Le Sommet de Lisbonne, qui a réuni 27 pays européens et 53 pays africains, a vu un continent africain transfiguré, qui a fait entendre ses exigences, parfois avec véhémence, sur un avenir commun avec l’Union européenne. Presque une revanche pour l’Afrique, longtemps considérée comme un « fardeau », et qui veut tracer sa propre voie.
« L’Europe et notamment les investisseurs européens ont une image déformée de l’Afrique, pire une méconnaissance de l’Afrique. Ce continent bouge mais les Européens ne voient que du feu ». Cette déclaration, si elle provenait d’un Africain, serait perçue comme une hérésie. Mais là, c’est le Commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, Louis Michel, qui la soutient à Bruxelles, quelques jours avant le Sommet Union européenne-Union africaine tenue les 8 et 9 décembre à Lisbonne, au Portugal. Au cours d’une conférence-débat qui sonnait comme une moralisation des troupes avant une bataille qui s’annonçait ardue, le Commissaire européen va rapidement dessiner le profil que devrait adopter l’UE face à l’UA au cours du sommet. Pour lui, en effet, les assises de Lisbonne doivent présenter une opportunité historique et constituer plus qu’un changement ou une mutation dans la nature des relations entre l’Afrique et l’Europe, mais « une rupture », du fait de la géopolitique globalisée. Il ne croyait pas si bien prêcher.
Le réservoir du monde
Aujourd’hui, l’Afrique est convoitée, courtisée. Le continent commence à profiter de son nouveau statut de réservoir des matières premières du monde pour s’affirmer, note Louis Michel. Alors que l’Europe est, elle, demeurée figée dans ses considérations « afropessimistes » archaïques, retenant plus facilement le manque de gouvernance et les misères, notamment à travers ses médias, « plus friands des trains qui arrivent en retard que de ceux qui parviennent à l’heure ». L’Afrique détient 10 % des réserves mondiales de pétrole et les pays africains producteurs de l’or noir sont plus fiables que les partenaires traditionnels, reconnaît le Commissaire européen qui ajoute que ce continent détient également 90 % des réserves de platine et de cobalt, et plus de 60 % de manganèse et de coltan, faisant de lui l’un des principaux centres de la nouvelle géostratégie. Même si, il faut le reconnaître, plus de la moitié de ses 800 millions d’habitants vivent en dessous d’un euro par jour. Une situation à laquelle le continent ne saura néanmoins tarder à remédier, avec le lot d’initiatives qui se prennent au niveau des différents Etats ainsi que la nouvelle politique des intégrations régionales favorisées par l’Union africaine.
L’ombre de la Chine
Avec le phénomène de la multipolarisation des puissances, l’Afrique constitue bien une nouvelle opportunité à saisir. Les puissances émergentes qui l’ont compris avant l’Europe se pressent au portillon pour accéder aux formidables richesses d’Afrique, la Chine en tête, mais aussi les Etats-Unis, l’Inde et le Brésil, alors que l’Europe continue à traîner les pieds, du fait de ses considérations surannées. Ainsi, la Chine a multiplié sa coopération avec l’Afrique par cinq depuis cinq ans, atteignant 50 milliards de dollars en 2006. La signature d’accords de l’ordre de près de 9 milliards avec la RDC en septembre dernier illustre à merveille la vague jaune qui déferle sur l’Afrique, au grand dam des Européens, contraints malgré eux de corriger leur stratégie. Les Chinois sont également présents dans les opérations de maintien de la paix, avec 1.000 soldats déployés, tout en s’interdisant de s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats africains. Très vite, les Américains ont, de leur côté, déplacé vers l’Afrique leur source d’approvisionnement en pétrole, passant à 25 %, contre 15 précédemment, alors que l’Inde s’est spécialisé dans le bois, sans toutefois délaisser l’or noir, en s’appuyant principalement sur sa diaspora longtemps implantée dans le continent. « Les autres développent des stratégies sommes toutes légitimes en Afrique, tandis que l’Europe creuse sont retard », se lamente Louis Michel, pour qui l’UE doit se décider d’accompagner ce continent, où elle doit savoir qu’il y a peu de risque que ses Etats, irrémédiablement lancés dans un processus de démocratisation, retrouvent des moments sombres. Pour le commissaire, les Européens doivent, de peur de rater le coche, se départir de ce réfl exe illusoire de puissance qu’ils affichent face à l’Afrique, laquelle obscurcit son positionnement global et, au contraire, répondre aux critiques de plus en plus récurrentes des Africains, qui font comprendre que leur continent a cessé d’être une chasse gardée.Un partenariat décomplexé
Comme il fallait s’y attendre, au cours du Sommet de Lisbonne, le continent noir a fait entendre ses exigences, parfois avec véhémence. Presque une revanche pour l’Afrique, longtemps scrutée comme un « simple fardeau » et qui, forte de sa nouvelle position géostratégique, fait ainsi trembler l’Europe. Aux termes du communiqué conjoint ayant sanctionné les assises, marquées par des joutes parfois enfl ammées, les Africains et les Européens ont pu se convenir sur une Stratégie conjointe consacrant le principe « d’un partenariat d’égal à égal » censé baliser une nouvelle forme de coopération. La stratégie prévoit différents niveaux de coopération, aussi bien nationaux, bilatéraux que mondiaux, dans une approche qui encourage les canaux multilatéraux et cherche à manipuler les multiples dimensions des relations de manière intégrée. Il s’agit à cet effet d’une politique de partenariat s’ouvrant aux défi s mondiaux communs, qui va promouvoir les approches intégrées de l’ensemble de l’Afrique. Cette politique est centrée prioritairement sur la Paix et la sécurité, en privilégiant l’architecture africaine de la lutte contre les crises et les confl its, mais en ouvrant une brèche afi n de permettre à l’UE de soutenir l’Afrique pour la promotion des questions sécuritaires dans les deux continents et le traitement des sujets d’intérêt commun sur la scène internationale.Les deux continents s’accordent aussi sur la Gouvernance et les droits de l’homme comme éléments centraux du partenariat UE-Afrique, en conjuguant leurs efforts en faveur de l’amélioration de l’effi cacité du système multilatéral et de la promotion des valeurs de la démocratie, de la gouvernance et de la primauté du droit. Quant au Commerce et l’intégration régionale, l’UE et l’Afrique travailleront à l’amélioration de la gouvernance économique et du climat d’investissement en Afrique, par le développement du secteur privé soutenu par des fi nancements étrangers afi n de renforcer l’offre des économies africaines, par le développement et le renforcement des réseaux d’infrastructures physiques nécessaires à la circulation des personnes, des biens, de l’information, et par l’intégration commerciale vitale pour accroître à la fois les échanges commerciaux Sud-Sud et Nord-Sud.
Au niveau mondial, l’UE et l’Afrique chercheront à promouvoir la gouvernance économique mondiale et à soutenir l’intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale, notamment par la coordination des positions de l’UA aux forums internationaux. Les principales questions de développement entre l’UE et l’Afrique se concentreront également sur l’apport d’une contribution essentielle à la réalisation des objectifs de développement du Millénaire. Pour ce faire l’UE réaffi rme son engagement à fournir une aide supplémentaire, alors que les pays africains, de leur côté, s’engagent à progresser continuellement dans le traitement des préoccupations essentielles.