Depuis près d'un mois, le Kenya est en proie à des violences quasi généralisées, qui suscitent l'inquiétude des différents milieux. Une situation qui commence à influer dans certaines économies au-delà des frontières kenyanes, où on note une nette réduction du flux commercial. Mais les efforts de médiation pour une sortie rapide de crise et ramener la concorde se multiplient.
Le président kényan réélu Mwai Kibaki et le chef de l'opposition Raila Odinga se sont finalement rencontrés le jeudi 24 janvier, la première fois depuis la présidentielle contestée du 27 décembre dernier. L'ancien secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, qui conduit la médiation de l'Union africaine et qui a signé l'exploit, a qualifié le face-à-face de «premier pas vers une solution» à la crise.
«Je pense que nous avons commencé à faire les premiers pas vers une solution pacifique au problème, et vous pouvez voir que les deux dirigeants sont là pour souligner leur engagement pour le dialogue», a estimé M. Annan.
M. Odinga a pour sa part assuré que des «mesures vitales» avaient été prises «pour résoudre la querelle électorale et le conflit qui ravage» le Kenya depuis un mois, demandant «à chacun d'être patient et de soutenir la paix».
Le cri du président Kibaki: arrêter la violence
«En tant que président élu en bonne et due forme et qui a prêté serment (...), je conduirai personnellement notre pays vers la promotion de l'unité, la tolérance, la paix et l'harmonie entre les Kényans», a assuré M. Kibaki.
Une annonce qui a failli jeter de l'huile au feu, le parti de M. Odinga accusant M. Kibaki de «tenter de légitimer son usurpation de la présidence», conforté par les déclarations des observateurs internationaux qui ont dénoncé de nombreuses irrégularités pendant la comptabilisation des résultats.
Avant la rencontre, la violence avait poursuivi son bonhomme de chemin, la police persévérant à faire un «usage excessif de la force», tandis que les opposants s'adonnaient à la violence avec des armes blanches. Au moins 790 personnes sont mortes et 255.000 déplacées à cette date, dans les violences politico-ethniques entre les partisans de l'opposition et ceux du président Kibaki, mais aussi entre la police et des manifestants favorables à l'opposition.
Partout à travers le Kenya, de la ville portuaire de Mombasa sur l'océan Indien à la capitale Nairobi, en passant par les nombreuses villes du pays ainsi que les bidonvilles, des maisons ainsi que des commerces ont été incendiés, souvent du fait de l'appartenance de leurs propriétaires à l'un ou l'autre camp rival. La femme y a également payé un lourd tribut, avec ces viols qui commencent à être banalisés en Afrique si l'on n'y prend garde.
Odinga accepte le partage du pouvoir
L'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW) a accusé des membres de l'opposition d'orchestrer les violences interethniques, en marge de la contestation électorale. Accusations rejetées par le Mouvement démocratique orange (ODM), le parti d'Odinga, qui juge pour sa part responsables des membres de l'ethnie kikuyu du président Kibaki de chasser de leurs maisons des membres d'autres ethnies.
Le chef de l'opposition s'est finalement déclaré prêt à partager le pouvoir avec le président réélu, de même que son parti ne s'empresse plus à appeler à manifester depuis l'entretien avec Kofi Annan. Quelques jours auparavant, l'ambassadeur américain au Kenya, Michael Ranneberger, discourait dans le même sens : «Il n'est vraiment pas possible de dire avec certitude qui a gagné parce que le processus n'a pas été transparent», déclarait-il à la presse, estimant en conséquence que la solution de sortie de crise serait «un partage du pouvoir entre le président contesté Kibaki et Odinga, plutôt qu'un nouveau scrutin».
La veille, une autre personnalité, le président de l'Union africaine, le Ghanéen John Kufuor, venu également tenter de trouver une sortie de crise, était reçu par le chef d'Etat kenyan, qui avait à cette occasion réaffirmé sa volonté de «tendre la main» à tous les dirigeants du pays, mais qui avait alors essuyé le refus catégorique de son rival.
Ainsi, la poignée de main symbolique échangée entre les deux prétendants à la présidence constitue une avancée significative, d'autant plus que le conflit commençait à miner également les économies des pays voisins. Un officiel ougandais a, en effet, souligné que Kampala avait accusé le coup depuis le déclenchement de la violence au Kenya, avec un net amenuisement du flux commercial en provenance de ce pays.
L'impact négatif du conflit sur le tourisme entraînait aussi des répercussions dans l'ensemble de la région. De même, la République démocratique du Congo, qui entretient des rapports commerciaux dans sa partie orientale et qui dépend du port de Mombasa pour ses exportations vers l'est, annonçait des pertes considérables.
Le Parlement européen s'en est également mêlé, en décidant de suspendre l'appui budgétaire au Kenya aux termes d'une résolution adoptée le 17 janvier. Mais la dernière Assemblée parlementaire des Etats ACP tenue à Bruxelles estime de son côté qu'il est trop tôt de réagir en brandissant des sanctions alors que, sur le terrain, une embellie semble se dessiner à l'horizon. Avec raison.