoise Fabre soutient aujourd'hui ma campagne et que tout ce qu'elle souhaite, en tant que militante socialiste depuis très longtemps, c'est que la municipalité passe à gauche.
Vous êtes la seule tête de liste d'origine africaine dans les listes du Parti socialiste à Paris. Avez-vous le sentiment que cela tombe bien pour le parti, accusé de manquer de diversité dans ses rangs ?
- Si je me présente, c'est en tant que citoyenne. Je me présente en tant que citoyenne française, habitante du premier arrondissement de Paris. Pas en tant que femme, ou en tant que noire ou en tant que jeune. Mon projet est de répondre aux problématiques. J'ai conscience des insatisfactions des habitants de l'arrondissement et, au quotidien, en les rencontrant, je m'aperçois qu'il y a un certain nombre de choses qui ne vont pas.
Afrik.com : Pensez-vous avoir sérieusement vos chances face au maire sortant, en poste depuis 2000 ?
- Evidemment, sinon je ne serais pas candidate ! J'ai envie de dire que je vais faire un projet avec des propositions généreuses et je crois qu'il est temps que les choses changent, et je pense incarner ce changement.
Quelles sont vos idées de programmes ?
- Nous avons organisé un séminaire et j'ai identifié cinq groupes de travail : un consacré à l'aspect économique, un autre à la solidarité, un à la vie citoyenne, un au cadre de vie et à la culture et enfin un au logement. Nous avons abouti à des propositions que l'on va discuter avec les habitants lors de rencontres thématiques. Pour l'instant, j'ai trois priorités. Le logement, parce qu'il faut continuer ce qui a été commencé par Bertrand Delanoë pour assurer une certaine forme de mixité. Dans le premier arrondissement, nous avons 513 logements sociaux, dont 147 ont été construits lors de la mandature de Bertrand Delanoë - ce qui représente six fois plus que ce qui avait été fait par la municipalité passée. Il faut également travailler sur la question de la circulation parce qu'il y a beaucoup de passages dans le premier arrondissement. Le plan de déplacement de Paris a été voté et je pense que le premier arrondissement devrait y jouer un rôle moteur. Il y a aussi bien évidemment les questions liées à la solidarité pour les personnes âgées, pour les personnes qui sont en grande difficulté. Il faut s'appuyer sur ce qui est déjà fait par le tissu associatif, qui est très actif sur cette question. Bien entendu, tout cela doit se faire par la démocratie et, là aussi, je compte changer les choses. Il faut rendre la parole aux habitants. Les conseils de quartier sont des simulacres : il n'y a pas véritablement de démocratie, c'est une tribune pour le maire. Je souhaite que véritablement ce soient les habitants qui y jouent le rôle majeur.
Avez-vous le sentiment que « l'engouement » pour Rama Yade, secrétaire d'Etat aux droits de l'homme d'origine sénégalaise, pourrait jouer en votre faveur pour les municipales ?
- Je ne veux pas rentrer dans ce genre de débat mais, pour moi, la politique n'est pas une affaire de physique ni de couleur. C'est une question d'idées. Donc il ne faut pas se tromper. Je vais faire des propositions qui correspondent à ce que je conçois, mes convictions, et les gens me jugeront par rapport à ça.
Pourquoi cela vous agace-t-il que l'on vous compare à Rama Yade, que l'on présente aussi comme une belle femme, intelligente…
- Je vais réitérer mon propos mais les comparaisons sur la couleur de peau ou sur le genre ne sont pas pertinentes. La comparaison qui est importante c'est qu'elle est solidaire de l'action et membre d'un gouvernement de droite, alors que moi je suis une personne de gauche. Nous ne partageons pas les mêmes valeurs.
Pensez-vous que Rama Yade et Rachida Dati, ministre de la Justice, manquent de légitimité dans leur ascension politique ? Il me semble que vous aviez déclaré que c'était grâce « au bon vouloir du prince », qu'elles sont au gouvernement…
- Pas du tout. Je ne rentre pas dans un conflit d'opposition avec les gens par rapport à leur origine. Pour moi, la question est politique. Je suis socialiste, je suis de gauche, donc je salue toute forme de progrès. Le fait qu'elles aient été désignées en tant que ministre est quelque chose que j'ai considéré comme positif. Pour autant, je considère que ce sont des individus que l'on a mis en avant. Et lorsque je considère la politique du gouvernement actuel, je constate que rien n'a été fait pour d'avantage d'égalité au niveau de la promotion sociale. Cela fait plusieurs mois qu'il est en place et que rien n'a changé pour les gens qui sont issus de l'immigration ou qui font l'objet d'une discrimination quelle qu'elle soit, c'est-à-dire au niveau de l'âge, du niveau de leur vie, de leur origine ethnique. Par ailleurs, j'observe par ailleurs qu'on met en place des tests ADN, ce que je trouve totalement scandaleux.
Qui est Seybah Dagoma
Avocate d'affaires spécialisée dans les entreprises en difficulté, Seybah Dagoma devient, à 15 ans, bénévole de l'association France Espoir à Sarcelles, dédiée à l'intégration des jeunes en difficulté et axée sur le soutien scolaire, les activités éducatives et culturelles. Très vite, elle se rapproche du PS local où elle milite pendant de nombreuses années avant d'être membre du PS parisien en 2005.
Membre du club Kléber et de la commission de la rénovation du PS, elle est également membre du club de réflexion social-démocrate « A Gauche, En Europe » où elle anime un groupe de travail consacré à l'aide au développement.
Titulaire d'un certificat d'aptitude à la profession d'avocat, elle est embauchée en tant qu'avocate d'affaires par le cabinet international Cleary Gottlieb Steen Hamilton LLP avec spécialité dans les entreprises en difficulté. Après un passage au Ministère de l'économie et des finances, au Comité interministériel pour la restructuration industrielle (C.I.R.I.), elle prépare une thèse sur "La restructuration de la dette des entreprises".