L'affaire Jincheng contre Mégamonde fait grand bruit dans les milieux économiques Ouagadougou. Assigné à comparaître pour «contrefaçon et concurrence déloyale», Mégamonde est «emballé» dans un feuilleton judiciaire depuis le 21 novembre 2007. Renvoyé pour «une mise en état», le dossier a été sur la table du Tribunal de grande instance de la cité des deux roues. Ambiance.
Rien ne va plus entre deux ex-partenaires de la motocyclette : Mégamonde et Jincheng. Le premier est une société de droit burkinabé, le second l'une des 500 plus grosses usines de fabrication de motos en Chine, avec des tentacules dans plus de 60 pays et régions à travers le monde. La cause de la brouille : «l'assignation à comparaître pour contrefaçon et concurrence déloyale» intenté par Jincheng contre Mégamonde. Genèse.
Le contrat entre Mégamonde et Jincheng a été signé le 22 octobre 2001 pour la fourniture de motocyclettes en CKD, c'est-à-dire en pièces détachées. S'exprimant sur la question, le PDG de Mégamonde, Nasser Basma, affirme dans le journal burkinabe «Le Pays» n°4004 du 24 novembre 2007: «Nous avons entrepris des relations commerciales d'affaires avec un partenaire chinois du nom de Jincheng. Une relation que nous avons nouée depuis 2000, mais depuis 2004, nous avons dû rompre ce partenariat pour des raisons d'incompréhensions».
Dans ledit contrat, les prix des motos variaient entre 400 et 430 dollars US (NDLR : à l'époque, le dollar tournait autour de 750 F CFA, donc environ 322.500 F CFA). Ces motos sont, selon le contrat, de cylindrées comprises entre 95 et 110 CC. Le contrat est renouvelé le 07 janvier 2003 avec à la clé une baisse des prix des engins, flanchant entre 320 dollars et 340 dollars (255.000 F CFA) pour les mêmes modèles. Mieux, des contrats de fourniture délivrés par Jincheng Group à Mégamonde entre mai et août 2004 révèlent des prix de 305 dollars (228.750 f CFA à l'époque).
Mais en décembre 2004, le ciel s'assombrit entre les partenaires, qui va déboucher sur la rupture du contrat. Pour cause ? Selon Nasser Basma in «Le Pays», «dans l'évolution des choses, nous avons constaté que Jincheng n'était pas attentive aux griefs que nos clients ne cessaient de nous formuler, relativement à la mauvaise qualité des pièces qui nous étaient fournies».
Dans une lettre adressée à Jincheng Group en 2005, Mégamonde par son conseil juridique, tout en se réclamant «propriétaire de la marque JC enregistrée à l'OAPI en 2003» écrit : «L'exécution de nos relations contractuelles a malheureusement été émaillée par plusieurs difficultés. Nous étions en permanence confrontés à des manquants dans les pièces livrées (qui) portent incontestablement préjudice à nos activités». La lettre poursuit : «face à une telle situation préjudiciable, nous avions proposé une révision des conditions de travail. Faute d'accord en ce sens, il a été mis fin à notre partenariat.»
De fil en aiguille
Le contrat rompu, chaque société pouvait prendre son autonomie. Par la suite, Jincheng Group se lia à un nouveau partenaire, Jincheng Motos», avec comme distributeur exclusif la société World Business, gérée par un jeune entrepreneur dénommé Etienne Ouédraogo. La guéguerre surgit lorsque Jincheng Group, par le biais de son représentant exclusif, constate qu'«après la rupture du contrat avec Mégamonde, des motocyclettes estampillées JC circulent sur le marché». Jincheng Group saisit alors le cabinet de Me Mamadou Sawadogo qui, par lettre du 26 septembre 2007, «touche» Mégamonde afin que cette «affaire soit réglée hors contentieux». Mégamonde répond le 3 octobre en disant par l'écrit de son conseil juridique, Me Mamadou Traoré «que les marques JC, Best, Fortune sont la propriété exclusive de SIMMO (NDLR : Société industrielle de montage de motos) et ne saurait faire l'objet de contrefaçon par son seul et unique propriétaire…». En effet, Mégamonde a enregistré la marque sous l'appellation «JC (Jincheng)» à l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) le 30 décembre 2003. Quant à Jincheng Group, il a enregistré la marque «Jincheng + logo» auprès de l'OAPI le 31 mars 1999.
A qui donc appartient la marque ?
C'est l'OAPI qui détient le secret quant à la question de savoir à qui appartient la marque JC. L'organisation dispose de textes réglementaires dits de « l'Accord de Bangui », une sorte de bréviaire en la matière. Au Burkina Faso, c'est la Direction nationale de la propriété industrielle (DNPI), tel que le confirme son directeur national Etienne Bayala, qui représente l'OAPI. M. Bayala explique qu'«une tierce personne ne peut enregistrer une marque déjà enregistrée sans l'accord de son partenaire propriétaire de la marque, la priorité de dépôt et d'enregistrement étant une référence d'appartenance». «L'affaire Jincheng contre Mégamonde» est la face cachée de la fraude et de la concurrence déloyale qui gangrène l'économie de l'Afrique en général et du Burkina Faso en particulier. Entre la fraude, la contrefaçon et la concurrence déloyale, il n' y a qu'un pas. Selon une source douanière, la fraude fait perdre en moyenne 7 milliards de F CFA en recettes. D'où le fait pour le coordonnateur national de lutte contre la fraude, Patenema Kalmogo d'attirer l'attention des opérateurs économiques. «Nous sommes en train de mettre en place un dispositif pour contrôler le flux des marchandises afin de contrôler toutes les importations», a-t-il expliqué. De son côté M. Adolph Coulibaly, instructeur à la Commission nationale de la concurrence et de la consommation (CNCC) déplore que «les organes de lutte contre la concurrence déloyale n'ont pas assez de moyens pour intervenir sur le terrain.»